Coupe du monde et prostitution : la passe de trop

vendredi 29 septembre 2006.
 

L’édition 2006 de la Coupe du monde de football a été lucrative, aussi bien pour les sponsors que pour l’industrie de la prostitution. Cet événement nous rappelle que, à l’opposé des théories libérales fondées sur le mythe du métier choisi, il reste fondamental de soutenir l’abolition de la prostitution.

La prostitution génère un fantasme : celui d’une personne sexuellement disponible, sur la base d’un « contrat » - acte sexuel contre argent. La prostitution est alors considérée comme un métier comme un autre. Mais cette vision se situe en contradiction avec les idées progressistes et le combat pour l’émancipation humaine. Si on pousse cette logique jusqu’au bout, le système éducatif devrait reconnaître et développer une formation spécifique dotant la personne prostituée des qualifications nécessaires à l’exercice de son métier et, pourquoi pas, inclure cette activité sur la liste des professions proposées aux enfants lors de leur orientation scolaire... La prostitution étant envisagée de la sorte, les prostituées1 devraient relever, comme tout travailleur, d’une convention collective. Les proxénètes allemands n’ont-ils pas obtenu le statut de patron ?

Femmes marchandises

Or, la prostitution n’est pas un métier. La quasi-totalité des prostituées sont, dans leur grande majorité, victimes du système prostitutionnel et proxénète. Les prostituées sont contraintes, soit à cause de leur situation socio-économique, soit en raison d’une manipulation affective ou de menaces sur leur personne. Mais ce sont avant tout les abus sexuels et le viol qui contraignent les prostituées. Le corps étant vécu comme un « objet » détestable et sans valeur, il est alors possible de le vendre. La répression des sexualités « hors normes » ou des personnes transsexuelles favorise la marginalisation sociale d’une partie des jeunes et alimente, elle aussi, le marché de la prostitution. C’est également une violence en soi, d’autant que le milieu prostitutionnel est un lieu propice aux mauvais traitements, aux viols, à la torture, voire aux meurtres. Dans ce contexte, la légalisation de la prostitution ne peut apparaître comme une mesure progressiste, même envisagée de manière transitoire dans le but d’accorder les droits du travail élémentaires aux prostituées.

Aujourd’hui, le libéralisme promeut une éthique de la liberté individuelle qui masque tous les mécanismes de contraintes marchandes et oppressives. Les prises de position d’intellectuelles comme Marcela Iacub, Catherine Millet et Catherine Robbe-Grillet, Élisabeth Badinter, en faveur de « la liberté de se prostituer » sont typiques d’une vision libérale. Pour elles, il s’agit d’un simple contrat entre une personne qui vend un « service sexuel » et un consommateur qui l’achète. Le recours des clients à la prostitution, la construction sociale de la sexualité et du rapport à la sexualité (modelée aujourd’hui par les images produites par les médias, l’industrie pornographique et la publicité) débouchent sur une vision du sexe comme produit de consommation au même titre qu’un achat dit d’impulsion. Faut-il en conclure qu’il vaut mieux légaliser une oppression, voire l’aménager plutôt que de lutter contre ? Certainement pas, car ce choix ne concerne qu’une petite minorité de personnes. L’immense majorité des femmes prostituées, traitées comme des marchandises, subit de plein fouet la mondialisation libérale. Cette mondialisation de la prostitution multiplie les réseaux mafieux. Ainsi, chaque année, des dizaines de milliers de femmes sont attirées par des offres d’emploi fallacieuses et se retrouvent achetées par des proxénètes, brisées psychologiquement par la violence, vendues et revendues dans d’autres pays. Source de profit qui générerait au niveau mondial entre 5,4 et 7,6 milliards d’euros, la prostitution bénéficie surtout aux proxénètes et aux réseaux mafieux qui pratiquent la traite des êtres humains à fin d’exploitation sexuelle (prostitution, industrie de la pornographie) et économique (esclavage moderne, ateliers clandestins).

Dans un monde où les conditions de circulation des populations se sont sensiblement modifiées, des milliers de femmes, essentiellement originaires des pays de l’Est et d’Afrique, font l’objet d’un trafic. Et la traite des êtres humains s’inscrit dans le mouvement des migrations internationales : le sens des flux migratoires va toujours des pays pauvres vers les pays riches. Dire que la prostitution existera toujours et militer pour sa légalisation implique l’acceptation d’un marché du sexe, qui légitime ces violences faites aux femmes.

Hypocrisie

Mais combattre la prostitution ne veut pas dire, d’un point de vue progressiste, la réprimer. Or la situation actuelle se double d’une politique sécuritaire criminalisant les populations les plus pauvres, les plus vulnérables, et visant au rétablissement de l’ordre moral. La loi sur la sécurité intérieure (LSI), défendue par Nicolas Sarkozy, n’est pas une réponse au problème de la prostitution, bien au contraire : c’est une stigmatisation accrue, moraliste et hypocrite. Son but consiste à cacher la prostitution en la chassant des centres-villes et des beaux quartiers. La LSI ne s’attaque pas à la prostitution en tant que système d’exploitation et d’oppression. Elle n’assure pas non plus la sécurité des personnes prostituées et ne crée pas les conditions de leur émancipation. Elle possède également un aspect raciste, car Sarkozy organise ainsi l’expulsion des personnes prostituées étrangères coupables de racolage. Les prostituées se retrouvent donc à la périphérie des agglomérations ou s’enferment dans des chambres d’hôtels sordides... La LSI fait passer l’idée que la prostitution est une « activité » qu’il faut encadrer. L’État ne joue-t-il pas déjà le rôle de proxénète, dans la mesure où les prostituées sont obligées de lui verser taxes et cotisations2 ?

Il faut abolir la prostitution en mettant en place des principes d’éducation non sexistes, en insistant sur l’autonomie des femmes, en dénonçant et en luttant contre l’oppression patriarcale faite aux femmes et en exigeant que la lutte contre toutes les formes de violence soit au cœur du politique et ne soit plus considérée comme une question secondaire qui se résoudra avec la révolution. Lutter contre la marchandisation du corps et des activités sexuelles doit conduire tous ceux qui se battent pour une société plus humaine à obtenir l’abolition de la prostitution.

Notes

1. La prostitution touchant en très grande majorité des femmes, le terme « prostitué » est systématiquement féminisé dans l’article.

2. Pour obtenir une couverture sociale en tant que « travailleuses non salariée », les prostituées doivent verser des cotisations à l’Urssaf, qui ne se gêne pas pour demander les arriérés des années précédentes.

• À lire : la brochure « Prostitution » (La Brèche, 1,50 euro) ; Simone de Beauvoir, « La femme : objet d’échange ou partenaire ? » (synthèse thématique du Deuxième sexe) ; Pierre Bourdieu, « Synthèse de l’analyse de La Domination masculine » ; Michel Field, « Quand la limite entre prostitution et conjugalité tend à se brouiller... » (Autrement) ; Jean Rhéa, Manifeste pour l’abolition de la prostitution.

BERJOU Sophie


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