Macron : quel progressisme ?

jeudi 11 avril 2019.
 

Le mouvement LREM de Macron veut se doter d’une idéologie dite progressiste. Or c’est là une imposture qui confond le progrès quantitatif et le progrès qualitatif, avec sa dimension humaine. De plus, il s’appuie sur une conception individualiste de l’homme qui oublie les conditionnements qui pèsent sur lui. ll faut lui opposer un projet socialiste d’émancipation, toujours possible !

Le mouvement de Macron, LRM, entend se donner enfin une identité idéologique, nommée « progressisme » – ce qui est en soi une incongruité puisque cette identité aurait déjà dû exister et fonder ce mouvement sur une base claire et assumée. A quoi s’ajoute le fait qu’il en a une dès l’origine (voir le livre-programme Révolution), mais guère connue des français qui ont élu notre président. Or, à lire ce qu’on sait d’elle à partir des commentaires publics sur cette idéologie à venir, on est saisi par son inconsistance et par ses insuffisances sémantiques. Car, si elle se base sur l’idée de « progrès », elle oublie qu’il y a progrès et progrès ! Clarifions donc la chose.

Il y a un progrès quantitatif, qui se traduit dans l’évolution des sciences et des techniques, lequel est cumulatif : le nombre de connaissances et de techniques qu’elles permettent est en en croissance indéfinie, celles-ci s’additionnent d’une manière ou d’une autre les unes aux autres – même quand une nouvelle technique se contente d’intégrer un ancien acquis. Or, ce progrès est neutre sur le plan normatif , au sens moral de ce terme : c’est un fait qui ne nous dit rien de la valeur humaine de ses conséquences et, surtout, des usages que l’on peut en faire. Pourtant, la prise compte de cette double dimension est décisive, laquelle peut être bonne (la plupart du temps), mais aussi mauvaise : voir l’énergie nucléaire et son utilisation dans la bombe atomique, ou les usages à venir de la biologie la plus récente dans la modification possible de l’être humain. Mais surtout, ce progrès, tout le monde, j’entends tous les partis peuvent s’en réclamer : en quoi l’idéologie de LRM serait-elle originale à ce niveau, d’autant plus que Macron n’est guère attentif aux effets de ce progrès sur les hommes. Mot-valise, donc, et vide d’un sens original et fort qui pourrait assurer une innovation de fond en politique !

Mais il y a aussi, corrélé au précédent, le progrès économique, lui aussi quantitatif. C’est l’obsession de Macron avec son option radicale et pleinement libérale en faveur de la croissance et de la productivité à tout prix, ce qu’il nomme « l’efficacité ». Or c’est là que le bât blesse. Ce progrès, chez lui et donc dans son mouvement, est rigoureusement indifférent à ses conséquences qu’il faut dire clairement morales (en l’occurrence immorales) sur les êtres humains et les rapports sociaux de travail dans lesquels ils sont pris, et il occulte donc la question de la justice sociale. Il a beau croire (?) et dire que l’efficacité entraîne cette justice, c’est là une imposture : l’efficacité productive augmente les richesses, mais elle n’a aucune conséquence directe et automatique sur la répartition de celles-ci au sein de la population… contrairement à ce qu’il nous suggère avec sa théorie du ruissellement qui voudrait que l’enrichissement des plus riches, en haut, entraîne celui des pauvres, en bas ! Tout ce qui s’est passé depuis déjà un an va exactement en sens inverse ! Et je précise brièvement : plus on entend être efficace économiquement, plus on tend à produire de l’injustice sociale, comme par les délocalisations dans des pays où le coût du travail est faible, lesquelles entraînent le chômage ici ; ou encore par l’intensification du travail à travers l’allongement de sa durée ou la culture du résultat un peu partout, qui cause de nombreux troubles psychologiques chez les travailleurs ces temps-ci, dans bien des métiers ! La justice sociale ne relève donc pas d’une politique centrée sur la croissance érigée en absolu, mais sur le partage des richesses au sein d’un pays où la richesse produite est déjà très grande, la France étant la 5ème puissance du monde de ce point de vue. Autant dire que l’idéologie que RLM nous prépare est une contre-révolution libérale qui « n’ose pas dire son nom » et qui nous oriente non vers un modèle de société de type scandinave (comme certains le prétendent) mais vers une société libérale à la Thatcher, matinée du vague social-libéralisme de Tony Blair !

C’est donc à renverser de fond en comble cette perspective qu’une vraie conception progressiste doit s’atteler, et d’abord à un niveau réflexif ou philosophique. Celle-ci (qui n’exclut pas l’autre progrès) exige de mettre en avant un progrès de type qualitatif inspiré par des valeurs morales universelles telles que la Déclaration de 1789 les a formulées ; et il doit porter à la fois sur les rapports sociaux pour mettre fin à l’exploitation du travail et aux inégalités de classes qu’elle engendre, et sur l’épanouissement de chacun dans sa vie concrète, (lequel est empêché par le capitalisme dominant), ce qu’il faut appeler l’émancipation. C’est le propre de la pensée marxiste, en plein renouveau ces temps-ci, même si les médias n’en parlent guère, que de concevoir un pareil progrès qualitatif avec ses deux aspects et d’en faire son objectif pratique sous le nom de « socialisme » (ou de « communisme », peu importe ici). Et je fais le pari que celui-ci reviendra en politique à terme : on en sera définitivement convaincu lorsque l’on aura cessé d’identifier ce régime, souhaitable et même exigible, avec ce qui s’est fait dans le système soviétique qui en a défiguré le sens ! Mais cela suppose aussi, théoriquement, que l’on cesse de se référer à un individu abstrait, autonome et auto-suffisant, doté d’une capacité d’initiative personnelle totalement imaginaire dans la société actuelle et à laquelle, pourtant, Macron ne cesse de faire appel d’une manière incantatoire. Celui-ci, dans le plus pur style de la pensée libérale telle que Hayek l’a illustrée dans son œuvre, quand il pense l’homme individuel fait totalement abstraction des sciences sociales et de ce qu’elles nous apprennent sur les rapports sociaux, sur le poids du milieu et des conditions objectives qui déterminent largement ce que sont les êtres humains ainsi que leur capacité d’agir. C’est donc seulement en transformant ces conditions, ce qui suppose que l’on en ait conscience, que l’on peut humaniser la société et « faire plus pour ceux qui ont moins » (je le cite !). On aura compris qu’il faut cesser d’appréhender réellement la politique dans un langage technocratique et froid et la fonder, comme le souhaitait Rousseau, sur la morale, non seulement dans ses moyens, mais dan ses fins.

C’est le contraire qui semble s’amorcer chez RLM : ce que ses partisans croient être un « progressisme » n’est qu’un « régressisme », un retour au pire individualisme égoïste en politique. Or non seulement celui-ci doit être condamné moralement d’une manière inconditionnelle, mais rejeté pour le danger énorme dont il est porteur : c’est avec ce type de projet que l’on alimente la montée de l’extrême-droite fascisante, comme cela se passe dans bien d’autres pays où le libéralisme économique est roi !

Yvon Quiniou


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