La canicule n’est pas seulement un fait écologiquement nuisible. C’est un fait social. Elle accable et menace dans leur existence d’abord ceux qui ont le moins de moyens de se protéger d’elle. Ce sont ces pauvres gens abandonnés dans la rue sans accès à l’eau, prisonniers empilés dans des cellules exiguës, milliers de travailleurs en plein air ou dans des bâtiments inadaptés à de telles températures, personnes âgées dans des structures en surnombre, habitants des quartiers vers lesquels le vent pousse les mauvaises émanations dont la composition chimique s’aggrave pour les êtres humains avec la chaleur.
Quand nous avons commencé à la France insoumise à parler « d’écologie populaire », nous sentions bien que nous touchions à une nécessité dont l’évidence paraîtrait bientôt plus étendue peut-être que nous l’avions d’abord imaginé. Nous y sommes.
Pour le reste, en ce qui concerne le travail parlementaire, enfin, la pause est à l’horizon ! L’ordre du jour de la session extraordinaire ne devrait pas nous conduire plus loin qu’à la fin juillet. L’élection à l’unanimité comme vice-présidente du groupe des députés la France insoumise de Mathilde Panot est un signe de bonne santé de notre équipe. En deux ans, alors que 127 textes ont été présentés à l’Assemblée nationale, nous avons toujours tous voté de la même manière sur tous les sujets et amendements. Ce n’est pas sans mérite car on ne doit jamais oublier que « la France insoumise » est d’abord un label commun. Notre groupe à l’Assemblée nationale est fondamentalement composite entre députés qui n’ont pas d’appartenance politique et ceux membre du Parti de Gauche, du PC, d’Ensemble, de « Picardie debout » ou de « Résistance-Réunion ». À côté de cela, la déstabilisation après le mauvais résultat des élections européennes est achevée. Bien sûr, l’un ou l’autre des médias obsessionnellement hostiles à la France insoumise comme Le Parisien ou Le Monde trouvera toujours, ici ou là, un(e) tireur(e) dans le dos pour nous nuire. Mais quelle importance ? C’est un jeu de rôle. N’achetez pas ces journaux et voilà tout.
Et bien sûr, le système au pouvoir ne nous lâche pas. Il nous fait renvoyer en correctionnelle pour notre comportement pendant les perquisitions. Ses agents jubilent. Ils dénoncent notre comportement non respectueux de la loi qu’ils brutalisaient. Mais eux n’hésitent pas à la violer publiquement dans la circonstance. Ils avaient déjà vendu des procès-verbaux sur nos auditions en pleine campagne électorale des européennes. À présent, agents de justice ou de police ont vendu à L’Express la liste de ceux d’entre nous qui serait déférés en correctionnelle pour leur comportement pendant les perquisitions. C’est un feuilleton. Cette liste, pieusement, a été recopiée et reproduite sur toutes les ondes sans que personne ne s’étonne du procédé. Chacun faisant évidemment l’effort d’oublier que ces perquisitions étaient elle-même déjà autant d’abus de pouvoir et d’instrumentalisation politique de la justice et de la police.
Dans le même délai, la même « justice » distribue à la chaîne des non-lieux dans toutes les affaires qui entourent le président de la République : financement de sa campagne électorale, déclarations devant les commissions d’enquête parlementaire et ainsi de suite. Mais pour l’instant, la boucle police/justice/médias reste solide et mouline sans état d’âme les plans du pouvoir contre l’opposition.
Il est vrai qu’elle a tourné à plein régime pour invisibiliser les milliers de condamnations de gilets jaunes ainsi que les violences et les abus de toutes sortes qui ont émaillé les derniers mois. Mais tous ceux qui trouvaient alors si plaisant de nous voir en mauvaise posture et protester doivent aujourd’hui constater que les pires mauvaises habitudes ont été prises. Un syndicat de police venait manifester devant notre siège ? Les « observateurs » se léchaient les babines. Dorénavant, un syndicat de police peut menacer les juges eux-mêmes sans qu’on leur demande de compte sur rien. Nous étions abusivement perquisitionnés dans des opérations d’habitude réservées au grand banditisme ? Les « observateurs » se gaussaient.
Dorénavant les perquisitions et les gardes à vue sont devenues le mode ordinaire d’intimidation des opposants écologique, syndicaux ou jeunes. Qu’on se souvienne de Bertolt Brecht : « d’abord ils sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit car je ne suis pas communiste… à la fin ils sont venus me chercher et personne ne m’a défendu car j’étais tout seul ». Nous voici rendu au point où quand quelqu’un tire sur des gens devant une mosquée et où un juge peut considérer que ce n’est pas un attentat. La vérité est qu’avec le réseau des ex-PS dans la magistrature sous la houlette de Nicole Belloubet, perpétuellement hébétée, et l’incurie de l’ex-PS Christophe Castaner dans la police, quelques fondamentaux de l’État sont partis en roue libre dans l’abîme du corporatisme et des règlements de comptes politiques.
J’ai géré du mieux que j’ai pu avec tous ceux qui m’entourent les suites du résultat des élections européennes. Les coups pleuvaient de tous côtés. Nous avons mené gagner la bataille de la stabilisation. Car après avoir obtenu en quelques heures la démission de leurs responsabilités de plusieurs opposants, certains médias se sont concentrés sur moi. Toujours les mêmes. Ceux qui ne se soucient pas d’informer mais de dire ce que l’on doit penser. Pour plusieurs d’entre eux, la haine et la jubilation de me voir en difficulté leur a fait perdre toute mesure. Ce sont devenus de purs militants anti-FI consacrant toute leur énergie à me diaboliser. Des éditorialistes, des rubriquards agissant en militants politiques, la guirlande habituelle des pseudos-experts de plateaux de télévision se sont donc mobilisés pour exiger mon départ. Départ de quoi ? Voilà la question. Comme ils ne peuvent ignorer que je n’exerce aucune responsabilité au Mouvement, leur exigence était donc que je me retire purement et simplement de la scène politique !
Car c’est ainsi que fonctionne dorénavant la sphère médiatique : quand le pouvoir perd une élection, c’est aux oppositions qu’on demande des démissions ! Il était alors évident que ce pilonnage avait pour objet de provoquer l’effondrement du Mouvement « La France insoumise ». Cela fut dit comme ça dans certaines rédactions. C’était d’ailleurs aussi l’objectif ouvertement annoncé dans le JDD par une tribune des tireurs dans le dos de ce moment si pénible. En effet, la difficulté pour encaisser le choc du mauvais résultat a été aggravée par les gesticulations de quelques responsables internes particulièrement indélicats.
Je veux ici immédiatement distinguer deux cas totalement différents. Celui de Clémentine Autain d’un côté et la queue de comète des fractions de Djordje Kuzmanovic, Kotarac, François Cocq, Thomas Guénolé et compagnie. En effet, le choix de Clémentine Autain est une prise de position politique au sens le plus classique du terme. Je suis en désaccord complet avec sa proposition de retour aux formules politiques du passé qui ont échoué. Mais je respecte son opinion et je pourrais même lui souhaiter bonne chance si je ne craignais pas de faire rire mes lecteurs qui savent comme moi quel sera le destin de cette formule politique archaïque. Comme j’ai eu connaissance de son texte qui circulait plusieurs jours avant le résultat des élections, je n’avais pas été surpris par son contenu. Et comme celui-ci fut présenté à la télévision un quart d’heure après l’annonce des résultats sans que j’en ai été prévenu d’aucune façon, j’avais dit qu’un peu d’élégance n’aurait pas été de trop. Je n’avais encore rien vu ! Car depuis le record de violence personnelle a été battu par l’annonce du départ de Charlotte Girard sans un coup de téléphone, un mail, un SMS ou quoi que ce soit qui tienne compte de ce que je prenais pour une amitié de longue date scellée dans de terribles épreuves communes. Tant pis pour moi. J’en tire la leçon et je passe à la suite.
Dorénavant, je voyage dans la vie avec des bagages moins lourds : le dégoût pèse moins lourd que l’amertume. Et cela vaut pour tous ces prétendus « démocrates » qui ont profité de leur position interne (acquise comment ?) pour dénigrer le Mouvement, insulter le travail de ceux qui le font vivre dans un effort ridicule pour se rendre intéressant. Un billet d’Antoine Léaument résume bien la frustration des militants, ces petites mains qui s’étaient mises au service de ces personnages qui n’ont même pas pris le temps de leur dire merci. Élus par personne, n’ayant jamais rendu aucun compte sur leurs activités, directement liés à des gens qui agissent déjà depuis l’extérieur contre le mouvement qu’ils ont déjà quitté, ils étaient certains de trouver dans la presse des interlocuteurs attentifs à leurs postures et jérémiades.
En effet, personne n’est allé vérifier qui avait bien pu nommer ces personnes dans leur fonction ni quel était leur bilan réel. Je n’admets pas ces comportements. Il vise à transformer le mouvement « La France insoumise » à une imitation de ces groupuscules condamnés pour toujours à l’impuissance des mêmes sempiternels « débats internes » étalés sur la place publique. Pourquoi ces personnes ne s’organisent-elles pas elles-mêmes en parti ou mouvement pour faire la preuve de la validité de leurs idées, de leur formidable stratégie et de leur pratique démocratique ? Qu’ils soient certains que si elles réussissaient à mobiliser mieux et davantage que nous les milieux populaires nous les aiderions alors par tous les moyens.
Mais de grâce : assez de coups tordus, de ruptures de relations personnelles sans crier gare, de tribunes absconses et de critiques sans fondement pour le seul bonheur de voir son nom dans le journal. C’est la raison pour laquelle j’ai pris une décision très importante avant de transmettre publiquement les clés de la maison à la coordination des secteurs qui la composent et qui ont désigné Adrien Quatennens comme coordinateur. J’ai abrogé la totalité de la liste des responsabilités que j’avais construite empiriquement avec Manuel Bompard au fil de trois campagnes électorales et de deux ans de vie du mouvement. Ainsi ai-je dit que les « nommés sont dénommés ». Plus de 50 personnes sont ainsi concernées. La nouvelle structure qui va animer le mouvement sera donc totalement maîtresse de son organisation et de la répartition des tâches pour la période qui arrive. La période de la présidentielle des législatives et des européennes est close !
Puis la tactique de ce tout petit groupe de tireurs dans le dos a consisté à étaler la confiture de leur départ pour nuire aussi profondément que possible à l’image de l’immense collectif humain que nous formons. Que dans le même temps, c’est-à-dire le week-end, il y ait eu cent adhésions supplémentaires à « La France insoumise », avec un pic pendant mon discours, cela n’aura été relevé par aucun de ces « commentateurs ». Il est vrai que certains ne s’étaient même pas donné la peine de venir sur place parler avec ceux qui s’y trouvaient. Tout cela n’a naturellement plus rien à voir avec de l’information.
Au demeurant, le pire n’est pas que de telles pratiques « journalistiques » aient lieu. Après tout, on connaît le niveau de ces médias et l’idée méprisante qu’ils se font des capacités intellectuelles de leurs lecteurs ou auditeurs. La baisse permanente des ventes des journaux papier, le mépris dont attestent les enquêtes d’opinion pour les journalistes et l’écrasante majorité qui affirme que la presse ment sont les symptômes éclatants de cette nécrose. Non, le pire n’est pas que cette presse soit inapte à informer et se complaise dans un journalisme de provocation qui lasse même ceux à qui il s’adresse. Le pire est le genre de mœurs auquel cette façon de faire accoutume. Quand Le Monde se vante « d’avoir pu se procurer » une « note interne », il rend impossible toute discussion « interne » puisqu’il est certain de la retrouver dans la presse et d’être de la sorte envenimée par la notoriété qui est ainsi provisoirement conférée à ses auteurs.
Cette façon de faire est une arme d’implosion massive de n’importe quel regroupement humain. On notera que si on appliquait au fonctionnement des rédactions concernées il est certain que les gens en seraient déjà à se tuer car l’ambiance y dépasse en vilenies, complots et rumeurs, mille fois tout ce qui peut se faire dans le plus délabré des partis. Ce viol de la vie interne permet ensuite aux mêmes, au-delà de toute déontologie journalistique, de conclure à l’issue d’un week-end auquel ils n’ont pas participé personnellement que « le compte n’y est pas » comme l’a fait le rubricard du journal Le Monde dans une ingérence militante absolument incroyable. Le même s’est contenté en toutes circonstances de reproduire les documents et les commentaires souvent anonymes contre l’avis du mouvement sans jamais vérifier s’ils étaient fondés, ni quelle autorité pouvaient avoir ceux qui les proféraient. Rien ne montre mieux que, dans cette circonstance, l’objectif n’est pas de savoir et d’informer mais de créer un spectacle, de préférence destructeur, qui s’adresse aux émotions les plus aveuglés plutôt qu’à la raison.
Au total, le déroulement de la séquence qui a suivi la publication du résultat des élections européennes aura été extrêmement instructif. Que je me sois exprimé publiquement et clairement sur le moment politique face au Premier ministre à la tribune de l’Assemblée nationale dans un discours retransmis par deux chaînes d’information n’a pas été considérée comme le fait que j’ai « parlé ». On ne saurait mieux dire. Dans ce pays, pour les journalistes, la scène de l’affrontement politique réel, la tribune de l’Assemblée nationale, ne signifie strictement rien. Je me suis ensuite exprimé à trois reprises dans cette même Assemblée et cela n’a eu non plus aucune signification à leurs yeux. Ce qui comptait, c’était de savoir si j’allais faire amende honorable, un mea culpa, peut-être même, oh divine surprise, si j’allais démissionner ou me « mettre en retrait ». Le lamentable numéro psychologisation de la vie politique continue sans trêve ni pause.
De mon côté j’ai voulu montrer que si nous avons perdu ce n’est pas, comme le voudraient certains, parce que nous n’aurions pas fait le choix de bonnes couleurs d’affiches ni du ton qu’il convient de donner pour être entendu par la petite bourgeoisie mondaine des villes. Nous avons été battus parce que nos adversaires ont été plus forts que nous et qu’ils ont réussi à nous porter des coups extrêmement sévères, que ce soit dans la violence des abus de pouvoir judiciaire et policier ou dans la campagne permanente de dénigrement dont nous avons fait l’objet quand on nous a attribué les violences des gilets jaunes, l’antisémitisme de quelques énergumènes et ainsi de suite, quand en plein milieu de la campagne européenne L’Express et Le Monde peuvent publier des pages entières de relevés de procès-verbaux d’audition de nos députés par les policiers et ainsi de suite.
Mais par-dessus tout, j’estime que nous avons payé l’échec du mouvement social. La séparation entre le mouvement des gilets jaunes et le mouvement syndical, trop tardivement et trop vaguement réparé, nous ont coûté cher. Le retrait des intellectuels loin de la scène du conflit, leur condamnation parfois, tout cela a creusé comme jamais le fossé entre classes populaires et classes moyennes, tuant toute possibilité de regroupement ou de sentiments de cause commune face au pouvoir. Je suis stupéfait que personne n’intègre dans son analyse le nombre des défaites que nous avons subies en deux ans faute de Front populaire de résistance comme nous n’avons cessé de le demander. Le code du travail, le statut de la fonction publique, l’organisation de l’école, le budget de la santé, et combien d’autres des piliers de l’ancien ordre social ont été abattus sans aucun dommage pour le pouvoir ni mobilisation populaire à la hauteur des événements.
Là est la racine du désintérêt populaire et du recul qu’ont subit l’ensemble de ceux qui se sont opposés sans succès à ces mesures. Telles sont les explications de fonds qui permettent de comprendre non seulement ce qui s’est passé réellement mais pourquoi cela s’est passé. Ce serait une très lourde erreur de ne pas le prendre en compte. C’est se rassurer à bon compte de croire que des fautes de communication seraient à l’origine de nos déboires. Et ce serait rendre un nouveau service à l’adversaire que de préférer se déchirer, salir ce qui existe, faire semblant que tout doit être recommencé à zéro comme si tout ce que nous avons entrepris, comme si tout ce que nous avons appris dans le cours de ces événements ne comptait pour rien.
Je suis heureux de savoir que Philippe Martinez doit venir apporter son témoignage au cirque Romanes pour contribuer au big-bang qu’on y annonce. Sans doute fera-t-il le bilan de sa propre participation à la situation que nous vivons, à son refus d’opérer la jonction entre le politique et le syndical, à la distance mise avec le mouvement des gilets jaunes et au fait qu’à partir du moment où la CGT n’est plus la première force syndicale il est évident que cela signifie aussi quelque chose dans le rapport de force idéologique du mouvement populaire. J’invite donc ceux qui me rendent personnellement responsable de cette situation politique d’ensemble à respecter davantage leur propre intelligence. La dégradation du lien qui unit les populations à des représentations politiques est dans la situation matérielle, culturelle, affective dans laquelle se trouve placés ces milieux sociaux. J’invite ceux qui s’en sont réclamés naguère, à revenir aux méthodes du matérialisme pour analyser le mouvement des idées et des rapports de force idéologiques.
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