Concession des autoroutes : le jackpot pour le privé

mardi 7 mai 2019.
 

En ce jour de 2005, Dominique de Villepin est tout heureux d’annoncer le prix obtenu pour les concessions d’autoroutes : 14,8 milliards d’euros. Une bonne affaire paraît-il, pour un État en manque d’argent. Les « experts » nʼestimaient-t-ils pas que la concession de notre réseau autoroutier pour 25 ans ne valait guère plus de 11 milliards ? Et puis, promis, juré, ce sera une aubaine pour le pouvoir d’achat des Français : le prix des péages n’augmentera au maximum que de 70 % de l’inflation. Si, si, regardez, c’est écrit noir sur blanc dans le contrat…

Voilà comment a commencé l’un des plus grands scandales financiers dont sont aujourd’hui victimes tous les Français dépossédés de leur bien. Clairement, nous avons été spoliés et tout le monde va vite s’en rendre compte.

La grande braderie

Très vite, les bénéfices engendrés interpellent, au point que, dès 2009, la Cour des comptes publie un rapport établissant que le prix a été sous-estimé de… 10 milliards d’euros. Rien que cela ! Mais, en réalité, on est encore très loin du chiffre exact car, année après année, les résultats exceptionnels s’accumulent et les dividendes aussi. De 2007 à 2017, ce sont 26 milliards qui vont dans les poches des actionnaires (il aura fallu toute l’opiniâtreté d’un journaliste de Libération pour enfin obtenir une estimation fiable) et, selon toute vraisemblance, ce seront au final plus de 40 milliards qui vont être accaparés par les grands groupes du BTP – Vinci, Eiffage et la société autoroutière espagnole Abertis principalement. Ce n’était pas les soldes en 2005, mais bien la grande braderie !

Il faut dire que la promesse d’un coût du péage qui augmente moins vite que l’inflation restera un mirage. De Villepin a fait sienne l’adage chiraquien selon lequel « les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent » ! Mais comment est-ce possible, alors même que les contrats de concession contenaient bel et bien des clauses dʼencadrement des prix ? Tout simplement parce qu’on ne nous avait pas tout dit ! Comme dans tout contrat avec des sociétés à but lucratif, il faut lire les petites lignes en bas de la page… La société d’autoroute met-elle un panneau lumineux, une augmentation au-delà du plafond ; elle rénove une aire d’autoroute, idem : bref, l’encadrement n’en est plus un ! Et comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, ce sont évidemment les filiales du groupe qui vont en partie réaliser ces travaux. C’est jackpot sur les deux tableaux : de lʼactivité pour les filiales de Vinci et Eiffage, et des prix à la hausse pour booster les profits des sociétés-mères.

Insatiable finance

Le capitaliste étant un animal insatiable dès lors quʼil a identifié une proie facile, il fallait à ces grands patrons encore trouver des solutions pour accroître leurs marges. Comment ? En taillant dans les effectifs pardi ! Et pas qu’un peu ! Avant les concessions de 2006, la branche des autoroutes comptabilisait environ 20 000 salariés, aujourd’hui c’est moins de 13 000. Automatisation, gain de productivité – y compris sur les métiers de la sécurité –, la machine à pressurer les salariés s’est mise en route, avec l’aval des gouvernements successifs.

Le comble, c’est que ces sociétés dont tout le monde sait qu’elles rencontrent naturellement de graves problèmes de compétitivité et de concurrence touchent… le CICE ! Sur les trois dernières années, les cinq principales sociétés d’autoroutes se sont partagé sans vergogne environ 41,5 millions d’euros. Quand il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir, surtout à l’heure où l’État, faute de cette manne annuelle, cherche de l’argent pour entretenir ses infrastructures et, comme par le passé, a tenté d’augmenter les taxes sur le carburant pour compenser le manque à gagner.

Rendre à César...

Comment peut-on bien se sortir de ce scandale ? Il n’est d’abord pas très surprenant de constater que les grands groupes du BTP sont très attachés à la réalisation de ces contrats de concession, menaçant à plusieurs reprises l’État, avec un intense lobbying, comme le prouve le dernier scandale en date, celui du fameux accord secret signé avec l’actuel président de la République, alors ministre de l’Économie, suite à la tentative de Ségolène Royal de freiner la hausse des péages. Résultat des courses : l’État les a autorisés à pratiquer une hausse complémentaire pour compenser la stagnation de 2015, tout en leur accordant une prolongation des concessions !

Il convient donc d’urgence de donner la parole aux citoyens sur ce bien qui leur appartient de droit. La renationalisation des autoroutes est, non seulement nécessaire, mais aussi absolument légitime. Elle doit être réalisée sans indemnité ni rachat, car il serait honteux que ces grands groupes touchent des compensations conséquentes, après une spoliation aussi inique.

Vous cherchez un référendum dans le cadre du grand débat, M. Macron ? Il est tout trouvé.

Cet article de notre camarade Jérôme Vérité, syndicaliste transport, est à retrouver dans le numéro d’avril de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).


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