Islam : en Belgique, les apostats doivent se taire ou souffrir

mardi 20 août 2019.
 

En Belgique, les ex-musulmans préfèrent cacher leur rejet de l’islam. Pourtant, l’apostasie croît jusque dans le monde arabe, souligne Le Soir.

Les Arabes sont de plus en plus nombreux à affirmer qu’ils se sont détournés de la religion. C’est ce qui ressort d’une étonnante enquête menée par la BBC et le réseau de recherche Arab Barometer auprès de 25 000 personnes dans dix pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.

Les résultats montrent une nette augmentation – de 8 à 13 % selon les pays – du nombre de personnes se revendiquant non religieuses entre 2013 et 2019. Cette progression est particulièrement observée chez les moins de 30 ans : 18 % d’entre eux s’identifient comme tels.

En Europe aussi, l’apostasie gagnerait du terrain bien qu’en l’absence de recensement lié à la confession religieuse, il soit impossible de déterminer combien d’ex-musulmans compte notre pays. Craignant les jugements et les représailles, les apostats préfèrent rester discrets et ne dévoilent leur secret que dans les milieux ou avec les personnes avec qui ils se sentent en confiance.

Nous avons rencontré plusieurs membres des “Ex-musulmans de Belgique”. Trois hommes et une femme qui ont tous accepté de nous expliquer ce qui les a éloignés de l’islam.

Tous ont grandi dans des familles qui pratiquent un islam fondamentaliste. Tous ont été déçus de n’avoir pu parler librement de religion avec leurs proches, de n’avoir obtenu aucune réponse à leurs questionnements. Tous enfin dénoncent le poids écrasant de la communauté.

“J’ai très tôt été amené à considérer la religion comme une part de mon identité essentielle et première. On me faisait sentir que j’étais d’abord musulman”, résumera l’un d’eux.”

“Comme des perroquets”

La trentaine, le look trendy, Ali* sirote son verre de rouge en se remémorant cette enfance qui lui semble déjà si lointaine. Ces longues journées passées à la mosquée à étudier le Coran dès l’âge de 6 ans. Ses parents, déclare-t-il, voyaient en lui un futur grand imam. À 15 ans, il est envoyé dans une école coranique au Maroc. Six ans plus tard, il préside la prière dans l’une des plus grandes mosquées liégeoises. L’étude approfondie des textes ne déclenchera aucune ferveur religieuse chez lui mais, au contraire, une distanciation progressive. Jusqu’à la rupture.

Alors qu’il tente d’aborder le sujet avec sa mère, une femme très autoritaire, assure-t-il, celle-ci s’empare d’un couteau et lance un glacial : “Je serais capable de te tuer pour mon prophète.”

“J’ai fait le choix de me mettre tout le monde à dos car il n’y avait pas d’alternative. Je me suis reconstruit un nouvel entourage, notamment parmi les ex-musulmans. À part eux et ma femme, je n’ai pas vraiment de proches.”

Cette complicité, cette sensation de n’être compris que par ceux qui ont souffert du tabou religieux, il la partage notamment avec Selim. Né à Bruxelles dans une famille marocaine, petit-fils d’imam, Selim a suivi une double scolarité, dans une école catholique et dans une école islamique. “Je passais d’un monde où les enfants sont intouchables à un autre où les enfants doivent être soumis au professeur d’islam, qui nous forçait à réciter pendant des heures comme des perroquets.”

“Jouer au musulman”

Pour ses parents, qui, comme ceux d’Ali, estiment que les apostats méritent le châtiment suprême, Selim continue – ce sont ses mots – “à jouer au musulman” lors des réunions de famille. Un secret bien gardé qu’il a tout de même fini par confier à son frère, qu’il sentait également en décalage avec la tradition religieuse. “Quand j’ai révélé à mon frère que je n’étais plus musulman, il m’a répondu qu’il était dans la même situation.”

Le frère de Selim s’est depuis marié avec une ex-musulmane. Ils ont un enfant. Si les époux ont aussi joué la comédie lors de la cérémonie de mariage pour ne pas s’attirer les foudres de leurs familles, l’arrivée de cet enfant risque de compliquer un peu plus encore la situation.

“Dans ma famille, tout le monde est diplômé. Mais quand on parle religion, c’est comme si tout le monde devenait stupide tout à coup. Comme s’ils étaient incapables de faire la critique de l’islam. On te répond : ‘Dieu seul jugera’.”

Comme Ali, Asma redoutait une réaction violente de son père mais c’est son vécu en tant que fille, puis en tant que femme dans cette famille, qui l’a incitée à couper les ponts. La voix tressaillante, elle relate cet épisode douloureux de son enfance, lorsque ses parents l’ont forcée à porter le voile. “Je n’avais que 5 ans. Quand j’essayais de l’ôter, on me disait qu’un ange allait venir me cracher sur la tête. Vous imaginez ?”

Menacée de mort

“Un jour, poursuit la jeune femme, mon père m’a tendu un livre, Le Jardin des vertueux [deuxième livre le plus lu dans le monde musulman après le Coran]. J’y ai découvert que l’islam n’était pas la religion que je pensais. J’ai rendu le livre à mon père. Il m’a giflée. Ce jour-là, j’ai perdu la foi. J’ai prié jusqu’à mes 20 ans pour que Dieu me la rende mais j’ai finalement compris que cette religion était en contradiction avec mes valeurs.”

“Comme j’avais déjà reçu des coups pour avoir remis en doute la religion, je n’ai pas dit à ma famille que je n’étais plus musulmane. Dans le milieu dans lequel j’ai grandi, on considère que les apostats méritent la mort.”

Aurait-elle rejeté l’islam si elle avait grandi dans un contexte familial moins oppressant ? “J’ai depuis relu le Coran avec l’œil d’une femme vraiment libre mais je n’ai pas changé d’avis. C’est un soulagement d’avoir quitté ce dogme dans lequel je me sentais enfermée”, soutient Asma, dont les convictions semblent inébranlables.

À l’aube de la quarantaine, elle voudrait sortir de l’ombre et assumer publiquement son choix mais elle craint pour sa sécurité. À défaut, elle milite sur les réseaux sociaux, intouchable derrière son pseudo. “Si j’ai déjà reçu des menaces ? Bien sûr. On m’a dit qu’on allait me trouver, me tuer.”

Les ex-musulmans que nous avons rencontrés forment à l’évidence un groupe soudé. Ou plutôt isolé puisque, déclarent-ils, ils peinent tous à se faire accepter comme tels par ce nouvel entourage qu’ils se sont constitué.

“Même en n’étant plus musulman, c’est très difficile pour nous de nous faire accepter. Vous avez beau sortir, boire du vin comme les autres, vous serez toujours considéré comme un musulman.”

* Les prénoms ont été changés.

Ludivine Ponciau


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