Les manifestants ont-ils raison de contester le pouvoir de Hong Kong et de Pékin ?

jeudi 5 septembre 2019.
 

Par-delà leur aspect très concret, les demandes des protestataires recouvrent une exigence démocratique et humaniste fondamentale, décrypte un universitaire hongkongais.

Cela fait maintenant plus de deux mois que le gouvernement de la Région administrative spéciale refuse toujours de répondre aux cinq grandes revendications des millions de citoyens. De ce fait, le mouvement de protestation ne s’éteint pas. Comment expliquer l’entêtement du peuple hongkongais ? Que veut-il vraiment au fond ?

Les contestataires ont cinq grandes revendications :

La suppression officielle du projet de loi autorisant les extraditions.

Le retrait de la qualification d”émeutes” [pour les manifestations du 12 juin, les premières ayant donné lieu à des violences].

La libération sans poursuite des manifestants arrêtés [un millier environ].

La création d’une commission d’enquête indépendante sur les exactions policières.

La mise en place immédiate du suffrage universel.

Mais, face à cela, l’équipe de la chef de l’exécutif Carry Lam ne recule pas d’un pouce. Elle joue sur les mots en considérant que dire du projet de loi sur l’extradition qu’il est en état de “mort naturelle” équivaut à accepter la première revendication. Elle ment en prétendant n’avoir jamais qualifié les événements d’émeutes. Quant aux autres revendications, elle refuse d’y répondre, soulignant qu’on “ne peut pas violer les lois”, que “le système policier existant a fait la preuve de son efficacité” et en invoquant la Loi fondamentale et les résolutions de l’Assemblée nationale populaire (ANP, Parlement chinois).

Une confrontation entre l’humain et l’inhumain

Mais, à la lueur crue des violences perpétrées par le régime, ses arguments spécieux destinés à éconduire la population dévoilent tout leur caractère hypocrite et creux. L’image de “bonne combattante” de Carry Lam, bâtie à grand renfort de relations publiques, ne séduit plus, et son maquillage politique épais parvient désormais difficilement à masquer les échecs de sa gouvernance. En fin de compte, le Parti communiste chinois (PCC) et Carry Lam, habitués à ne raisonner qu’en termes de pouvoir, ne comprendront sans doute jamais qu’il ne s’agit pas ici d’une révolution destinée à prendre leur place, mais d’une confrontation entre “l’humain” et “l’inhumain”.

Ce que les Hongkongais veulent vraiment, c’est un monde où ils soient traités comme des êtres humains. Pour cela, il ne faut pas tenir les gens pour quantité négligeable, et il faut aussi permettre que leur travail les mette à l’abri de la faim et du froid, qu’ils puissent par leur œuvre améliorer le monde et par leur action participer à la politique publique, pour reprendre les termes d’Hannah Arendt. En ce sens, les cinq grandes revendications des contestataires visent avant tout à retrouver de l’humanité.

Que la police assume ses responsabilités

Si les Hongkongais tiennent à un “retrait officiel” du projet de loi pourtant “déclaré mort de mort naturelle”, et s’ils veulent qu’une enquête indépendante établisse un droit de contrôle sur l’action des policiers et des officiels, c’est non seulement parce qu’ils n’ont pas confiance dans le gouvernement et le système actuels, mais surtout parce qu’ils veulent que ceux qui ont commis des fautes, en particulier les policiers, ne s’en tirent pas en admettant un peu facilement que leurs “méthodes n’ont pas été en phase avec celles souhaitées par la population”, mais qu’ils assument véritablement leurs responsabilités.

Quant à la demande de retrait de la qualification d”émeute” et de libération des manifestants arrêtés, il s’agit en fait, derrière son apparence de requête juridique, d’une aspiration à davantage de justice et d’égalité. Il est clair qu’il y a deux poids deux mesures dans l’application des lois quand on voit qu’après avoir passé à tabac des gens au hasard des mafieux (soupçonnés d’être de connivence avec la police) ont pu quitter les lieux sans être inquiétés par les forces de l’ordre et que ceux d’entre eux, peu nombreux, qui vont être poursuivis le seront pour le seul chef d’accusation de rassemblement illégal. Pendant ce temps, près d’un millier de manifestants ont, eux, été très rapidement arrêtés et, pour certains, tout de suite inculpés au motif d’avoir fomenté une “émeute”. Face à une justice à géométrie variable, on peut comprendre la colère des contestataires et leur soif d’équité.

La mise en place du suffrage universel

La cinquième des revendications portait au départ sur la démission de Carry Lam et d’autres responsables, mais, dans sa version actuelle, elle exige la mise en place immédiate du suffrage universel, sans éluder pour autant la question de la responsabilité de Carrie Lam (laquelle dans un régime démocratique aurait naturellement été forcée de quitter ses fonctions). Cela montre que les manifestants ont bien conscience que le problème ne peut être résolu par le remplacement de quelques hauts fonctionnaires, mais que seule une réforme des institutions peut apporter une véritable solution – du moins si l’on que tout le monde puisse vivre librement et à l’abri de la peur.

En d’autres termes, les cinq revendications visent au fond à préserver un monde où l’homme vit de façon humaine, une société où tout un chacun est partie prenante, où tout individu peut participer également à la vie politique et y accepter des responsabilités, en particulier celui de contribuer au dialogue et à la prise de décisions dans la vie publique, tout en étant traité de façon équitable et juste.

Hui Po-keung, Ming Pao (Hong Kong), 22 août 2019


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