Balkany : Le procès d’un maire qui se croyait tout permis

vendredi 24 mai 2019.
 

Le maire (LR) de Levallois-Perret Patrick Balkany et son épouse Isabelle sont jugés, à partir de lundi 13 mai, pour fraude fiscale et blanchiment notamment. L’avocat Arnaud Claude, longtemps associé et ami de Nicolas Sarkozy, comparaît également.

C’est la grosse boulette. En s’opposant au retour en politique de son ami Didier Schuller dans la ville voisine de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), en vue des municipales de 2014, le maire de Levallois-Perret Patrick Balkany n’a pas compris qu’il se faisait là un ennemi redoutable. Alors que son ancien bras droit l’avait toujours épargné jusque-là, sa rancune et son ire vont s’épancher simultanément dans un livre (French Corruption, Stock) et auprès de deux juges d’instruction.

Interrogé dans l’affaire Takieddine, le 24 octobre 2013, Didier Schuller en profite pour balancer la fortune cachée et les sociétés offshore des Balkany, en remettant plusieurs documents aux magistrats. « J’ai payé ma dette », déclare Schuller, qui a effectivement porté le chapeau pour son ex-patron dans l’affaire de l’office HLM des Hauts-de-Seine, dont il était le directeur. « Je constate que le président […] de l’époque, M. Balkany, a été relaxé. M. Balkany, comme la presse le relate et comme semblent le confirmer les documents [qu’il remet aux juges – ndlr], aurait à sa disposition un palais à Marrakech, une résidence de luxe à Saint-Martin et l’usufruit du Moulin de Giverny. Je suis heureux de voir que ce que je pensais être du financement politique a pu profiter à d’autres fins et sans doute personnelles », assène-t-il.

Un P.-V. explosif, qui provoque aussitôt l’ouverture d’une enquête distincte. Cinq ans et demi plus tard, les investigations ont été fructueuses et débouchent sur le procès de Patrick et Isabelle Balkany, qui s’ouvre lundi devant la XXXIIe chambre correctionnelle de Paris et doit s’étaler sur six semaines. Cette fois, le couple d’amis de Nicolas Sarkozy n’est plus protégé.

Les Balkany à l’Élysée, le 11 mars 2008. © ReutersLes Balkany à l’Élysée, le 11 mars 2008. © Reuters

Patrick Balkany, 70 ans, toujours maire (LR) de Levallois-Perret, est jugé pour « fraude fiscale, blanchiment commis de façon habituelle du délit de fraude fiscale aggravée, corruption passive par une personne dépositaire de l’autorité publique, blanchiment de corruption, prise illégale d’intérêts et déclaration incomplète ou mensongère à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ».

Isabelle Balkany, 71 ans, première adjointe au maire de Levallois, comparaît pour fraude fiscale, blanchiment aggravé et déclaration incomplète à la HATVP. Elle a dû verser une caution d’un million d’euros et tous les biens du couple ont été saisis – ils pourraient être confisqués et revendus par l’État en cas de condamnation définitive.

La présence de la première adjointe au maire de Levallois à l’ouverture des débats n’est pas acquise. Elle a absorbé une forte dose de médicaments le 1er mai, en laissant un message faisant état de sa grande fatigue, et elle était toujours hospitalisée vendredi, selon son avocat. Sollicité par Mediapart, Pierre-Olivier Sur n’indique pas s’il va demander un report du procès, invoquant « le secret médical, le secret professionnel et le respect de la vie privée ».

Longtemps défendus par Grégoire Lafarge (qui a eu des problèmes de santé), les époux Balkany ont désormais chacun leur avocat, le maire de Levallois ayant fait appel au médiatique Éric Dupond-Moretti après l’acquittement de Georges Tron. Il ne faut pas y voir une quelconque divergence mais une « addition de forces », répond le bâtonnier Sur, dont la cliente « reste solidaire, fidèle et amoureuse » de son époux. Émouvant.

Quatre autres personnes seront jugées. Jean-Pierre Aubry, président du club de basket de Paris-Levallois, ancien directeur général de la Semarelp et homme de confiance des Balkany, et l’avocat Arnaud Claude, longtemps associé et ami de Nicolas Sarkozy, sont soupçonnés d’avoir participé aux montages pour dissimuler les biens du couple d’élus de Levallois. L’homme d’affaires saoudien Mohamed Bin Issa Al Jaber est soupçonné d’avoir versé des fonds à Patrick Balkany en échange de droits à construire à Levallois. Alexandre Balkany, le fils de Patrick et Isabelle, doit répondre pour sa part de blanchiment de fraude fiscale.

Le dossier a été bouclé le 6 juillet 2018 par les juges d’instruction Renaud Van Ruymbeke et Patricia Simon, dans une ordonnance de renvoi devant le tribunal de 92 pages (dont Mediapart a pris connaissance). Des commissions rogatoires internationales ont été adressées dans plusieurs pays (Égypte, Suisse, Liechtenstein…). En définitive, les magistrats ont réussi à démêler un écheveau de sociétés-écrans et de structures offshoredestiné à cacher au fisc l’immense patrimoine des Balkany, acquis dans des conditions suspectes. La fortune du couple d’élus a été estimée à 16,5 millions d’euros. Mais de 2008 à 2013, ils n’ont pas payé l’ISF.

Pour les juges d’instruction, les époux Balkany sont les vrais propriétaires du Moulin de Cossy à Giverny (Eure), de la villa Pamplemousse à Saint-Martin (Antilles) et du riad de Marrakech (Maroc), des propriétés luxueuses et coûteuses. Patrick et Isabelle Balkany ont d’abord nié, assurant avoir donné la nue-propriété de leur propriété de Normandie à leurs enfants et n’être que locataires à Saint-Martin et Marrakech, avant de reconnaître progressivement une partie des faits. Ils ont également justifié leur fortune par des héritages importants.

Selon Didier Schuller, ce sont plutôt les entreprises du BTP qui ont enrichi les Balkany, sur fond de bétonnage de Levallois-Perret (ville dont Patrick Balkany a été maire de 1983 à 1995 et de 2001 à aujourd’hui) et des gros marchés passés par l’office HLM des Hauts-de-Seine (dont Patrick Balkany a été le président de 1983 à 1998). Le maire de Levallois aurait notamment acquis un triplex à prix d’ami auprès d’une major du BTP (la Cogedim), qu’il faisait travailler en tant qu’élu. Schuller précise qu’il a longtemps transporté des mallettes d’espèces en Suisse pour son patron, « notamment lors d’échéances électorales ». Il évalue les sommes déposées entre 7 et 10 millions de francs entre 1987 et 1994, citant parmi les donateurs « la SAE et la société de M. Hariri ».

Selon l’ordonnance des juges d’instruction, Patrick Balkany a bénéficié d’un prêt bidon en 1998 lui permettant de rapatrier 10 millions de francs venant de Suisse. Les années suivantes, il a empoché 31 millions de francs, en vendant prétendument des actions de la société familiale Laine et Soie Réty, qui était – en fait – en pleine déconfiture.

Schuller a également détaillé les travaux pharaoniques effectués gratuitement dans l’immense propriété du Moulin de Giverny par des sociétés de Rémi Muzeau, le suppléant de Patrick Balkany, la SAE offrant pour sa part la piscine et le pool house. Fayolle a également offert son obole. Les montages savants destinés à cacher les vrais propriétaires de la villa de Saint-Martin et du riad de Marrakech, via des structures bidons (sociétés offshore et fondations) en Suisse et au Liechtenstein, ont été plus complexes à remonter, mais les juges y sont parvenus.

Outre les témoignages des gardiens, des employés et d’ouvriers, les enquêteurs ont fait quelques trouvailles. C’est l’homme d’affaires Al Jaber qui aurait réglé le prix de l’acquisition du riad de Marrakech, en 2010, en échange du marché de construction des Tours de Levallois (un projet qui a capoté). En 2013, les Balkany ont fait livrer une tonne de meubles de prix dans leur palais, achetés à une société amie (Bertrand Prestige). Patrick Balkany a également touché, en 2009, une commission de 5 millions de dollars en Suisse pour avoir apporté une affaire en Afrique à l’entrepreneur belge Georges Forrest. Entre 2010 et 2013, Patrick Balkany a réglé en espèces plus de 87 000 € à une agence de voyages (Thomas Cook) de Levallois.

Des espèces, on en trouve partout chez les Balkany. Les employés de Giverny reçoivent une partie de leur salaire au noir. Patrick Balkany y vient avec des enveloppes de papier kraft et des liasses d’argent liquide, oublie des billets de 500 euros dans son peignoir et dans ses costumes. Son épouse, elle, change des grosses coupures à la caisse centrale d’un Intermarché. À toutes fins utiles, les enquêteurs précisent dans leur rapport aux juges que les distributeurs automatiques ne fournissent pas de billets de 500 €.

La villa Pamplemousse a été vendue 1,35 million d’euros et le produit de la vente consigné. Le Moulin de Giverny (estimé à 3,35 millions d’euros), le riad de Marrakech (estimé à 2,75 millions d’euros), ainsi qu’un autre bien dans les Yvelines, ont été saisis. Officiellement, les Balkany sont ruinés.


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