UN SAMEDI TRANQUILLE : CN du PS, reniement des trente cinq heures et du Smic à 1500 euros, mini traité européen

lundi 25 juin 2007.
 

Quand arrive ce samedi de fin de partie, c’est à peine si l’on se rend compte de la série des évènements qui se sont empilés de façon si décisive au cours des deux dernières semaines. C’est presque un samedi tranquille. Le conseil national se réunit dans un grand hôtel parisien. Le ciel est gris, l’air est lourd d’un orage qui ne vient pas. A l’arrivée, le mur des caméras et des micros permet de savoir quelle est la question du jour. Plusieurs voix sans visage la lance à la volée. C’est elle qui sera la seule réalité donnée à voir quoiqu’il se passe par ailleurs au cours de la réunion. Ce sera donc pour finir la seule réalité tout court. Je me souviens du temps où cela m’indignait. Dorénavant je m’y adapte aussi bien que je peux. J’ai compris ce qu’était un format de réponse utile.

Il s’agit d’une phrase qui résume votre pensée et qui peut être utilisée en un maximum de deux ou trois secondes au sein d’un reportage. Il faut être assez « caricatural » pour être utile et se méfier des propos dits « en langue de bois » c’est-à-dire des euphémismes qui disent sans dire vraiment. L’euphémisme par contre est l’art majeur des rhétoriques à l’intérieur, quand on accède à la tribune. Le tout est de s’habituer à ces transitions de style.

Aujourd’hui nous sommes sommés d’avoir un avis sur le fait que Ségolène Royal ne viendra pas au Conseil National. Le diable l’emporte ! On ne va donc faire que de parler d’elle, une nouvelle fois, de ses humeurs, de ses caprices, de ses transgressions. Mais pourquoi pas. De toute façon cela n’a aucune espèce d’importance. Tout est joué ailleurs. Ici c’est la vitrine. Il faudra donc subir sans trop broncher des flots de phrases débités sur ce ton impayable d’autorité farcie de modestie ostensible qui est le style de cette maison. Tout cela est débité avec componction par des gens qui se sont moqués comme d’une guigne des idées et des textes qui ont défilé sous leurs yeux au cours des dix dernières années et même de ceux qu’ils signaient.

Maintenant ils se la jouent en prenant des pauses inspirées : importance du débat d’idées, bataille culturelle, hégémonie et tutti quanti. Du Bla Bla. Par pure amitié (en général cette antienne à la tribune annonce un assassinat en règle) je ne cite aucune des absurdités auxquelles cet exercice a lâché la bonde. Commun dénominateur : « nous sommes tous collectivement responsables ».Cela signifie deux choses. Premièrement que personne n’a de responsabilité particulière et que les mêmes sont légitimes à continuer comme avant. Deuxièmement que celui qui ne se sent pas collectivement responsable n’est pas de la famille. Imparable. A bon entendeur, salut !

Commencé à dix heures et quart, le rite du Conseil National est accompli à quatorze heures quinze. C’est cependant un record de durée depuis deux ans. Cela aura duré quatre heures. A quoi bon faire davantage. Une fois que l’essentiel a été bouclé la veille, tout était dit. Quel essentiel ? Il tient en peu de mots. La candidate ne sera pas autorisée à faire son putsch. Point. Hollande restera. Point final. Le plus excitant est de voir comment, une fois sauvé, il reprend pied. Je lui suis reconnaissant de l’humiliation qu’il inflige à ses commensaux en leur rappelant que des textes et des votes, il y en a eu des dizaines depuis 2002 sur tous les sujets. Ils regardaient tous leurs chaussures.

Et moi je me souviens aussi des textes que nous avons adoptés du temps où Lionel Jospin tenait le cycle des Conventions refondatrices de la fin des années 90. Qu’en ont-ils fait ? Tout ce qu’ils en ont retenu c’est l’idée de confier une présidence de groupe de travail à quelqu’un qui animera chaque convention. « Comme avec Lionel ». Ces présidences permettront de « montrer le renouvellement générationnel », « la diversité », « la féminisation » et ainsi de suite. On va beaucoup jouer le faciès et le genre. Du contenu des thèses en présence depuis des années, des têtes qui portent ces thèses : rien. Tout pour l’image.

L’image encore. Celle de Ségolène sur Canal plus. Il est question de l’annonce de sa séparation avec François Hollande. Réplique indignée, long tunnel brodé de leçons d’éthique journalistique. Bien sûr, ce n’est pas elle mais les journalistes qui ont annoncé la nouvelle de sa séparation. Lourde tartine sur ce bobard. On l’a déjà entendu depuis le début de la semaine. Peu importe, on n’en saura pas davantage. Pour une fois la journaliste ne défend pas les confrères. Elle ne lui demande pas pourquoi elle parle de « date choisie pour plus tard » avec François Hollande alors qu’elle donnait une interview le lendemain à sept heures sur France Inter. On passe.

Arrive l’affaire de son reniement des trente cinq heures et du Smic à 1500 euros. Même complaisance. Elle débite ce que l’on savait. L’autre ne lui demande pas pourquoi elle ne l’a jamais dit au cours des réunions sur le projet auxquelles elle participait alors qu’elle s’y était mouillée sur le temps de travail des enseignants et que ses amis étaient montés au créneau sur la suppression des allocations aux familles dès le premier acte d’incivilité des enfants. Passons. Quand elle dit qu’elle n’attaque jamais personne, pas de question sur ses accusations de trahison contre « les éléphants ». Quand elle affirme qu’elle était absente du Conseil National du PS parce qu’elle « se devait à sa région » pas de question sur le miracle qui la rend libre et transportée jusque sur le plateau de télévision où elle se trouve. Le plus stupéfiant est de l’entendre mettre sur le compte de la partialité des médias au service de Sarkozy l’échec de l’élection présidentielle sans un mot de réplique de quelqu’un qui anime une émission sur la campagne depuis le début de celle-ci ! Dans ses conditions à quoi bon faire des interviews ? Pourquoi ne pas lire des communiqués à l’antenne ?

Je jette un oeil navré sur tout cet épisode. Quel cauchemard ! De la pure novlangue, comme dans Orwell. Transparence : mentir pendant la campagne sur les principaux mots d’ordre proposés. Nouvelle façon de faire de la politique : élire le candidat avant d’avoir écrit le programme et lui donner tous les pouvoirs. Et ainsi de suite. Les mots ne veulent plus rien dire de ce qu’ils énoncent et bien heureux quand ils se contentent d’annoncer seulement le contraire de ce qu’ils disent.

Et avec tout ça ? Pas un mot sur la réunion européenne et le mini traité pendant toute la réunion du CN. Une question à Ségolène Royal qui attribue à Angela Merkel plutôt qu’à Sarkozy le résultat enregistré... Incroyable ! Mais même cela ne tirera pas un mot de commentaire ni une question de plus à la journaliste. Ainsi va l’actualité médiatique. Mais qu’est ce que l’actualité ? Une production autonome à l’intérieur de la réalité globale. Celle-ci ne peut pas être connue autrement que par effraction du mur médiatique lui-même. C’est-à-dire dans une stratégie globale où les participants de la sphère médiatique doivent être considérés eux-mêmes comme des acteurs impliqués à titre personnel et non pas du point de vue de l’objet qu’ils traitent (la vérité ou non sur une question) mais du point de vue des motivations et objectifs qu’ils poursuivent pour leur propre compte, exactement comme on le fait d’un quelconque baron ou petits marquis en politique avec qui il est absolument vain de polémiquer sur la nature du socialisme mais dont il convient de repérer les intérêts personnels.

Pour avoir vu s’agiter et commenter à haute voix de façon purement partisane auprès de leurs collègues quelques journalistes pendant le Conseil National du parti socialiste, j’ai fini d’en être convaincu. Ainsi, s’ajoute à nos difficultés que pour un certain nombre de professionnels, une barrière est rompue entre l’implication professionnelle et personnelle jusqu’à un point de confusion qui est une menace pour la crédibilité de tout le système nécessairement intriqué de la politique et des médias. Le mal est déjà fait d’un certain point de vue. Car il est déjà rudement mis à mal sur ce plan par la mise au jour des implications amoureuses qu’il contient et qui continue d’être une clef d’explication pertinente pour le présent.


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