Nouvelle orientation économique au Vietnam

mardi 19 février 2019.
 

Engage au Cambodge dans une opération politico-militaire difficile, menacé sinon d’une nouvelle invasion chinoise du moins d’une longue et épuisante confrontation avec Pékin, rejeté par tout le bloc occidental, le Vietnam fait face, aujourd’hui, à d’immenses difficultés : situation alimentaire critique, pénurie généralisée de produits de consommation, chômage et sous-production, tensions entre les populations et la bureaucratie, etc.

Les informations disponibles sur ce pays, du moins celles que diffusent les moyens de communication de masse, inciteraient à évaluer avec pessimisme les chances qu’il a de résister à la pression extérieure dont il est l’objet en conservant son unité intérieure. Les perspectives d’austérité prolongée et même de guerre ne conduisent-elles pas certains citoyens à douter de l’avenir mais aussi de la capacité des dirigeants à résoudre les problèmes réels de l’époque ? Au prix de quels sacrifices parviendra-t-on encore à « surmonter toutes les difficultés » ? Déjà, à Washington et à Pékin, les « faucons » affichent la certitude de voir bientôt le Vietnam « plier les genoux » ou « changer de ligne ». On sait néanmoins depuis longtemps, mais surtout depuis 1965, ce que vaut l’aune de ces prédictions.

L’indépendance a, certes, mis à nu l’état de profonde pauvreté du Vietnam qu’avaient dissimulé pendant la guerre, aux yeux de certains, les aides extérieures. Celles-ci se sont taries pour la plupart, et, depuis 1976, les tensions et les pénuries n’ont fait que s’aggraver. Aussi l’impression s’est-elle répandue que le pays s’enlisait et que les difficultés seraient moindres si la gestion était meilleure.

A la fin de 1976, le quatrième congrès du parti communiste du Vietnam avait témoigné d’une évolution dans les conceptions économiques de l’équipe dirigeante. Les bases matérielles et techniques du socialisme devaient nettement reposer sur le développement prioritaire de l’agriculture et de l’industrie légère, et le rapport politique avait demandé de « concentrer au maximum les forces de tout le pays pour faire faire un bond à l’agriculture ». L’amélioration du niveau de vie de la population était, en effet, au moins aussi urgente que l’industrialisation socialiste, et la première priorité était de parvenir, le plus tôt possible, à l’autosuffisance alimentaire. Un chiffre la symbolisait : 21 millions de tonnes de céréales en 1980.

Mais le parti visait plus loin. Il voulait mener simultanément trois révolutions : une révolution dans les rapports de production (c’est-à-dire liquider le capitalisme au Vietnam) ; une révolution scientifique et technique (moderniser l’économie) et une révolution idéologique (éliminer les idéologies réactionnaires). Ses plans « révolutionnaires » visaient en grande partie le Sud, où les structures sociales étaient toujours de « caractère féodal ou colonial ». Hanoï entendait donc, dans le Sud, « liquider immédiatement la propriété féodale », « nationaliser immédiatement les établissements industriels et commerciaux de la bourgeoisie compradore », développer partout l’économie d’Etat, « coopératiser » l’agriculture et l’artisanat, orienter les capitalistes privés vers des entreprises mixtes.

Les résultats de cette entreprise de socialisation, tels qu’on peut les apprécier après quatre ans, ne sont pas brillants. L’ignorance des « lois objectives de l’économie » s’est révélée coûteuse, et nombreux sont les « ressorts économiques » du Vietnam qui se sont brisés, ou durablement aplatis.

Tous ceux qui ont visité le Vietnam en 1979 ont été frappés par la gravité apparente de la crise alimentaire.

Le riz est rare et cher et on est très loin de distribuer la ration théorique de 13 kilos de riz (et féculents) par mois et par tête. Très fréquemment, la ration est, en majorité, constituée de manioc, de maïs ou de patates. Le fonctionnement des marchés agricoles s’est, en effet, quelque peu déréglé. Au Nord, la terre est maintenant répartie entre environ onze mille coopératives et quelques centaines de fermes d’Etat. La production est collective et intensive (on parvient à faire deux récoltes par an dans nombre d’unités) et elle est connue avec une assez grande précision. L’Etat en perçoit une partie en nature comme impôt, qui est livrée à ses magasins. Il en achète une autre partie à un « prix de stockage », en vertu des contrats d’échange qui lui font obligation de livrer aux coopératives des engrais, des machines, des tissus et autres produits de consommation en contrepartie de leur production. Le reste, enfin, demeure la propriété des coopérateurs, qui peuvent en disposer, s’ils le veulent, au marché libre, tout comme ce qu’ils produisent sur leurs lopins individuels.

Les coopératives du Nord ont donc un intérêt manifeste à produire le maximum puisque la part qui leur revient (qu’elle soit vendue à l’Etat ou sur le marché libre) est d’autant plus forte, en chiffres absolus, que le total est important. Comme dans tout pays socialiste, on a, d’autre part, tendance à consacrer plus de travail à ce qui pourra être vendu sur le marché libre, à des prix nettement plus élevés. Ces ventes (légumes, cochons, volaille, etc.), représentent une part notable des revenus des membres des coopératives, mais l’Etat obtient, en gros, la livraison de 50% de la production des coopératives.

Au Sud, il n’en est pas de même, car l’économie de marché est toujours pleinement dominante. Le parti, qui ne veut pas, disent ses dirigeants, répéter au Sud les erreurs commises en 1955-1956 au Nord (où la collectivisation forcée, de type chinois, a dressé la classe paysanne contre le régime), a commencé néanmoins à mettre sur pied des « équipes de production » (1) — pour démontrer les avantages de la coopération, mais sans toucher à la propriété.

Le paysan du Sud, très individualiste, se méfie, car il pense que c’est là un moyen pour le parti de savoir finalement plus qu’on ne veut lui en dire, et de faire surveiller les paysans aisés par les plus pauvres. Les premiers, qui sont seuls en mesure de livrer des surplus sur le marché, préfèrent la production individuelle. Longtemps, ils ont pu écouler leurs produits au « marché libre » (ou noir). Les commerçants chinois les leur achetaient à un bon prix mais, surtout, pouvaient leur livrer en contrepartie des produits qu’ils avaient en stock. Les Chinois revendaient les vivres sur les marchés urbains, avec de bons bénéfices.

C’est cette distribution, très traditionnelle, qui s’est trouvée perturbée en 1977-1978 par les mesures d’un Etat qui ne pouvait plus tolérer le développement pris par la spéculation à la suite des mauvaises récoltes provoquées, d’abord, par la sécheresse puis, surtout, par les inondations catastrophiques. Le commerce chinois ayant été, pour l’essentiel, nationalisé en mars-avril 1978 et ses stocks en grande partie récupérés par les magasins d’Etat, l’agriculteur aisé n’a plus d’acheteur « valable » capable de lui payer de hauts prix et de lui livrer en échange les produits qu’il veut. Plus ou moins coincé, il préfère limiter sa production aux besoins de sa famille et de ses amis, ou pratiquer le troc pour ce qu’il convoite.

Le gouvernement a mesuré les dangers. S’il voulait contraindre, rechercher les stocks et encadrer rapidement les paysans dans un réseau coopératif où ils seraient forcés de produire, il risquait de s’aliéner profondément les masses rurales du Sud, sans compter le risque de complications politiques avec les sectes Cao Dai et Hoa Hao, de troubles dans les communications, d’arrêt sérieux des livraisons. Il semble qu’il ait préféré composer, adopter une politique de conciliation et d’incitation reconnaissant certains impératifs d’une économie de marché.

Parmi les mesures prises par le gouvernement à la suite du plenum du comité central du parti, tenu en août dernier, figure une sorte d’intégration du « marché libre » dans l’économie générale. D’une part, les « contrats d’échange » entre l’Etat et les coopératives autoriseront désormais celles-ci à écouler, sur le marché libre, les produits qu’elles devraient livrer à l’Etat si ce dernier n’est pas en mesure de leur livrer, aux prix officiels, les articles de consommation, instruments agricoles, etc. dont elles ont besoin. Compte tenu de la pénurie actuelle, c’est une véritable incitation à vendre les produits agricoles sur le marché libre (où le riz vaut 50 dongs (2) le boisseau de 20 kilos contre 12 au prix officiel). D’autre part, les autorités ont supprimé, dans les gares routières et sur les routes, les postes de contrôle économique qui avaient été établis pour empêcher certaines marchandises de sortir des provinces. La circulation des marchandises s’est nettement accélérée et l’offre s’est accrue. Cette levée d’interdits administratifs a déjà provoqué une baisse de 33% du prix du riz sur le marché libre de Saigon.

Pour favoriser la production de viande, il est maintenant permis aux paysans des coopératives d’élever, pour l’abattage familial, non seulement des porcs, mais aussi des buffles et des bœufs (jusqu’ici considérés seulement comme instruments de production) et d’en vendre la viande au marché libre. Ce sont là des pas importants vers le rétablissement d’une unité du marché.

Mais le problème n’est pas seulement d’obtenir plus de produits agricoles. Les ruraux veulent aussi pouvoir utiliser le pouvoir d’achat croissant dont ils vont disposer. Comme les citadins, ils veulent davantage d’articles de consommation, et qu’il soit mis fin à une pénurie de plus en plus difficilement supportable. D’où l’impulsion récemment donnée, conformément à une résolution du comité central du parti ( Nhan Dan, 9 octobre 1979), aux industries provinciales, mieux à même de répondre, par leurs produits, leurs prix et leurs délais de livraison, à la demande locale. Artisanat et industries légères ne requérant pas d’importants investissements sont vivement encouragés. Ils pourraient sans doute alléger, dans un délai raisonnable, la fringale d’objets de consommation qui affecte tout le Vietnam.

Les industries provinciales sont, d’autre part, censées pouvoir mieux mettre en œuvre les matières premières locales dont elles devront promouvoir la production par des contrats avantageux.

En attendant la « grande production socialiste » De l’avis de plusieurs spécialistes, une forte augmentation de la production pourrait être obtenue au Vietnam en mettant entre les mains des artisans (qu’ils soient ou non regroupés en coopératives) davantage de machines modernes à haut rendement et en les liant par contrat à des magasins de vente.

Très individualiste, qu’il soit paysan ou artisan, le Vietnamien aime être son maître et a encore (tous les dirigeants le soulignent) une « mentalité de petit producteur ». Mais il est à la fois bricoleur et ingénieux. Si l’on veut des résultats rapides, il faut miser sur cette disposition, non pas attendre que l’individu ait changé de mentalité. Les ruraux ne sont pas attirés par la discipline industrielle et l’organisation les intimide... ou les éloigne ; nombre d’entre eux cherchent à échapper aux contrôles, voire à frauder (que ce soit sur les taxes ou les livraisons).

La « grande production socialiste » exigera, certes, dans l’avenir une nouvelle mentalité et l’éducation y pourvoira. Mais, pour l’instant, il s’agit d’obtenir du maximum de petits producteurs le maximum de production, en leur offrant des avantages plutôt qu’en recourant à la contrainte. Le problème est de « fédérer » les petits, de collecter leurs produits, plutôt que de les collectiviser, eux, leurs biens et leur travail.

« Laissé à lui-même dans des situations difficiles, le peuple tâtonne, improvise, mais trouve des solutions et avance relativement. Par la persuasion, la concertation des efforts individuels est possible. Par contre, si des « petits tyrans » ou des cadres autoritaires se mêlent de « mettre de l’ordre » et de « fouetter au nom des principes », alors les gens se cabrent et freinent. C’est là un des problèmes de notre société »,nous a-t-on dit à Hanoï. En démocratie, on avance lentement, mais on avance. En régime autoritaire, la base freine plutôt et chacun s’arrange pour détourner à son profit quelque parcelle des biens collectifs. C’est ce que le président Ho Chi Minh avait compris. Sa ligne était de discuter et de persuader, non d’imposer.

Pour progresser, on reconnaît donc aujourd’hui qu’il faut à la fois être « démocrate », souple, laisser plus de place aux initiatives individuelles et mettre des machines modernes à la disposition de ceux qui peuvent produire vite, avec le minimum d’organisation et d’administration. A cette échelle, d’autre part, les risques et les effets de la corruption (éventuelle) se réduisent d’eux-mêmes. L’ennui est que ces solutions posent des problèmes de conscience au parti. Pour bâtir le socialisme, il faut, en effet, tuer l’esprit capitaliste et l’individualisme, développer toujours davantage le secteur public. Est-il conséquent et sérieux de renforcer et de consolider l’artisanat ?

La nationalisation du commerce a poussé de nombreux Vietnamiens d’origine chinoise à quitter un pays où ils jugeaient n’avoir plus d’avenir. Ensuite, le début de la socialisation dans les campagnes, l’aggravation de la situation alimentaire, le démantèlement de l’infrastructure « commerciale » de Saigon (banques, commerce extérieur, transformation de produits importés, etc.) ont provoqué une nouvelle vague de départs, de Vietnamiens surtout, cette fois. Pourtant, nombre de ceux-ci auraient accepté le socialisme si on avait trouvé à employer intelligemment leurs compétences ; mais ils n’ont pas supporté d’être laissés dans le vide ou à la merci de médiocres et d’opportunistes. La promotion des initiatives locales, dans un cadre provincial, pourrait arrêter cette hémorragie.

Une meilleure utilisation des matières premières et des techniques locales ne peut suffire à surmonter la pénurie. Le Vietnam est contraint, de toute façon, d’importer des matières premières comme le pétrole, le coton, la laine, l’acier ou les produits chimiques, des équipements et des machines de toutes sortes. Pour 1979, ses besoins d’importation minima étaient évalués à 1 milliard de roubles (soit environ 7 milliards de francs).

Comment Hanoi peut-il payer ? Les facilités de crédit s’épuisent et les emprunts sont difficiles. Les pays socialistes, dans le cadre du COMECON, ont, certes, mis au point, en juillet, un programme spécial d’aide au Vietnam. Celui-ci n’en doit pas moins, pour payer ses achats, développer à tout prix ses exportations.

Plusieurs voies lui sont ouvertes : tout d’abord travailler à façon une matière première étrangère qu’il valorise. Du coton soviétique est ainsi transformé dans le pays en tissus destinés à l’U.R.S.S., mais dont Hanoï conserve une partie en rémunération du travail fourni.

Ensuite, en développant des productions exportables. Là aussi, l’agriculture se révèle comme le secteur le plus capable de livrer le plus rapidement le plus de produits avec le minimum d’investissements. Les plantations, transformées en fermes d’Etat, sont intégrées dans des « zones de production spécialisée » (ananas, thé, café, fibres, caoutchouc, etc.). Un demi-million d’hectares sont maintenant consacrés aux cultures d’exportation. La remise en état rapide des plantations du Sud est d’autant plus nécessaire que les marchés de la communauté socialiste sont vastes et prometteurs si les produits vietnamiens sont de qualité suffisante. De nouveaux avantages viennent d’être accordés aux entreprises qui réalisent ou dépassent les plans d’exportation. Elles pourront, notamment, disposer, pour leurs propres besoins (achats de pièces de rechange, etc.), d’une partie des devises obtenues. Mais Hanoï n’a pas réussi, malgré les avantages accordés, à attirer des capitaux étrangers dans les industries d’exportation. Aussi l’équilibre de la balance commerciale paraît encore éloigné. Le Vietnam était censé exporter, en 1979, pour une valeur de 300 millions de roubles (2,1 milliards de francs) seulement.

Salaires et prix Pour encourager la production, le système des prix fait actuellement l’objet d’un réexamen profond : le cinquième plenum du comité central du parti de novembre 1978 a reconnu qu’il est très défectueux, les divers éléments composant les prix ayant considérablement évolué depuis la fixation de ceux-ci.

Les prix de vente au détail sont, en fait, sans rapport avec les « prix de stockage » (prix à la production). Le riz se vend à perte. Son prix de revient moyen est de 0,70 à 0,80 dong le kilo, mais il est vendu 0,40 dong officiellement (c’est-à-dire pour les rations). La viande de porc, payée aux producteurs 3 dongs le kilo, est vendue (au rationnement encore) 2 à 2,50 dongs. L’oeuf, qui revient à 0,40 dong, est vendu 0,18 dong. Tout cela n’est possible que grâce à des subventions. Mais les prix du « marché libre » (auquel on est obligé de recourir tant les rations sont insuffisantes) sont bien plus élevés. Ainsi, en avril dernier, le riz coûtait de 3 à 8 dongs le kilo selon les lieux visités, un kilo de viande de bœuf coûtait 20 dongs à Saigon mais 11 près de Tayninh (ces prix ont baissé depuis). L’oeuf valait 0,30 dong au marché de Hanoï, où les dix bananes étaient offertes à 3 dongs. Une belle mangue se payait à Saigon 2 dongs.

On envisage de vendre désormais au prix de revient auquel s’ajouteront un pourcentage déterminé de « bénéfice » et une marge commerciale, pour les frais. Avec ce nouveau système, on économiserait, dit-on, environ 900 millions de dongs de subventions (le budget total de l’Etat pour 1979 était de 9 milliards). Le taux de bénéfice dépendra du niveau de qualité du produit et aussi de son caractère de nécessité. Il pourra être sensiblement plus élevé que les 8% reconnus généralement, en particulier pour les produits destinés à l’exportation.

Une hausse des prix officiels de détail, telle qu’elle est prévue, entraînerait inévitablement une revalorisation des salaires. Au printemps 1979, les sources officielles indiquaient qu’une famille d’ouvriers (4 personnes) gagnait en moyenne 100 dongs par mois et une famille de paysans (6 personnes) environ 120 dongs. Les salaires les plus bas sont actuellement ceux des ouvriers des fabriques de produits courants (environ 50 dongs). Dans ces industries, la main-d’œuvre est surtout féminine. Le salaire mensuel est d’environ 100 dongs dans la construction mécanique et le bâtiment, de 120 à 150 dongs dans les exploitations minières où il s’accompagne d’un ravitaillement assez généreux (24 à 30 kilos de riz plus une carte permettant d’acheter à bas prix café, sucre, lait, gâteaux). Un ministre gagne 200 dongs par mois, un directeur d’entreprise 160, un directeur de magasin de 150 à 160, un professeur d’université de 150 à 180, un instituteur 50 dongs. Mais toutes ces catégories ont aussi des cartes d’achat.

Le système de salaires est également jugé défectueux et le parti, en novembre 1978, a décidé de le réorganiser. Etabli vers 1958-1960 sur le modèle chinois alors que les prix étaient bas (ils ont beaucoup augmenté depuis) et que la division du travail était encore faible (depuis, de nombreuses professions nouvelles ont été créées), ce système ne convient plus. Une hausse des salaires mensuels de 5 à 10 dongs vient d’être accordée à environ 40% des fonctionnaires et employés, mais l’ensemble de l’échelle des salaires doit être révisée d’ici à la fin de 1980.

Réformer le système ne va pas être simple, car il va falloir toucher aux « privilèges » ou « avantages » des cadres du régime. Les salaires réels actuels sont en effet difficiles à évaluer, car s’ajoutent au salaire officiel, d’une part, un ensemble de revenus annexes résultant de divers travaux ou bricolages, mais encore tout un système de cartes d’achat. Ainsi, le cadre supérieur qui reçoit par exemple un salaire triple de celui de l’ouvrier a un pouvoir d’achat qui est en fait de 5,7 à 10 fois plus important en raison du nombre de cartes d’achat dont il dispose et qui lui permettent de se procurer soit davantage d’articles à prix réduit, soit des produits rares et de qualité, qu’il peut aussi rétrocéder à d’autres à bon compte. D’où certains trafics.

Il a été jugé préférable de traduire désormais la hiérarchie (plus ou moins occulte) de ces avantages en nature par une hiérarchie franche et ouverte des salaires. C’est pourquoi on va abolir le système des magasins spéciaux pour cadres et, probablement, également les cartes qui ne font qu’approfondir les différences et font beaucoup grommeler. C’est une des exigences de la « démocratie de masse » que le parti se propose d’instaurer.

Cette année, les griefs et les revendications des masses ont pu s’exprimer, non seulement par des lettres aux journaux (le Nhan Dan en reçoit des centaines par jour), mais aussi au cours de nombreux congrès locaux. La lourdeur et les méthodes de la bureaucratie, l’incompétence et le style de travail de nombreux cadres ont fait l’objet de vives critiques. Dans sa session plénière d’août dernier, le comité central a procédé à un examen approfondi de l’ensemble de la situation économique et adopté d’importantes résolutions sur les « tâches urgentes » du parti dans l’étape actuelle. Si elles sont suivies d’effets, les entreprises individuelles et collectives pourront mieux contribuer, par leurs initiatives, à une reprise de l’activité économique et à un accroissement rapide de la production. Mais il reste beaucoup à faire et à assouplir pour que les producteurs et les « commerçants », à quelque niveau qu’ils se situent, se sentent à l’aise dans ce grand marché du Vietnam et y fassent prévaloir l’abondance. Les décisions du parti révèlent néanmoins qu’il a pris conscience de la situation, qu’il a commencé à prendre les mesures qu’elle commande pour surmonter, sinon toutes les difficultés, du moins quelques-unes des plus préoccupantes.

Philippe Devillers


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