Les lumières d’un trou noir – Comment photographier de l’invisible ?

dimanche 28 avril 2019.
 

Non seulement la reconstruction photographique d’un trou noir est un défi qu’on pensait impossible, mais surtout elle confirme les théories d’Einstein, y compris sur des échelles de distance gigantesques. Et peut-être aussi, comme l’indique l’exergue, parce que subsiste une fascination populaire pour tout ce qui touche à Einstein.

Pourquoi un tel remue-ménage journalistique au sujet du trou noir M87* de la galaxie Messier 87 ?

Non seulement la reconstruction photographique d’un trou noir est un défi qu’on pensait impossible, mais surtout elle confirme les théories d’Einstein, y compris sur des échelles de distance gigantesques. Et peut-être aussi, comme l’indique l’exergue, parce que subsiste une fascination populaire pour tout ce qui touche à Einstein.

Qu’est-ce qu’un trou noir ?

Contentons-nous d’une explication naïve [1]. Si on lance un caillou en l’air, il retombe à cause de la gravitation créée par la masse de la Terre. Mais si on lui communique une vitesse initiale de plus de 40 000 km/h, il ne retombera plus et s’éloignera indéfiniment. Cette vitesse appelée « vitesse de libération » est d’autant plus grande que la masse de la planète de départ est importante : à partir du Soleil elle serait de plus de 2 millions de km/h. Mais que se passerait-il sur un astre suffisamment massif pour que cette vitesse dépasse celle de la lumière ? Comme cette vitesse ne peut jamais être atteinte, rien ne pourrait donc s’en échapper. C’est sûrement le cas de M87* dont la masse est 6,5 milliards de fois celle du Soleil.

Laplace faisait la remarque suivante : « Un astre lumineux, de la même densité que la Terre, et dont le diamètre serait 250 fois plus grand que le Soleil [2] ne permettrait, en vertu de son attraction, à aucun de ses rayons de parvenir jusqu’à nous. Il est dès lors possible que les plus grands corps lumineux de l’univers puissent, par cette cause, être invisibles. »

Pour un texte écrit en 1796, n’est-ce pas splendide ?

Mais comment photographier de l’invisible ? On ne le peut évidemment pas, mais ce sont les particules qui vont être englouties par le trou noir, intensément chauffées, qui émettent une lumière (courbée par le champ intense de pesanteur de M87*). C’est ce que montre la photo.

Une prouesse technique au défi de grandeurs astronomiques

La voie lactée est « notre » galaxie, une parmi tant d’autres puisqu’on en a recensé plus de 100 milliards, comprenant chacune plus de 200 milliards d’étoiles [3]. Au centre de beaucoup d’entre elles, on pense qu’existe un trou noir massif. Celui de la galaxie Messier 87 a un diamètre – qu’on peut juger gigantesque – de 40 milliards de km ; mais comme il est situé à 53 millions d’années-lumière de la Terre, on le voit aussi petit qu’un cheveu sur la Lune…

La photo n’a donc pas été prise avec un appareil muni d’un gros téléobjectif, mais résulte de la « vision » d’une antenne virtuelle de la taille de la Terre qui combine des signaux radio à haute fréquence. Ces signaux sont reçus par huit stations radio-millimétriques réparties sur quatre continents. Et chaque observatoire comporte une horloge atomique pour permettre de suivre le même astre en même temps, à un dix millième de milliardième de seconde près !

Quel intérêt ?

La même question s’était posée pour la découverte du boson de Higgs [4] ou des ondes gravitationnelles [5]. Nous avions répondu qu’il n’y avait jamais de progrès décisif dans la connaissance qui ne soit suivi tôt ou tard – et de façon non prédictible – d’implications pratiques. Dans le cas de la photo de M87* il s’agit d’une confirmation supplémentaire forte de la théorie de la relativité générale au moment où les mystères de la matière et de l’énergie noires en justifient une relecture critique. Est-ce utile de rappeler que cette théorie qui paraît bien abstraite est, entre autres, indispensable au fonctionnement de nos téléphones portables ?

Hubert Krivine

Footnotes

[1] En fait la bonne compréhension de ce qu’est un trou noir requiert la théorie de la relativité générale, voire de la mécanique quantique. On vous en épargnera ici.

[2] C’est-à-dire 16 millions de fois plus massif, puisque la masse d’une sphère varie comme le cube de son rayon [ndlr].

[3] Dont on peut supposer que chacune est entourée d’un système planétaire (les exoplanètes). Rien que notre galaxie contiendrait de l’ordre de 100 milliards de planètes. On est loin des quelques exoplanètes découvertes dans les années 1990 !

[4] ESSF (article 30150), Le boson de Higgs, et alors ?.

[5] ESSF (article 37198), Einstein, un siècle après : l’onde gravitationnelle, pourquoi faire ?.


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