Manifeste pour un nouvel internationalisme des peuples en Europe

lundi 1er avril 2019.
 

Ce Manifeste du réseau ReCommonsEurope a été élaboré par un collectif de chercheuses et chercheurs, de militantes et de militants provenant d’une douzaine de pays d’Europe qui ont souhaité proposer un plan à mettre en œuvre par des forces de gauche populaire qui veulent stimuler un changement social favorable au plus grand nombre et qui arriveraient au gouvernement dans un pays d’Europe avec l’appui du peuple mobilisé

Ce manifeste à vocation pratique, propose un programme qu’un gouvernement de gauche populaire devrait mettre en œuvre lors de la première année de son mandat, pour apporter des réponses immédiates à l’urgence sociale et écologique, et vaincre les résistances que les forces conservatrices et les institutions qui les représentent ne manqueront pas de lui opposer. Les propositions portent sur les principaux problèmes auxquels un gouvernement populaire devra faire face de manière urgente dès son arrivée au pouvoir. La Manifeste s’adresse également aux mouvements sociaux (syndicaux, associatifs, citoyens) qui luttent aux niveaux local, national et international pour les droits humains fondamentaux et l’égalité de toutes et tous, pour l’émancipation sociale et la démocratie, et contre la destruction des écosystèmes. Le programme inclut également des objectifs à moyen et à long termes qui pourraient être partagés et assumés entre les organisations politiques et les mouvements sociaux de la gauche populaire.

Notre objectif est de soumettre ces analyses et propositions à la discussion de la gauche sociale et politique et de l’ensemble des militant-e-s et des citoyen-ne-s en Europe qui sont convaincus qu’il faut prendre un virage radical si l’on veut répondre aux grands défis de l’heure. L’Europe traverse une crise majeure et prolongée. L’Union européenne continue de se construire de manière anti-démocratique et au service des plus riches. De manière répétée les secteurs populaires manifestent dans les rues et dans les urnes leur rejet des politiques appliquées depuis des décennies par les gouvernements – et le plus souvent coordonnées et soutenues par les institutions européennes –, ainsi que leur volonté d’un changement radical. Ces dernières années, plusieurs occasions ont été manquées, notamment en 2015 en Grèce. La crise climatique, les violentes politiques d’austérité, le danger représenté par une extrême droite raciste et xénophobe ne rendent que plus urgente la définition d’une stratégie associant auto-organisation populaire, mouvements sociaux et organisations politiques, afin de mettre la politique au service du plus grand nombre.

Introduction

Depuis dix ans, la colère populaire ne cesse de s’exprimer en Europe contre les politiques au service des plus riches et des grandes entreprises, discriminatoires et anti-démocratiques mises en œuvre par les gouvernements nationaux et souvent coordonnées par l’Union européenne (UE). Elle a pris la forme d’initiatives syndicales mais aussi de nouveaux mouvements tels que « 15-M » en Espagne (aussi appelé mouvement des « indignés » à l’étranger), l’occupation des places en Grèce et les manifestations massives au Portugal en 2011, les mouvements contre la « loi travail » en France et contre la taxe sur l’eau en Irlande en 2016, les grandes manifestations pour l’autonomie et contre la répression politique en Catalogne en 2017. Les luttes féministes ont donné lieu à des mobilisations historiques en Pologne (« Czarny Protest » contre la loi anti-IVG en 2017), en Italie (mouvement « Non Una di Meno » depuis 2016), en Espagne (grève générale féministe de 5 millions de personnes le 8 mars 2018), ainsi qu’à une victoire contre l’influence politique de l’Église catholique en Irlande avec la légalisation de l’avortement par référendum en mai 2018, et sont enfin en train d’imposer leur centralité dans toutes les luttes sociales.

L’année 2018 a encore vu émerger des mobilisations sociales nouvelles contre l’ordre économique et politique dominant, avec par exemple le mouvement contre « la loi de l’esclavage » (réforme néolibérale du droit du travail) en Hongrie, la manifestation et le développement du mouvement antiraciste « Indivisible » en Allemagne, et en France et Belgique francophone le mouvement des Gilets jaunes, qui s’oppose notamment aux politiques fiscales injustes et à l’absence de démocratie dans les institutions politiques. Sans oublier les manifestations écologistes pour le climat, portées notamment par la jeunesse qui se met en grève dans de nombreux pays comme en Suède, au Danemark, en Suisse, en Belgique, en France, ou encore en Grande-Bretagne. Tous ces mouvements sociaux, et d’autres encore, ont contesté l’orientation austéritaire et autoritaire des politiques menées en Europe, en posant, directement ou indirectement, la question d’un projet de société radicalement alternatif au capitalisme, au productivisme, au saccage écologique, au racisme et au patriarcat. Ce Manifeste s’inscrit au sein de ces mouvements et partage leurs objectifs : la lutte contre toutes les dominations, pour les droits de toutes et tous, pour l’égalité et pour une démocratie à inventer, qui ne s’arrêterait pas aux portes des entreprises et des quartiers populaires, et qui serait nécessairement profondément contradictoire avec la logique capitaliste (qu’elle se prétende « protectionniste » et donc contre les « étrangers », ou bien « libérale ») qui détruit les droits sociaux et l’environnement.

Ces mouvements sociaux sont indissociables des urgences sociale, écologique, démocratique, féministe et de solidarité. Ces mouvements sociaux sont indissociables des urgences sociale, écologique, démocratique, féministe et de solidarité.

Urgence sociale parce que les conditions de vie et de travail des classes populaires en Europe n’ont cessé de se dégrader ces trente dernières années, et notamment depuis la crise qui a touché le continent à partir de 2008-2009.

Urgence écologique parce que la consommation exponentielle d’énergies fossiles, et plus généralement la destruction des écosystèmes, nécessaires pour le capitalisme, rapprochent sans cesse le changement climatique planétaire (dont les effets sont désormais tout à fait visibles) d’un point de non-retour et menacent l’existence même de l’humanité.

Urgence démocratique parce que, face aux défis qui se sont posés aux classes dominantes au cours des trente dernières années, celles-ci n’ont pas hésité à adopter des méthodes de domination de moins en moins soucieuses des apparences démocratiques et de plus en plus coercitives. Urgence féministe car l’oppression patriarcale sous ses différentes formes provoque de plus en plus de réactions massives de rejet clamées haut et fort par des millions de femmes et d’hommes.

Urgence de solidarité, enfin, parce que la fermeture des frontières et l’érection de murs apportées en réponses aux millions de migrant-e-s à travers le monde, qui fuient la guerre, la misère, les désastres environnementaux ou les régimes autoritaires, ne constituent rien d’autre qu’un déni d’humanité. Chacune de ces urgences conduit, en réaction, à des mobilisations de désobéissance, d’auto-organisation et de construction d’alternatives, qui constituent autant de foyers possibles d’alternatives démocratiques en Europe.

Dans ce Manifeste, notre réflexion et notre volonté d’action s’ancrent sur ces mobilisations à l’échelle européenne, sans toutefois s’enfermer dans les frontières et institutions existantes : tous les enjeux et droits évoqués sont devenus planétaires. Ils se déclinent dans chaque pays et continent, avec leurs spécificités et histoires propres. Les attaques sociales sont articulées du local au global du fait des stratégies des firmes multinationales et de leurs groupes d’intérêts au sein des États et institutions de la mondialisation capitaliste, en s’appuyant sur les normes d’un prétendu « libre échange ». C’est en réalité une telle logique qui préside à « l’intérêt général » que la Commission européenne prétend défendre au sein de l’UE, ou aux « partenariats » profondément inégaux que l’UE développe avec les pays au Sud et à l’Est de l’espace européen.

Cet accroissement des inégalités est lié aux politiques européennes concernant l’emploi, visant la destruction des protections salariales et le précariat généraliséLes institutions européennes contribuent à organiser et coordonnent les politiques néolibérales au niveau international, incitent et parfois contraignent les gouvernements nationaux à accélérer dans chaque pays les processus de baisse des salaires et des pensions, de démantèlement du droit du travail et des droits sociaux, de privatisation des services publics, etc. Bien sûr, les politiques néolibérales ne sont pas dictées par les seules institutions européennes – les pays qui ne font pas partie de l’UE les appliquent également – mais les traités et les institutions constituent un puissant instrument pour les encourager et les imposer. Quelles que soient les interprétations diverses que l’on peut avoir des phases passées de la « construction européenne », il est manifeste que l’UE a toujours été un ensemble d’institutions pro-capitalistes, et s’est construite depuis le Traité de Rome comme un grand marché des capitaux et de la « concurrence libre et non faussée », à l’abri de l’intervention populaire et démocratique. Mais les évolutions récentes ont radicalisé ce caractère inégalitaire et autoritaire des politiques européennes.

La dernière période est marquée d’une part par l’accroissement considérable des inégalités économiques et sociales, au sein de chaque pays ainsi qu’entre le centre et les périphéries internes et externes (du Sud et de l’Est) de l’UE ; et d’autre part par le caractère de plus en plus dangereux que revêt la crise écologique – le dérèglement climatique et les catastrophes dites naturelles, induites par la destruction des écosystèmes, étant désormais observables de façon forte et continue. Cet accroissement des inégalités est directement lié aux politiques européennes concernant l’emploi, visant la destruction des protections salariales et le précariat généralisé ; la finance, visant à mettre les banques et les grandes entreprises à l’abri de l’impôt et de toute forme de régulation un tant soit peu sérieuse ; mais aussi la monnaie, c’est-à-dire touchant à l’architecture même de l’Union économique et monétaire (UEM) ainsi qu’aux initiatives spécifiques conduites par la BCE et l’Eurogroupe informel à l’œuvre dans les pseudo-négociations avec la Grèce.

D’un côté, l’impossibilité de dévaluer la monnaie, conséquence directe de la monnaie unique, participe au creusement des disparités continentales, à la précarisation des conditions du travail, au chômage (notamment chez les jeunes) et à l’émigration des populations des zones périphériques du continent vers ses zones centrales, en particulier des jeunes diplômés à la recherche d’un emploi. Tout en camouflant les responsabilités des classes dominantes aux niveaux nationaux, les règles de la zone euro poussent les gouvernements à baisser systématiquement les salaires, particulièrement dans les pays des périphéries, tandis que les économies du Centre se font concurrence sur le dos de leurs propres populations de plus en plus précarisées (telles que les 7 millions de salariés payés 400 euros mensuels en Allemagne) en menaçant de délocaliser les emplois et en exploitant cette main-d’œuvre périphérique en vue de continuer de gagner des parts de marché à l’extérieur.

D’un autre côté, ces inégalités ont été renforcées par le recours systématique de la BCE et de la Banque d’Angleterre à une politique d’inondation des marchés par des centaines de milliards d’euros de liquidité (quantitative easing) pour sauver les banques européennes, au détriment des conditions de vie des peuples, particulièrement dans les périphéries. L’UEM, au cœur de la construction européenne, a fonctionné depuis la crise de 2007-2008 comme un instrument d’exploitation économique des travailleuses et des travailleurs, de polarisation sociale entre les peuples et de domination politique de certains États sur d’autres. Les pays non membres de la zone euro mais faisant partie de l’UE sont eux-mêmes poussés à diminuer les coûts salariaux, à faire du dumping fiscal et à précariser les contrats de travail afin de rester compétitifs par rapport aux poids lourds de la zone euro comme l’Allemagne, la France et le Benelux. La Grande-Bretagne, qui est en train de négocier sa sortie de l’UE, est elle-même un exemple de précarisation du travail, notamment du fait de ses centaines de milliers de contrats « zéro heure ».

Les institutions de l’UE et les gouvernements de ses États membres préfèrent sauvegarder l’existence du capitalisme plutôt que celle de l’humanitéDans le même temps, alors qu’existe désormais un consensus clair quant à l’ampleur de la crise écologique en cours, les institutions de l’UE et les gouvernements de ses États membres (comme les gouvernements des autres principaux États responsables du réchauffement climatique et de la destruction des écosystèmes du fait de leurs politiques favorables aux grandes entreprises polluantes) n’en tirent aucune conséquence quant à la nécessaire transition vers des économies décarbonées et à la transformation du mode de production que celle-ci implique. Ces institutions préfèrent sauvegarder l’existence du capitalisme plutôt que celle de l’humanité, mettant ainsi en péril la vie même des jeunes et des futures générations.

La réponse de la plupart des gouvernements face aux mouvements croissants de contestation consiste à augmenter le niveau de la répression étatique : les opposants sociaux et politiques sont menacés en Grèce, les lois liberticides se succèdent et les violences policières se multiplient en France et en Belgique, des militant-e-s des mouvements d’accueil et de solidarité avec les migrant-e-s sont criminalisé-e-s, etc. Les forces d’extrême-droite, xénophobes et autoritaires, progressent de manière importante au point de participer désormais à des gouvernements européens (par exemple en Italie), ou bien de configurer l’agenda politique des gouvernements de « l’extrême-centre » (par exemple en France). Les institutions européennes, quant à elles, n’ont jamais aussi activement protégé les intérêts capitalistes et ne se sont jamais autant barricadé contre toute intervention de la volonté populaire et du choix démocratique que ces dernières années. En Grèce, elles ont répondu par une politique d’asphyxie monétaire (assèchement des liquidités de l’État) à la victoire électorale de Syriza en janvier 2015 puis, après la victoire du « NON » au référendum de juillet 2015, elles ont poursuivi des négociations à huis clos avec ce même gouvernement en vue de neutraliser la volonté populaire et de lui imposer, avec le concours du gouvernement grec, un troisième mémorandum austéritaire. Avec les accords sur les politiques migratoires signés entre l’UE et des pays tiers, tels que l’accord avec la Turquie d’avril 2016, ces institutions ont ajouté à l’injustice du règlement Dublin III et à la violence de Frontex (l’agence de répression des migrant-e-s aux frontières de l’UE), la violation systématique du droit international, notamment du droit d’asile, et le financement direct d’une politique répressive externalisée à des pays tiers. Aujourd’hui, les projets dominants pour la « réforme » de l’UE sont militaristes (augmentation du budget de l’Euroforce), anti-démocratiques (caractère automatique du contrôle européen des budgets nationaux), et encore plus néolibéraux (projets de privatisation généralisée des services publics). Plus que jamais, comme l’a affirmé en 2015 le président de la Commission européenne de l’époque, Jean-Claude Juncker, du point de vue des institutions européennes, « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». Il est nécessaire et possible de s’opposer aux forces et politiques inégalitaires et réactionnaires au niveau national, européen et internationalFace à cette construction pro-capitaliste, anti-démocratique et xénophobe qu’est l’UE, que faire ? Une réforme par voie électorale au niveau européen ne constitue pas une option réaliste. Une (très) hypothétique majorité d’une coalition de gauche populaire au Parlement européen ne suffirait pas à imposer une modification des principaux traités et un contrôle démocratique de la Commission européenne et de la BCE, qui sont les deux principales machines de guerre du néolibéralisme en Europe. Le Parlement, en effet, ne possède pas les prérogatives nécessaires pour de telles réformes, et la BCE, la Commission européenne mais aussi la CJCE et les diverses agences européennes se sont absolument autonomisées de la souveraineté populaire. Et une élection simultanée dans la quasi-totalité des États membres de gouvernements voulant réformer l’UE semble également illusoire, ne serait-ce que pour des questions de temporalité différente des cycles électoraux. L’Union européenne constitue aujourd’hui non seulement l’une des avant-gardes mondiales du néolibéralisme mais aussi un ensemble d’institutions irréformable, c’est pourquoi une gauche de transformation sociale ne peut plus être crédible et réaliste sans mettre au cœur de sa stratégie la rupture avec les traités et les institutions de l’Union européenne.

Mais quelles formes devrait prendre cette rupture ? Nous savons déjà qu’elle ne peut consister en des négociations cherchant le consensus sans rapport de force avec les institutions européennes, comme l’a montré clairement l’expérience du premier gouvernement de Syriza en 2015. Nous savons aussi que des ruptures politiques doivent nécessairement s’appuyer sur des mobilisations sociales de grande ampleur. De telles mobilisations ont cruellement fait défaut en Grèce début 2015, et elles auraient pu permettre d’orienter la campagne pour le Brexit dans un sens différent de celui, nationaliste et xénophobe, qui a malheureusement prévalu en Grande-Bretagne en 2016. Autrement dit, la rupture avec les traités et les institutions de l’Union européenne devra être conflictuelle, démocratique et internationaliste. Ce Manifeste défend qu’il est nécessaire et possible de s’opposer en même temps aux forces et politiques inégalitaires et réactionnaires (qui se présentent sous des étiquettes tant libérales que protectionnistes) au niveau national, européen et international, en s’appuyant à la fois sur l’initiative des citoyen-ne-s et des mouvements sociaux organisés et sur l’action d’un gouvernement populaire défenseur de droits pour tou-te-s.

Les chapitres de ce Manifeste sont conçus comme des propositions à débattre. Encore faut-il que ce qu’on appelle en Europe la « gauche populaire » se hisse enfin à la hauteur de la situation. À ce jour, l’ensemble de ses composantes manque cruellement de clarté et de courage dans son rapport aux institutions européennes, de radicalité et d’ambition dans les propositions politiques qu’elle défend, et d’ancrage populaire du fait de sa déconnexion des mouvements sociaux qui, d’en bas, défient l’ordre existant. Il est temps de mettre en discussion, aux différents échelons locaux, nationaux et internationaux, des mesures et des initiatives réalistes et radicales dont la mise en œuvre permettrait vraiment de répondre aux besoins sociaux et de garantir les droits fondamentaux des hommes et des femmes résidant en Europe ou souhaitant s’y installer, d’améliorer leurs conditions de vie et de travail, de conquérir du pouvoir démocratique et d’amorcer le dépassement du capitalisme et engageant la transition écologique. Les chapitres de ce Manifeste sont conçus comme des propositions à débattre, issues d’une réflexion tournée vers des actions immédiates et de plus long terme. Ils s’adressent aux citoyen-ne-s et militant-e-s, de la gauche sociale, syndicale et politique des divers pays membres ou dans l’orbite de l’UE, en soumettant à la discussion des diagnostics et des propositions que les mouvements sociaux et les forces de gauche prétendant constituer un gouvernement populaire pourraient défendre de concert.

Le chapitre 1 soumet à la discussion des principes, des stratégies et des outils pour réaliser ces objectifs et mettre en œuvre ces propositions. Il propose de répondre à cette question : que devrait faire un gouvernement populaire dans les premiers jours et les premiers mois de son activité ? Ce chapitre présente des mesures qu’un gouvernement populaire dans un pays membre de l’UE devrait mettre en œuvre de manière immédiate (dès les premières heures de sa prise de fonction) et unilatérale – c’est-à-dire en ne respectant par les traités européens et en entrant en conflit avec les institutions européennes –, telles que la hausse immédiate des salaires et la taxation du capital, le moratoire sur les intérêts de la dette publique, le contrôle des mouvements de capitaux (afin d’empêcher leur fuite organisée par les capitalistes), la socialisation des banques et la reprise du contrôle public sur la monnaie, etc., autant de dispositions sans lesquelles aucune forme de politique progressiste n’est possible. Comme les chapitres suivants, il distingue et énumère les mesures immédiates, de moyen terme et de plus long terme, à prendre au niveau national et international.

Les chapitres suivants sont porteurs de propositions concernant :

• la dette publique, dont il faut abolir la part illégitime, illégale, odieuse et insoutenable (chapitre 2) ;

• les banques, qu’il faut socialiser dans le cadre d’un service public bancaire mettant l’argent au service des besoins fondamentaux et non de l’accumulation de profit (chapitre 3) ;

• l’emploi et les droits sociaux, qu’il faut développer et réinventer pour améliorer les conditions de vie et conquérir un pouvoir démocratique sur les moyens et les fins du travail (chapitre 4) ;

• la transition énergétique et écologique, qu’il est urgent de mettre en œuvre pour faire cesser la destruction des écosystèmes et inventer de nouvelles formes de vie durables (chapitre 5) ;

• les luttes féministes, qui doivent être au cœur d’un projet radicalement démocratique et transversales à toutes les luttes sociales et politiques (chapitre 6) ;

• l’éducation et la santé, qui doivent être défendues à titre de droits fondamentaux, développés et étendus à toutes et tous à titre de services publics, contre leur marchandisation et leur dégradation en cours (chapitre 7) ;

• la politique internationale et les migrations, qui doivent viser concrètement la réalisation des droits fondamentaux de toutes et tous, la paix et la solidarité entre les peuples (chapitre 8).

Le chapitre 9 propose, à l’instar du premier chapitre, des principes, des stratégies et des outils visant à atteindre les objectifs présentés. Il propose de répondre à cette question : que faire face à l’hostilité et aux contraintes des institutions européennes ? Il présente une démarche de désobéissance (à tous les niveaux territoriaux), de confrontation (incluant des outils défensifs et offensifs), de rupture (sous diverses formes possibles). Cette démarche ne propose pas des réponses figées à l’avance, mais des principes d’orientation qui partent des objectifs défendus et de la prise en compte des logiques auxquelles nous nous confrontons. Ce chapitre soulève l’enjeu de la reconstruction d’alliances et de processus constituants en vue d’instituer des formes de coopération internationale démocratiques, alternatives à celles de l’UE.

La souveraineté populaire ne se construira qu’en créant, sur la base de l’auto-organisation, de nouvelles institutions démocratiques. Notre camp doit refuser aussi bien les projets irréalistes de réforme institutionnelle des institutions européennes, qui ne font au final que renforcer le statu quo, que les projets de repli national, qui n’aboutissent qu’à renforcer le capitalisme domestique. Une force de gauche qui prétend constituer un gouvernement populaire et engager les changements sociaux prioritaires doit s’engager à désobéir aux institutions européennes, rompre avec son fonctionnement normal, se défendre des attaques et représailles qui proviendront des institutions européennes et du grand capital, comme des tentatives de blocages de la part des institutions nationales acquises à l’ordre existant, et œuvrer à de nouvelles alliances internationales avec des acteurs dans et en dehors de l’actuelle UE, en vue de créer de nouvelles formes de coopération et de solidarité. La souveraineté populaire ne peut se construire qu’en s’attaquant aux formes actuelles des institutions politiques, au niveau national, européen, comme international, et en créant, sur la base de l’auto-organisation, de nouvelles institutions démocratiques. Pour cela, il est nécessaire à la fois de convaincre de la nécessité d’une rupture politique avec les institutions nationales, européennes et internationales porteuses des politiques que nous combattons, et de consolider les liens entre les réseaux et les résistances, et entre toutes les composantes politiques, associatives, syndicales qui partagent des objectifs de changements progressistes et radicaux, notamment pour peser au plan européen. Dans l’immédiat, l’urgence est de renforcer et de coordonner les initiatives de désobéissance, de rupture et d’auto-organisation existantes, et d’en initier de nouvelles, en leur donnant systématiquement une dimension internationale, et en les orientant clairement contre les institutions de l’UE et pour de nouvelles formes de solidarité entre les peuples.

En faisant ces propositions de désobéissance et de rupture avec les institutions européennes, il ne s’agit donc pas de chercher une issue nationaliste à la crise et à la protestation sociale. Tout autant que par le passé, il est nécessaire d’adopter une stratégie internationaliste et de prôner une fédération européenne des peuples opposée à la poursuite de la forme actuelle d’intégration totalement dominée par les intérêts du grand capital. Il s’agit également de chercher constamment à développer des campagnes et des actions coordonnées au niveau continental (et au-delà) dans les domaines de la dette, de l’écologie, du droit au logement, de l’accueil des migrant-e-s et des réfugié-e-s, de la santé publique, de l’éducation publique et des autres services publics, du droit au travail, dans la lutte pour la fermeture des centrales nucléaires, dans la réduction radicale du recours aux énergies fossiles, dans la lutte contre le dumping fiscal et les paradis fiscaux, dans le combat pour la socialisation des banques, des assurances et du secteur de l’énergie, dans la réappropriation des communs, dans l’action contre l’évolution de plus en plus autoritaire des gouvernements et pour la démocratie dans tous secteurs de la vie sociale, dans la lutte pour la défense et l’extension des droits des femmes et des LGBTI, dans la promotion des biens et des services publics, dans le lancement de processus constituants.

Objectera-t-on que cette voie révolutionnaire est trop radicale ou trop difficile ? Nous répondons que les autres voies sont des impasses, et que celle-ci est la seule qui permette d’engager une rupture avec l’ordre existant, dès maintenant et partout où c’est possible, pour reconstruire des espaces locaux, régionaux, nationaux, internationaux, et au-delà un monde, qui soient vivables, justes et démocratiques.

Chapitre 1 - Les premières mesures d’un gouvernement populaire

I. DIAGNOSTIC

Les grandes entreprises et les grandes banques, armés de lobbyistes, fixent l’agenda politique aux niveaux à la fois national et supranational. Dans leurs grandes lignes, le contenu et les conséquences des politiques néolibérales de l’Union européenne ont été similaires dans tous les pays membres. Les grandes entreprises et les grandes banques, au moyen notamment d’une armée de lobbyistes, fixent l’agenda politique aux niveaux à la fois national et supranational. Le déclin corrélatif de la démocratie ainsi que la perte de souveraineté populaire en Europe reflètent un tournant historique en faveur du capital et au détriment du travail. Pour les travailleurs, ce tournant a eu pour conséquence une énorme augmentation de l’insécurité concernant l’emploi, le revenu, les soins médicaux, les retraites et allocations, etc. Pour les capitalistes, il a pris la forme d’une appropriation vorace des richesses de chaque pays, conduisant à des niveaux d’inégalité sans précédent depuis la Seconde guerre mondiale. Les politiques de l’UE pour faire face à la crise de la zone euro ont contribué plus encore à favoriser le capital et à détériorer les conditions de vie des travailleurs. Elles ont renforcé le chômage de masse, particulièrement des jeunes et dans les pays de la périphérie de l’Europe, comprimé les salaires, généré un manque d’investissements et de services publics. Elles ont également augmenté de manière dramatique la prédominance économique et la domination politique du centre de l’Europe sur les périphéries du Sud et de l’Est de l’Europe. [1]

Face à cette impitoyable réalité, il est tout d’abord nécessaire pour la gauche populaire de s’attaquer à la croyance selon laquelle l’Union européenne (UE) pourrait être réformée de manière radicale de l’intérieur, c’est-à-dire en respectant les traités, en suivant les canaux et les procédures de décision des institutions européennes. La machinerie de l’UE et l’autorité de la Cours de justice de l’Union Européenne s’assurent que les traités continuent d’être interprétés en faveur du maintien du néolibéralisme. De même qu’il n’y a pas de normalité dans la politique de l’UE, de même il ne peut y avoir de procédure normale pour contester le contour des institutions européennes. L’UE est une grande machine transnationale conçue pour le néolibéralisme et qui ne se meut que de manière hiérarchique. C’est une alliance hiérarchisée d’Etats-nations qui ont créé le cadre institutionnel d’un marché unique promouvant de manière implacable le néolibéralisme.

Dès lors, le principal problème est de savoir ce que devrait faire une force politique populaire qui accèderait au gouvernement et constaterait qu’il n’est pas possible de mettre en oeuvre des mesures progressistes sans une forte réaction négative de l’appareil économique de l’UE. Dans notre perspective, la souveraineté populaire et l’internationalisme sont non seulement compatibles mais encore se conditionnent l’une l’autre. Il est donc nécessaire de défendre une feuille de route politique combinant des mesures politiques populaires au niveau national et une approche internationaliste de la politique.

Cette feuille de route politique consiste à mettre en oeuvre les mesures nécessaires pour rompre de manière unilatérale avec l’austérité, et donc à désobéir aux traités et aux pactes néolibéraux, tout en construisant un cadre alternatif de coopération avec les autres pays (qu’ils soient membres ou non de l’UE) permettant de développer un nouvel espace économique de solidarité en Europe.

A cette fin, un agenda radical de mesures démocratiques, sociales et économiques doit être mis en avant. La protection et l’extension du droit du travail, la création d’emplois et l’extension des droits sociaux et des services publics requièrent une économie politique incompatible avec les traités de l’UE. La gauche populaire doit faire de nouvelles propositions politiques capables de faire pencher la balance du pouvoir en faveur des travailleurs, de renforcer la démocratie, de récupérer de la souveraineté, et de promouvoir une perspective socialiste réaliste pour l’Europe. Pour que cela puisse devenir une réalité politique, cependant, la gauche populaire doit renouer avec son radicalisme historique, rejeter les mécanismes de l’Union économique et monétaire et de l’UE, et accepter les conséquences de sa politique de désobéissance. C’est sur cette base qu’elle pourrait, en pratique, défendre les droits des citoyens et des migrant-e-s, particulièrement des classes populaires.

II. PROPOSITIONS

Que devrait faire, alors, la gauche populaire européenne ? [2] La leçon de l’expérience de Syriza est primordiale à cet égard. Si la gauche prétend mettre en œuvre des politiques radicales et anticapitalistes et se confronter effectivement à la machine néolibérale de l’UE, elle doit être préparée à la rupture. Il doit y avoir un bouleversement, un renversement des conditions politiques existantes, pour que les choses changent en Europe. Il doit y avoir une rupture avec les structures de pouvoir nationales qui ont un intérêt direct dans l’état actuel des choses. Et il doit y avoir une rupture avec les institutions transnationales de l’UE qui soutiennent cet ordre dominant.

En ce qui concerne la politique économique et sociale d’un gouvernement populaire, la priorité est de mettre en œuvre, au niveau national, un programme de mesures permettant de défier le pouvoir du capital. Dans chaque pays, il faut bien sûr adapter le programme en fonction des besoins spécifiques, mais les éléments principaux sont valables pour tous les pays. A court terme, ces principaux éléments consistent à en finir avec l’austérité, à rétablir et étendre le droit du travail et les droits sociaux, à initier la redistribution des revenus et des richesses ainsi qu’un programme d’investissement public afin de satisfaire les besoins immédiats et fondamentaux ainsi que les aspirations des travailleurs et des pauvres.

Que devrait faire la gauche populaire si elle accédait au gouvernement dans un pays en Europe ?

Les mesures immédiates :

La priorité est d’en finir avec l’austérité. La politique fiscale et monétaire doit être conçue pour relancer la demande intérieure avec l’objectif de réduire le chômage et d’augmenter les revenus. Dans une grande économie telle que celle de l’UE, les sources de la demande doivent être cherchées en priorité à l’intérieur. Cela vaut pour les pays du centre comme pour ceux des périphéries, mais aussi pour le pouvoir hégémonique. L’Allemagne doit en finir avec le néo-mercantilisme en se concentrant sur son économie intérieure.

La stimulation de la demande intérieure doit nécessairement inclure la redistribution des revenus et des richesses en le transférant depuis le capital vers le travail. Il faut s’attaquer aux inégalités de manière urgente en Europe, à la fois dans le centre et dans les périphéries. Dans plusieurs pays membres de l’UE, il est tout à fait sensé, d’un point de vue économique, d’augmenter les salaires afin de soutenir la demande globale. Il est également sensé d’augmenter la charge fiscale des entreprises et des riches, y compris en ce qui concerne leurs richesses. La restauration des droits des travailleurs et des travailleuses, et la protection de l’emploi, de même que le renforcement de l’Etat social au moyen d’allocations et d’investissements dans les domaines de la santé, du logement et de l’éducation notamment constitue une dimension à part entière de la réduction des inégalités. Il n’y a rien d’infaisable dans de telles politiques au sein de l’Europe. Il s’agit d’une question de choix politiques et sociaux reflétant la balance du pouvoir entre le travail et le capital.

On peut diviser les mesures nécessaires en une partie sociale et une partie économique. Concernant le droits sociaux, un gouvernement populaire devrait immédiatement :

• augmenter le salaire minimum et les droits de retraite ;

• étendre les services publics universels et gratuits dans le domaine de la santé, de l’éducation, du soin des enfants et des personnes âgées, des transports collectifs, ainsi que du logement au moyen de logements sociaux ;

• créer des emplois de grande qualité à cette fin, et initier un processus de transition écologique, incluant pour tous les logements un plan d’isolation et de rénovation ainsi que la réquisition des logements vacants ;

• mettre en œuvre, par voie législative, une réduction conséquente du temps de travail ;

• mettre en œuvre une nouvelle réforme progressiste du droit du travail afin de limiter le pouvoir des propriétaires dans l’entreprise, et de se diriger vers une démocratie dans l’ensemble des espaces de travail.

Un gouvernement populaire devrait aussi mettre en œuvre une série de mesures économiques afin de garantir cet agenda social et de soutenir son développement. Il lui faudrait :

• interrompre le respect du Pacte européen de stabilité et de croissance ;

• établir un contrôle temporaire du mouvements des capitaux pour prévenir la fuite des capitaux et l’évasion fiscale ;

• établir un contrôle des prix sur les biens de première nécessité ;

• suspendre le paiement de la dette publique, sur la base d’un moratoire ou d’un audit citoyen de la dette publique, en optant pour un défaut sélectif permettant de protéger les caisses de sécurité sociale et de paiement des retraites ainsi que les avoirs des petits épargnants ;

• réguler et limiter le système bancaire privé, et créer un nouveau système bancaire public sous contrôle démocratique et social ;

• mettre en œuvre une réforme progressiste de la fiscalité (avec plus de taxes sur les profits et les richesses), permettant de taxer en priorité le capital, les grandes entreprises et les très hauts salaires, afin de financer la politique d’investissement public ;

• créer des emplois dans le domaine de la transition energétique, protéger les classes populaires en cas de diminution temporaire des recettes nationales, et faire payer la crise aux classes dominantes.

L’élection d’un gouvernement populaire ouvrira immédiatement une période d’intense contre-attaque idéologique et d’initiatives des forces économiques et politiques pro-capitalistes pour neutraliser ces mesures progressistes. Ces mesures impliquent de désobéir avec les traités européens et les institutions européennes. Ces dernières réagiront nécessairement pour essayer d’empêcher leur mise en œuvre. En réalité, l’élection d’un gouvernement populaire ouvrira immédiatement une période d’intense contre-attaque idéologique et d’initiatives des forces économiques et politiques pro-capitalistes pour neutraliser ces mesures progressistes. Cette contre-attaque des classes dominantes européennes peut prendre la forme de la fuite des capitaux ou de l’augmentation des taux d’intérêt par exemple, mais aussi d’un chantage politique opéré par les bourgeoisies nationales et les institutions européennes afin de contraindre le gouvernement populaire à abandonner sa politique en faveur des classes populaires ainsi que son mandat démocratique.

Au cours de cette période, le gouvernement populaire nouvellement élu devrait donc mobiliser à la fois la population et les mouvements sociaux pour soutenir ces politiques radicales et les travailleurs des secteurs stratégiques (notamment les banques) pour empêcher les « saboteurs » de l’économie et de la démocratie de réussir. Il devrait également rassurer la population concernant la garantie de son épargne, de la valeur de son argent et de ses conditions de vie et de travail, tout en s’adressant aux autres peuples d’Europe afin d’obtenir leur soutien actif.

La nécessité d’une telle défense à l’égard de la contre-attaque pro-capitaliste et d’un tel renforcement du soutien et de la mobilisation populaires exige que le gouvernement populaire nouvellement élu soit prêt à promulguer des décrets dès le premier jour de son entrée en fonction, concernant :

• la sécurisation des dépôts (jusqu’à un certain montant) ;

• le contrôle des banques, des compagnies d’assurance, etc. ;

• la Banque centrale, qui devrait être placée immédiatement sous l’autorité du gouvernement, et devra être autorisée à émettre de la monnaie ;

• un moratoire sur le service de la dette publique ;

• le contrôle des capitaux ;

• au moins une mesure importante permettant d’améliorer immédiatement et de manière évidente les conditions de vie du plus grand nombre, par exemple l’augmentation du salaire minimal.

Sur cette base et dans le même temps, elle devrait initier immédiatement des discussions publiques avec d’autres gouvernements et s’adresser aux autres peuples de l’UE afin de lancer des campagnes internationales pour soutenir ces politiques.

Mesures de moyen terme au niveau national :

Comme indiqué précédemment, il faut d’abord s’attendre à une hostilité de la part des mécanismes du pouvoir dont les intérêts seraient directement menacés au niveau national. Il faut également s’attendre à une hostilité de la part des institutions européennes, car une politique industrielle fondée sur la propriété publique et une série de mécanismes de contrôle public de l’économie irait directement à l’encontre de la logique du marché unique. La machine néolibérale de Bruxelles ne tolérerait pas une telle remise en cause de l’organisation institutionnelle de l’UE et du pouvoir de l’acquis communautaire. La perspective de représailles, de sanctions, d’un retrait de financement ou même de l’expulsion de l’UE deviendrait inévitable.

Face à l’hostilité de l’UE, la gauche populaire devrait donc rejeter le marché unique et son cadre institutionnel et juridique. Elle devrait plaider en faveur d’un contrôle de la circulation des biens, des services et des capitaux, sans lequel il serait impossible d’appliquer un programme radical dirigé vers le socialisme. Elle devrait également rejeter l’autorité de l’acquis communautaire et de la Cour de justice de l’Union Européenne, et commencer ainsi à dissocier la législation nationale de la législation communautaire. Enfin, elle devrait s’appuyer sur les luttes sociales pour imposer des avancées et réalisations dans les domaines des relations de travail, de la répartition des richesses, de la coopération entre les peuples et de la protection de l’environnement, et initier des processus constituants pour créer de nouvelles institutions démocratiques aux niveaux national et international. En fin de compte, il n’y a pas d’autre moyen de recouvrer la souveraineté populaire. Cette récupération de la souveraineté populaire doit être compatible avec l’internationalisme, dans la mesure où elle sera ouverte à la solidarité et permettra de partager les bénéfices de ces politiques entre différents peuples dans le cadre d’une coopération démocratique. Si cela implique de se voir opposer un ultimatum pour quitter l’UE, qu’il en soit ainsi.

Concernant la manière de répondre à la très probable réaction hostile des institutions de l’UE, la question cruciale est celle de la souveraineté monétaire. À cet égard, un gouvernement populaire devrait envisager deux options possibles.

Scénario 1. Sortie de l’Union économique et monétaire et création d’une nouvelle monnaie nationale

Une étape cruciale sur la voie que devra emprunter un gouvernement populaire est le rejet de l’Union économique et monétaire (UEM), et de sa structure économique néolibérale telle qu’elle existe actuellement.

L’UEM est l’épine dorsale du marché unique et le dispositif disciplinaire aujourd’hui le plus efficace pour imposer une politique et une idéologie néolibérales. Les nations d’Europe n’ont pas besoin d’une monnaie commune pour engager une coopération libre et fructueuse entre elles, et elles n’ont certainement pas besoin de l’euro. Inversement, plus longtemps l’UEM se maintient et plus elle devient rigide, plus il sera difficile de mettre en œuvre des mesures anticapitalistes en Europe.

Démantèlement total de l’union monétaire et mise en place de dispositifs alternatifs. Pour les pays périphériques, et en particulier pour la périphérie du Sud de l’Europe, la sortie de l’UEM telle qu’elle existe actuellement, est impérative. Sortir de cette cage d’acier est un moyen nécessaire pour mettre en oeuvre des politiques permettant de développer l’économie, d’absorber le chômage par la création d’emplois bien rémunérés, de réduire la pauvreté et de mettre les pays sur la voie d’une croissance soutenue et soutenable. La sortie n’est certainement pas un processus facile, mais il existe aujourd’hui des connaissances considérables au sujet de la façon d’y parvenir avec le moins de perturbations possible. [3] Si la sortie était consensuelle, les coûts en seraient encore réduits.

Pour les pays du centre, la question de l’UEM est beaucoup plus complexe, car elle implique le démantèlement total de l’union monétaire et la mise en place de dispositifs alternatifs. L’UEM ne devrait certainement pas être remplacée par une concurrence sans entraves entre les pays sur les marchés des changes. L’Europe a besoin d’un système de stabilisation des taux de change et d’un moyen de paiement entre pays. Les connaissances techniques pour atteindre ces objectifs existent, et certains des mécanismes de l’ancien système monétaire européen existent encore.

L’UE est une énorme entité économique dans laquelle la plupart des échanges commerciaux ont lieu entre les États membres. Dans une telle économie, il est certainement possible de stabiliser les taux de change et de produire des résultats économiques bien meilleurs que ceux obtenus par l’euro au cours de ses deux décennies d’existence. Pour cela, il serait nécessaire de choisir une monnaie d’ancrage de même que d’appliquer des contrôles sur la circulation des capitaux à travers l’Europe. La flexibilité pourrait alors consister à rééquilibrer les relations extérieures des économies de l’UE. Avec un contrôle des capitaux en place, il serait même plausible de concevoir un nouveau moyen de paiement commun basé sur des principes de solidarité qui ne serait utilisé par les Etats européens que pour faciliter les transactions internationales et non comme monnaie nationale.

Le démantèlement de l’UEM permettrait d’ouvrir la voie à un changement radical plus vaste au sein de l’UE. Cela signifierait une modification radicale du caractère de la BCE, de l’Eurogroupe et du Mécanisme européen de stabilité. (MES). Cela permettrait de supprimer les contraintes externes pesant sur les opérations des autres institutions de l’UE, y compris le contrôle des activités fiscales des États membres. Ce démantèlement permettrait d’assouplir l’acquis communautaire en supprimant toute une série de directives et de règlements. Et cela supprimerait également le dispositif disciplinaire le plus strict parmi ceux qui sont actuellement dirigés à l’encontre des travailleurs dans une grande partie de l’Europe. S’il est provoqué par les forces populaires, le démantèlement de l’UEM pourra constituer un pas important contre le régime néolibéral de l’UE.

Scénario 2. Une monnaie alternative en restant dans l’UEM

L’avantage politique d’une monnaie alternative, même si elle est simplement complémentaire, est qu’elle permet, sans devoir se débarrasser de la monnaie internationale, de répondre à plusieurs défis. Tout en facilitant l’émergence de certaines activités secondaires, qui, autrement, ne seraient pas très étendues ou se dérouleraient de manière informelle, les pouvoirs publics disposeraient ainsi d’une plus grande marge de manœuvre pour traiter les paiements.

Il pourrait s’agir d’une mesure ex ante, en relation avec d’éventuels conflits politiques causés par des représailles de l’UE en raison de divergences liées à la politique économique adoptée. C’est le cas par exemple des représailles à l’égard de politiques qui ne s’inscrivent pas dans les Traités européens ou dans le Pacte de stabilité et de croissance, et qui pourraient consister en une menace de retrait de liquidités ou en des mécanismes d’expulsion ou de sortie de l’UEM. 

Dans ce cas, la mise en place d’une monnaie complémentaire permettrait de se doter d’un moyen garantissant les transactions internes, et évitant ou atténuant tout processus de transition désordonnée. Elle offrirait un moyen pour une souveraineté monétaire permettant de remplacer l’euro.

Dans un premier temps, la monnaie complémentaire serait utilisée pour le paiement des fonctionnaires et des services liés au secteur public. Le gouvernement accepterait le paiement des impôts dans cette monnaie.

Pour éviter un rejet de cette nouvelle monnaie, elle devrait avoir, au moins dans un premier temps, la parité avec la monnaie dominante.

Seule la monnaie complémentaire pourrait jouer un rôle de transition et d’amortisseur, et d’élargissement de la marge de manœuvre, dans un contexte défavorable de rupture avec une zone monétaire antérieure.

Les caractéristiques d’une telle monnaie alternative seraient – dans un premier temps mais elles pourraient être révisables en fonction du contexte macroéconomique et politique – les suivantes :

• Dans une première phase, la monnaie serait complémentaire.

• Elle inviterait les monnaies locales à établir une relation avec cette monnaie, afin d’unifier le système monétaire complémentaire et d’amplifier sa recevabilité et son impact.

• Cette monnaie alternative serait, en principe, en parité avec la monnaie principale.

• Elle serait appuyée par l’imposition future.

• Elle disposerait de plusieurs canaux de circulation et systèmes de paiement : cartes électroniques pour les transactions mineures, complétées par les pièces et le papier, et monnaie numérique virtuelle identifiant les transactions et les agents pour les volumes moyens et élevés (à partir de 300 euros).

• Dans un premier temps, son cours serait requis dans les transactions avec le secteur public et le secteur bénévole dans le secteur intra-privé.

• Il s’agirait d’une monnaie alternative avec une date d’expiration à compter de son émission, par exemple après cinq ans, mais une période plus courte peut être étudiée, dans tous les cas de nature renouvelable.

• La monnaie alternative peut être conçue pour mettre fin au monopole de l’intermédiation bancaire privée, en donnant la possibilité à la future banque publique de prendre le pas sur la banque privée, tout en coexistant avec des banques coopératives régionales ou des banques éthiques.

• Pour éviter un excès de pouvoir des entités dédiées à l’opération monétaire, il serait possible de créer une banque centrale en charge des émissions réglementées et de la politique monétaire, sous contrôle social et démocratique.

Les initiatives de moyen terme au niveau international

Quitter ou court-circuiter l’UEM, et éventu¬ellement quitter l’UE, si cela est fait pour mettre en œuvre des politiques de soutien aux travailleurs (quelle que soit leur nationalité) contre le capital, ne constitue pas une démarche nationaliste et ne représenterait pas non plus un retour à des États concurrents et en guerre en Europe. Au contraire, cela pourrait signaler l’émergence d’un internationalisme radical qui s’appuierait sur la force exprimée au niveau domestique pour rejeter les structures dysfonctionnelles et hégémoniques de l’UE. Cette rupture permettrait des politiques économiques concrètes créant une véritable base de solidarité en Europe et donnant un contenu nouveau à la souveraineté populaire et aux droits démocratiques, à l’intérieur ou au-delà des frontières existantes. Elle pourrait aussi conduire à de nouvelles formes d’alliances interétatiques en Europe, voire à un modèle alternatif d’espace supranational, démocratique et solidaire basé sur la coopération entre les peuples et sur l’internationalisme, déconnecté du développement capitaliste et qui refléterait le nouvel équilibre des forces entre les classes.

Un gouvernement populaire a besoin d’un programme écologique, socialiste et internationaliste de long terme au niveau international. Dans cette perspective, il devrait rechercher de nouvelles alliances en Europe et hors d’Europe. Cela pourrait passer par la proposition d’un nouveau cadre solidaire axé sur la coopération et l’intégration des ressources financières, des accords de commerce ainsi que des échanges de matières premières (énergie) équitables et la coopération en matière d’investissement. L’objectif est d’encourager la coopération et la solidarité populaires tout en rompant avec les contraintes des traités et des institutions de l’UE.

La forme et le contenu réels d’une coopération européenne renouvelée dépendraient du régime social et politique interne des États membres.

L’internationalisme ouvrier commence toujours chez soi. Si le capitalisme était contesté au niveau national, plusieurs formes d’intégration fédérale socialiste deviendraient possibles en Europe.

C’est un objectif réalisable et valable pour la gauche populaire européenne. Plus tôt elle commencera à engager un débat ouvert et à agir dans ce sens, mieux ce sera pour les peuples du continent.



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