Combattre le racisme anti musulmans et refuser le piège du terme “islamophobie”

jeudi 12 septembre 2019.
 

Lors des AmFIs de la France Insoumise à Toulouse, un tweet isolant un bout de phrase du philosophe Henri Pena-Ruiz de tout l’argumentaire tenu lors de sa conférence « Les trois boussoles de la laïcité », a suscité toute une polémique sur laquelle il me semble nécessaire de revenir.

Je tiens pour commencer à dénoncer la malhonnêteté intellectuelle scandaleuse qui a conduit ce participant aux AmFIs à tronquer les propos d’Henri Pena-Ruiz. Présent à ce débat, s’il avait pris la parole, toute cette polémique n’aurait pas eu lieu. Aucun-e des participants à ce débat n’est d’ailleurs à ma connaissance intervenu sur ce bout de phrase tellement il était évident dans tout le raisonnement de Henri, qu’il est un militant antiraciste, engagé contre toutes les formes de racisme dont le racisme anti musulmans. Toutes celles et ceux qui se sont adonnés à des invectives sur les réseaux sociaux, à commencer par Taha Bouhafs qui s’est cru autorisé à espérer le décès proche de mon camarade et ami Henri Pena-Ruiz du fait de la canicule, ce qui est répréhensible au regard de la loi, ne méritent que mépris. Vu que le journal Libération rapporte des faits erronés, je tiens également ici réaffirmer que Benoît Schneckenburger, secrétaire national du Parti de Gauche n’a nullement agressé Taha Bouhafs mais a exprimé de façon forte et franche sa condamnation du tweet abjecte de l’intéressé. Comment pourrions-nous accepter que la mort d’un camarade soit souhaitée sans réaction ? Et je condamne pour ma part les insultes de “vermine raciste” proférées à son encontre en représailles, comme tous les autres dérapages d’où qu’ils viennent. Le débat, la confrontation des idées ne peuvent avoir lieu que dans un cadre de respect mutuel.

Sur le fond il est essentiel d’écouter l’ensemble du propos du philosophe pour en comprendre la teneur. « Le racisme, qu’est-ce que c’est ? Mise au point : c’est la mise en question des personnes pour ce qu’elles sont. Mais ce n’est pas la mise en question de la religion. On a le droit, disait le regretté Charb, disait mon ami Stéphane Charbonnier, assassiné par les frères Kouachi en janvier 2015. On a le droit d’être athéophobe comme on a le droit d’être islamophobe. En revanche, on n’a pas le droit de rejeter des hommes ou des femmes parce qu’ils sont musulmans. Le racisme, et ne dévions jamais de cette définition sinon nous affaiblirons la lutte antiraciste, le racisme c’est la mise en cause d’un peuple ou d’un homme ou d’une femme comme tel. Le racisme antimusulman est un délit. La critique de l’islam, la critique du catholicisme, la critique de l’humanisme athée n’en est pas un. On a le droit d’être athéophobe, comme on a le droit d’être islamophobe, comme on a le droit d’être cathophobe. En revanche, on n’a pas le droit d’être homophobe, pourquoi ? Parce que le rejet des homosexuels vise les personnes. On rejette des gens pour ce qu’ils sont, et là on n’a pas le droit de le faire. Le rejet ne peut porter que sur ce qu’on fait et non pas sur ce qu’on est. »

L’auteur dénonce bien sans équivoque possible le racisme anti musulman qui comme tous les racismes est un délit. Pour lui, l’usage du terme islamophobie ne renvoie pas au rejet des personnes du fait de leur croyance réelle ou supposée dans la religion musulmane, mais à la critique même de cette religion, tout comme cathophobe ou athéophobe renvoient au rejet équivalent de croyance et d’une doctrine. L’auteur prend d’ailleurs bien soin, dans sa démarche qui a toujours été universaliste, de décliner sur d’autres croyances. Il aurait pu ajouter “judaïsmophobe” d’ailleurs, mais pas “judéophobes”, car ce dernier terme renvoie aux juifs et non au judaïsme. Dès lors selon l’auteur, il est bien plus approprié d’utiliser le terme de racisme anti musulman, qui est un délit que nous devons combattre sans relâche et non le terme d’islamophobie qui, parce qu’il interdit la critique de la religion, vise de fait à réintroduire le délit de blasphème. La liberté de conscience, celle de croire comme de ne pas croire, exige de défendre ce droit à la critique des religions, des croyances et des doctrines. Je n’oublie pas que Charb et ses ami-e-s sont morts assassinés pour avoir refusé ce délit de blasphème. Je n’oublie pas que la représentation théâtrale du dernier livre de Charb “Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes” a subi la censure dans certaines facs et villes et que des militants se disant antiracistes ont participé à ce mouvement de censure. Qu’ils lisent ce livre et ils cesseront de laisser entendre que Charb hier ou Henri aujourd’hui ne sont pas antiracistes ! Que l’on partage ou pas cette définition d’Henri Pena-Ruiz et de Charb, on comprend bien évidemment qu’en aucune manière Henri n’encourage le racisme ou serait raciste, ni ne nie au contraire la réalité à combattre dans notre société qu’est le racisme antimusulmans. La polémique à son encontre est abjecte.

Le bout de phrase tronquée, sortie de son argumentaire a néanmoins ému nombre de personnes qui ont cru qu’un invité ou membre de la FI revendiquait le droit d’être raciste à l’encontre des musulmans. Vous imaginez ? Mais si cela c’était avéré, j’aurais aussi hurlé ! Mais c’est l’inverse ! En aucun cas il n’est question de revendiquer le racisme anti musulman, bien au contraire. Je regrette fortement qu’une aussi terrible interprétation ait pu avoir lieu, et je comprends qu’elle ait pu blesser. C’est hélas très certainement l’intention des auteurs de la manipulation. Dans un contexte où certains instrumentalisent la laïcité pour banaliser le racisme anti musulman, nouveau paravent du racisme anti immigré post colonial, où tant de nos concitoyen-ne-s de nationalité française pour un très grand nombre subissent des discriminations quotidiennes du fait de la couleur de leur peau, de leur patronyme ou de leur croyance réelle ou supposée, subissent les violences policières quotidiennes, réaffirmons sans cesse notre attachement à l’égalité des droits et à la lutte contre toutes les formes de racisme et de discriminations et redoublons d’énergie dans la lutte. Oui, il y a urgence à amplifier ce combat contre le racisme dans les quartiers populaires. Il est étroitement lié à toute la bataille sociale. Le système organise le racisme pour justifier l’exploitation, la domination et renforcer sa répression. Alors entendons les affects qui s’expriment et rassurons tout le monde, Henri a toujours et combattra toujours toutes les formes de racisme et je n’accepte pas que quiconque laisse entendre l’inverse. Et cela ne m’empêche pas de rester convaincue que le terme d’islamophobie est un piège pour tout le monde dont nous devrions toutes et tous nous extraire.

Le fait que Conseil de l’Europe, l’OSCE et l’UNESCO écrivent que les termes « islamophobie » et « racisme anti-musulman » renvoient à la même notion d’« intolérance et de discrimination envers les musulmans” ne saurait interdire le débat qui doit rester légitime quant au bon terme à utiliser. Si le terme “islamophobe” semble le plus approprié pour un grand nombre pour désigner le racisme anti musulman, pour une minorité il vise, tel un cheval de Troie, à interdire toute critique de l’Islam. C’est bien à cet effet que les tenants de l’islamisme politique ont souhaité le développer. Cela ne signifie pas que celles et ceux qui l’emploient partagent cette stratégie politique, loin de moi ce procès. Mais que chacun respecte, même sans la partager, l’analyse qui en conduit d’autres à refuser d’utiliser le terme islamophobie tout en étant déterminé à combattre le racisme anti musulman. Maintenant, à votre avis, pourquoi la phrase de Henri a t-elle été tronquée, quelle a été l’intention de celles et ceux qui l’ont exploitée ? Je suis hélas convaincue que pour certains l’intention était de faire croire que le philosophe le plus engagé dans la défense de la laïcité et soutien de la FI encouragerait le racisme anti-musulman, afin soit de nuire à la FI soit de disqualifier tout discours laïque et critique du terme d’islamophobie au sein de la FI, soit pour d’autres encore, bien signifier à nombre de femmes et d’hommes par assignation identitaire religieuse que ce n’est que pas la religion qu’ils pourront se défendre, car ce serait par la religion que même des militant-e-s FI les rejetteraient !

Cette polémique sert également à d’autres adversaires de l’universalisme : ceux du printemps républicain. On ne les entend pas quand la laïcité est bafouée par les Présidents successifs qui acceptent le titre de Chanoine de Latran ou quand des maires installent des crèches dans les mairies. Je ne les entends pas non plus quand la mairie de Paris bafoue la laïcité en octroyant des subventions aux crèches confessionnelles loubavitch ou des associations familiales catholiques. Ni quand les succursales intégristes catholiques distillent leur homophobie et leur sexisme hier contre le mariage pour tous, aujourd’hui contre la PMA. Par contre on les voit se délecter de la moindre polémique sur un burkini sur la plage, comme si un lieu de baignade et de bronzette avait un quelconque rapport avec la séparation des Eglises et de l’Etat ! Si nous devons combattre tous les extrémismes religieux, force est de constater que pour eux, seul le combat contre le fondamentalisme islamiste les préoccupe et se retrouve instrumentalisé pour dénigrer tous les croyants d’une seule des 3 religions monothéistes et à assigner certains à résidence communautaire là où la République se devrait d’être garante de l’égalité des droits dans une communauté de destin. De la même manière, je ne me retrouve pas dans les commentaires de certains camarades, comme Fabien Nony qui sous couvert de s’attaquer aux islamistes se croit autorisé de juger jusqu’au voile de la mariée en mairie, sous prétexte qu’il serait musulman ! Et le voile blanc ? ! Les obsessionnels différentialistes desservent la laïcité et alimentent le racisme.

Je maintiens cependant que la bataille des concepts n’est pas une bataille vaine, et même quand elle semble perdue il faut parfois savoir l’assumer et continuer de la mener, même si l’on est minoritaire. Je n’impose cette bataille à personne, mais en retour que personne ne m’interdise ma liberté de la poursuivre. Depuis quelques années par exemple, l’extrême droite israélienne étroitement liée aux branches intégristes du judaïsme tente d’imposer une nouvelle définition de l’antisémitisme afin d’y inclure l’antisionisme, pour interdire toute critique de la politique d’Israël. S’il est vrai dans le même temps que des antisémites se cachent derrière l’antisionisme, la critique du sionisme doit toujours être autorisée, en tant que critique d’un projet politique. Que celles et ceux qui me lisent et ne connaissent que peu Henri Pena-Ruiz, sachent précisément que ce dernier a toujours contesté ceux qui prétendent que la référence à la Bible peut donner droit à des titres de propriété à certains pour exproprier de leur terre les Palestiniens. Alors que je me suis retrouvée seule au conseil de Paris à protester contre la nomination de la Place Jérusalem, car je demandais le respect du droit international et qu’a minima figure un sous titre “avec le voeu qu’elle devienne capitale de deux Etats”, le seul intellectuel qui a salué, remercié et encouragé ma prise de position, ce fut Henri.

Je serai de toutes les batailles qui servent à bien nommer les choses pour mieux combattre tous les rapports de domination. Je conçois qu’on ne partage pas ce combat, mais j’exige qu’on le respecte en ne le déformant pas. L’émancipation exige une prise en compte des affects mais aussi le respect de la raison.


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