La pollution agricole

jeudi 24 novembre 2005.
 

Un peu d’histoire ...

Au cours de la seconde guerre mondiale, la majorité des Français ont subi un rationnement alimentaire sévère. La guerre a considérablement déstructuré l’appareil de production et ouvert la porte à la spéculation. Les restrictions alimentaires, qui vont s’aggraver en 1947 pour le pain, vont perdurer jusqu’en 1949.

Après la libération, le pays doit se reconstruire, réorganiser et moderniser son agriculture. L’agriculture va rapidement devenir un des moteurs du redémarrage économique. Déjà avant-guerre, la crise économique des années 30 avait fait découvrir aux agriculteurs l’intérêt de se grouper pour se défendre et s’organiser et des syndicats de battages et des coopératives de culture mécanique ont vu le jour. À la fin de 1945, La Confédération Générale de l’Agriculture met en place le réseau coopératif agricole et crée l’Union Nationale des Coopératives d’Utilisation de Matériel Agricole (CUMA) chargée d’assurer l’approvisionnement du pays. Les Cuma se développent très rapidement dans le pays (8000 Cuma et coopératives de battage et service en 1949), mais au cours des années 50, par manque de préparation de ces coopératives, de nombreuses dissolutions de Cuma surviennent. Les Unions départementales ont du mal à se mettre en place. L’Union Nationale des CUMA est dissoute et la Confédération Générale de l’Agriculture éclate, rapidement remplacée par la FNSEA qui voit alors le jour.

À partir de 1954, les Cuma vont se réorganiser sur de nouvelles bases, encouragées par les Pouvoirs Publics qui les encouragent en leur attribuant des aides à l’investissement. Le 29 mai 1956 à Venise, six pays fondateurs, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, La République Fédérale d’Allemagne forment le projet de créer une communauté économique européenne (CEE). Le Traité de Rome signé le 25 mars 1957 donne naissance à la CEE et l’EURATOM qui rejoignent la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) créée par le Traité de Paris le 18 avril 1951. Plus tard, en 1993, elles fusionneront pour constituer L’Union Européenne.

Le traité de Rome de 1957 prévoyait, par son article 39, la mise en place d’une Politique Agricole Commune (PAC) qui avait pour objectifs l’accroissement de la productivité agricole, la garantie d’un revenu décent aux agriculteurs, la stabilisation de quatre grands marchés et la mise en place d’une sécurité alimentaire à un coût abordable pour l’ensemble des populations.

Les mécanismes de La PAC reposent essentiellement sur des prix communs et des organisations communes de marché (OCM) qui sont différentes selon les conditions de production et de vente des produits. Les quatre OCM regroupent un nombre limité de produits agricoles :

1. Les céréales, le beurre, le lait écrémé en poudre, le sucre et la viande bovine (70 % de la production),

2. Les oeufs et volailles, les vins de qualité, les fleurs, de nombreux fruits et légumes. (25 % de la production),

3. Le colza, les graines de tournesol, les semences de coton et les protéagineux,

4. Le lin et le chanvre, le houblon, les vers à soie et les semences.

La politique de la PAC est financée par le Fonds Européen d’Orientation et de Garantie Agricole (FEOGA), créé en décembre 1962, et qui se compose d’une section garantie destinée à soutenir les quatre OCM, et d’une section orientation destinée à impulser les développements et les orientations définis par la PAC. Le montant et la répartition des dépenses agricoles sont décidés par le Conseil et le Parlement Européen dans le cadre du budget général.

La période 1965-1980 connaît un développement extraordinaire de la productivité agricole encouragé par la PAC, mais très vite dénoncé par le syndicalisme de gauche (paysans-travailleurs) dont bon nombre de ses militants sont membres de Cuma. En résumé, le modèle de développement agricole européen, conçu après la deuxième guerre mondiale, à la fin des années ‘50, se caractérise par la mécanisation systématique, l’apport massif d’intrants (engrais et produits phytosanitaires) pour accroître considérablement les rendements, l’introduction massive de capitaux, l’incorporation de technologies biologiques, et la spécialisation de la production. Ces pratiques ont transformé radicalement l’agriculture et ont permis l’accroissement continue des rendements et de la productivité entre 1945 et l’époque actuelle (2005).

Les mutations des populations agricoles Au début du XIXe siècle les emplois agricoles représentaient 65 % de la population active alors que l’industrie en représentait 20 % et les emplois tertiaires 15 %. Après la Première Guerre Mondiale, en 1918, les emplois agricoles ne représentaient plus que 37 % de la population active alors que l’industrie en représentait 33 % et les emplois tertiaires 30 %.

Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, en 1945, les emplois agricoles représentaient encore 31 % de la population active alors que l’industrie en représentait 33 % et les emplois tertiaires 33 %.

En 1970, les emplois agricoles avaient chutés à 13 % de la population active alors que l’industrie en représentait encore 38 % et les emplois tertiaires 48 %. Enfin en 1995, les emplois agricoles avaient chuté à 4,5 % de la population active alors que l’industrie avait chuté à 25,5 % et les emplois tertiaires grimpés à 70 % Au lendemain de la guerre 1939-1945, chaque agriculteur nourrissait en moyenne deux personnes, actuellement, il en nourrit de 10 à 15 fois plus. Le mot d’ordre donné au lendemain de la Libération : “nourrir tous les Français” a été entendu. Cet énorme accroissement de la production s’est accompagné d’une régression massive d’emplois. Les agricoles sont passés d’environ 6 000 000 en 1955 à 1 506 000 en 1995 soit quatre fois moins. L’agriculture française a ainsi perdu depuis 1945 pas moins de 5 millions d’actifs. Aucun autre secteur économique n’a connu une régression d’emplois aussi massive.

Si l’indice du volume de la production agricole de 1945 était pris comme indice 100 de référence, en 1995 ce même indice est passé à 245, soit une progression de 2,45 fois. Comme pendant la même période les agricoles actifs sont passés de 31 % à 4,5 % de la population, leur pourcentage dans la population a donc diminué de 6,88 fois. La productivité a donc augmenté pour l’ensemble de la population agricole de 2,45 x 6,88 soit de 16,86fois.

Ces chiffres montrent que l’agriculture est le secteur d’activité dans lequel les gains de productivité ont été les plus forts et les plus rapides. Pour obtenir ces résultats les agriculteurs ont dû changer de métier. De “paysans”, ils sont devenus “exploitants agricoles” à grands coups d’efforts d’adaptation, de modernisation, de mécanisation, de transformation des modes d’exploitation et d’acquisition de compétences dans tous les domaines. Dans le même temps, pour rester “rentables”, ils ont profondément modifié leurs pratiques culturales et sont devenus dépendants des progrès des semenciers (sélection génétique), des industries chimiques et pharmaceutique (engrais, traitements phytosanitaires), des fabricants de matériel agricole et des banques dont ils sont devenus une ressource économique majeure.

L’utilisation massive d’intrants externes Si l’accroissement de productivité des agricultures française et européenne est aussi impressionnant, il a bien fallu tirer cette richesse de quelque part. Le côté obscur de l’agriculture productiviste réside bien sur dans la prédation démesurée qu’elle fait subir aux ressources naturelles.

L’obtention de rendements élevés nécessite l’utilisation massive “d’intrants externes” qui est le nom donné aux engrais (phosphorés et azotés) et aux produits phytosanitaires (fongicides, herbicides, insecticides et produits divers) dans notre pays. La France est le second consommateur mondial de pesticides derrière les USA et le premier utilisateur européen. En France, on estime qu’en 2003, 74 500 tonnes de pesticides (matière active) ont été épandus, essentiellement au printemps et en été, sur quelque 14 millions d’hectares de terres cultivables ce qui représente, en moyenne nationale, 5,4 kg/ha/an de matière active. Cette moyenne place la France en troisième position derrière les Pays-Bas et la Belgique. Près de 80 % des pesticides sont utilisés par 4 cultures : 40 % des pesticides sont utilisés pour les céréales qui représentent 24 % de la Surface Agricole Utile (SAU), 20 % pour la vigne sur 3 % de la SAU, 10% pour le maïs sur 7 % de la SAU et 9 % pour le colza sur 4 % de la SAU.

La quantité de pesticides utilisés au cours du temps est à peu près stable en France depuis 1990 (97 700 tonnes) après un accroissement jusqu’en 1999 (120 500 tonnes) et une décroissance jusqu’à 2003 (74 500 tonnes). On considère que lors de leur application, entre 25 à 75 % des pesticides sont volatilisés dans l’atmosphère et s’adsorbent en particulier sur les microparticules d’argile que soulève le vent. Parmi les pesticides utilisés, les fongicides représentent 55 % du tonnage utilisé, les herbicides 33 %, les insecticides 3 % et les produits divers 10%. Il ne faut surtout pas oublier les quelque 1 300 tonnes d’antibiotiques utilisés en élevage dont l’effet sur la santé humaine est important et qui représentent le double de la quantité totale d’antibiotiques utilisée pour soigner les humains (essentiellement de la tétracycline pour 600 tonnes, des sulfamides et du triméthoprime pour 260 tonnes, des macrolides pour 130 tonnes, et des ß-lactamines).

Les engrais azotés sont utilisés pour leur part en quantités lentement décroissantes. Utilisées à plus de 200 kg/ha/an à la fin des années ’80, les quantités moyennes utilisées se sont stabilisées vers 180 kg/ha/an pour s’abaisser vers 160 kg/ha/an au début des années 2000. Pendant la même période, les engrais phosphatés ont été utilisés à raison de 60 à 30 kg/ha/an.

La dégradation accélérée des ressources environnementales Tous ces produits toxiques (les pesticides ont créés pour tuer les êtres vivants) déversés à la tonne sur les champs sont entraînés par les pluies, le ruissellement et le vent vont contaminer les ruisseaux, les rivières, les nappes phréatiques et même les eaux souterraines dans les régions karstiques. Ces molécules se retrouvent dans les eaux où elles favorisent l’eutrophisation dans le cas des nitrates et des phosphates en stimulant la multiplication d’algues verte ou de cyanobactéries génératrices de toxines de spécificités hépatique ou neurologique. Dans le cas des pesticides, quand les molécules sont stables, elles peuvent perdurer pendant des années dans l’environnement comme les PCB. Quand elles sont partiellement biodégradables par les bactéries de l’environnement, elles peuvent générer des métabolites dérivés plus toxiques que la molécule initiale.

Dans tous les cas, ces molécules diffusent très rapidement dans les eaux et s’accumulent dans la chaîne alimentaire. Leur très grande diversité représente le problème le plus important que les responsables de santé publique aient à résoudre. Il est en effet quasiment impossible d’évaluer la quantité totale de ces molécules, très actives sur le plan biologique, par un ou quelques dosages physico-chimiques simples. En tout état de cause l’évaluation des risques qu’elles font encourir à la santé publique ne peut être envisagée que par la mise en place de tests biologiques capables d’intégrer les multiples effets de ces mélanges toxiques. Ces tests ne sont toujours pas fonctionnels aujourd’hui. Il va sans dire que, dans cette forêt de molécules plus toxiques les unes que les autres, l’application et le respect des normes réglementaires est une vue de l’esprit administratif qui les a créées.

La description des problèmes de santé liés à cette pollution dépasse sensiblement le cadre de cet article, mais il est indispensable de rappeler l’Appel de Paris lancé solennellement depuis l’UNESCO le 7 mai 2004 par une brochette de scientifiques prestigieux dont plusieurs Prix Nobel :

« Nous, scientifiques, médecins, juristes, humanistes, citoyens, convaincus de l’urgence et de la gravité de la situation, déclarons que,

Article 1 : Le développement de nombreuses maladies actuelles est consécutif à la dégradation de l’environnement

Article 2 : La pollution chimique constitue une menace grave pour l’enfant et pour la survie de l’Homme

Article 3 : Notre santé, celle de nos enfants et celle des générations futures étant en péril, c’est l’espèce humaine qui est elle-même en danger.

Nos responsables politiques et surtout économiques ne pourront pas dire qu’ils n’étaient pas au courant. De même, il ne nous est plus permis de nous cacher la tête dans le sable comme les autruches et laisser le capitalisme poursuivre son œuvre de destruction massive sur notre planète pour sauvegarder ses profits. »

DANGLOT Claude, médecin chercheur en santé-environnement.

Mis en ligne le 26 octobre 2005


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