Union Européenne Protectionnisme solidaire plutôt que Libre échange

vendredi 31 mai 2019.
 

Entretien avec Fréderic Viale, Juriste, économiste, altermondialiste, candidat de la France insoumise aux élections européennes

En quoi le libre-échange est-il un problème ?

Le libre-échange pose un triple problème : il détermine un cadre de contraintes tel que les décisions publiques sont rendues inefficaces ou impossibles ; il impose un modèle de société qui se veut indépassable ; il est incompatible avec la nécessaire transition écologique.

La démocratie est rendue impossible : dès lors qu’un gouvernement déciderait de réglementations qui iraient dans le sens de l’intérêt général, l’ouverture à la concurrence internationale rendrait cette décision sans effet. En effet, la multiplication des accords de libre-échange donnent des moyens coercitifs aux transnationales contre la puissance publique, tels que les mécanismes d’arbitrage et de "coopération réglementaire". Ces entreprises peuvent efficacement contrer des réglementations qui limiteraient leurs bénéfices escomptés. Dès lors, ce sont bien les entreprises transnationales qui dessinent de fait le périmètre de l’intervention publique (tout ce qui ne les intéresse pas est laissé au public). Dans ces conditions, l’écologie est forcément sacrifiée.

J’ajoute que de manière plus diffuse, le libre-échange trimbale une idéologie du combat à mort de tous contre tous qui est délétère pour une société qui aurait pour ambition d’être humaine.

Les libéraux affirment que le libre-échange permet de baisser les prix et d’augmenter le pouvoir d’achat. C’est faux ?

C’est ni complètement faux ni complètement vrai. La concurrence rendue possible par le libre-échange permet que les entreprises soient poussées à proposer les meilleurs services ou produits moins chers mais elle permet aussi à la plus grosse entreprise de s’imposer. En situation de monopole, elle n’aura pas tendance à baisser ses prix. Quant au pouvoir d’achat, il faut se méfier des apparences : le libre-échange induit une division internationale du travail (certaines zones du monde plutôt dominées par les services, d’autres par la production à faible valeur ajoutée etc.) ce qui amène une destruction massive d’emplois partout au nom de l’adaptation permanente à la nouvelle donne imposée par la concurrence – avec son lot de délocalisations et de chômage. Et donc, une baisse du pouvoir d’achat. Non, le libre-échange est pensé pour les bénéfices des transnationales, les prix et le pouvoir d’achat sont des alibis. L’UE promeut le libre-échange comme une idéologie qui en réalité sert de cache-sexe à des intérêts matériels précis et qui ne sont pas ceux des populations.

Aujourd’hui Trump est présenté comme un protectionniste. Qu’en pensez-vous ?

Trump a toujours été très clair sur ce sujet. Il ne veut pas moins de libre-échange ; il ne veut pas de libre-échange qui aille à l’encontre des intérêts des États-Unis qui, pour lui, se confondent avec les intérêts de certains secteurs productifs des États-Unis. C’est très différent. Aujourd’hui encore, lorsqu’il décide une augmentation de la taxation sur des produits chinois, c’est pour obtenir que cesse la concurrence qu’il estime déloyale et "obtenir un meilleur accord" de commerce. Alors, certes, il est de ce point de vue moins dogmatique que l’UE qui préfère que nos industries se fassent laminer plutôt que de céder un pouce sur le libre-échange mais l’UE est d’une rigidité toute idéologique et parfaitement non pragmatique.

En quoi le commerce international est-il un enjeu important des prochaines élections européennes ?

Les accords de libre-échange arrivent en masse : ce sera une déferlante à laquelle le prochain Parlement européen devra faire face. Et, sur le fond, le commerce international est un enjeu crucial car on ne peut pas intensifier les échanges commerciaux polluants et la lutte contre le réchauffement climatique. Chaque porte-container mis sur la mer, c’est l’équivalent d’un million de voitures diesel. Il faut arrêter cette folie et diminuer les échanges commerciaux dans le monde.

La Cour de justice de l’UE vient de dire que les tribunaux d’arbitrages étaient compatibles avec le droit européen.

Est-ce une surprise ?

Non. La CJUE ne fait que confirmer qu’elle applique le droit de l’UE mais c’est son rôle. Cela veut dire, ce que nous disons constamment, qu’avec les traités tels qu’ils sont, en effet, on ne peut pas espérer que l’UE évolue de l’intérieur.

Que faudrait-il changer dans les relations commerciales de la France et de l’UE ?

La concurrence est au cœur des traités de l’UE. Il faut extirper cette notion de nos institutions. Elle ne doit pas être l’alpha et l’oméga de nos relations avec le reste du monde. La coopération tous azimuts doit au contraire être privilégiée. Cela veut dire en finir avec les accords de libre-échange et l’instauration d’un protectionnisme solidaire.

Macron parle de taxe carbone aux frontières, Jadot et Glucksmann de protectionnisme... Ce n’est plus un "gros mot". C’est une victoire idéologique de la France insoumise ?

Sans doute. Que la France insoumise ait contribué à réhabiliter la belle idée de protection, d’ailleurs avec le concours du mouvement social dans son ensemble, est heureux.

Ce serait quoi le "protectionnisme solidaire" ?

C’est une idée simple. Interdire l’entrée sur le territoire de produits fabriqués dans des conditions sociales et environnementales indignes, taxer certains produits pour les renchérir et les rendre moins attractifs puis utiliser le résultat des taxations perçues à cette occasion pour le développement social et la transition énergétique y compris des pays qui en ont besoin et qui ont été contraints de s’insérer dans la concurrence internationale en faisant jouer ce que les économistes appellent dans leur jargon leurs "avantages comparatifs", à savoir le dumping social et environnemental. C’est le moyen de se protéger ici et de promouvoir le développement ailleurs. On fait d’une pierre deux coups.

Est-ce que la France peut agir seule sur ces sujets ?

Oui et non. Oui, elle doit montrer la voie à suivre et qu’un grand pays peut avoir le courage d’agir. Non, si on entend aussi agir de concert avec nos partenaires avec lesquels nous aurions intérêt à promouvoir de nouvelles relations basées sur la coopération plutôt que sur la concurrence.

Propos recueillis par Matthias Tavel


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