LA GAUCHE D’APRES... LE 9 NOVEMBRE 1989 ( 4ème partie de la résolution votée par la Convention nationale de PRS du 1er juillet 2007)

vendredi 13 juillet 2007.
 

9 novembre 1989 : le Mur de Berlin vient de tomber.

L’événement confirme aux yeux du monde la faillite du communisme d’État. Mais le Mur n’est pas tombé sur la seule tête des communistes. Que certains socialistes aient cru que cet événement ne les concernait pas en dit long sur leur inculture. Car les conditions dans lesquelles la stratégie sociale‐démocrate a été définie et mise en oeuvre depuis 1945 sont elles aussi par terre. Et cela au moment même où l’évolution du capitalisme de notre époque est déjà en train d’invalider la veille stratégie sociale‐démocrate qui fait découler le progrès social des compromis passés avec le patronat dans le cadre national.

Près de vingt ans après la Chute du Mur, la faillite de la social‐démocratie européenne et internationale s’étale désormais sous nos yeux. Mais il n’est pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Ainsi le 6 mai 2007 a vu resurgir de l’horloge socialiste un coucou familier. Depuis 1978 déjà avec Michel Rocard, dès 20 heures, les soirées de défaites électorales voient seriner la chanson de l’appel à la rénovation et à la conversion sociale‐démocrate de la gauche. Hier surprenante, l’antienne est aussi obsolète que son objet. Car la gauche d’après le Mur sera aussi une gauche d’après la social‐démocratie.

A) UNE DOUBLE FAILLITE

Si elle est masquée, la faillite de la social‐démocratie est au moins aussi complète que celle du communisme d’Etat. Voyons les deux partis matrices de la social‐démocratie universelle. En Allemagne, le SPD gouverne avec la droite. En Grande‐Bretagne, le New Labour la remplace. En ce moment, la moitié des gouvernements de l’Union européenne sont dirigés par des sociaux‐démocrates ou les intègrent dans une coalition avec le centre ou la droite. Cela n’a pas le moindre impact, au contraire, sur une évolution progressiste et démocratique de l’Union.

Pourquoi ? D’abord parce que le capitalisme a changé. Le capitalisme est de moins en moins national et de plus en plus transnational. Dans les pays qui virent naître la social‐démocratie, il est de moins en moins industriel et de plus en plus financier. La social‐démocratie est incapable d’appliquer ses vieilles recettes contractuelles à cette forme nouvelle. Elle savait nouer des compromis avec les représentants du capital industriel national. Mais comment négocier un droit tel que le salaire minimum avec un fond de pension, capable de transférer à tout moment son investissement dans un pays aux normes plus basses et uniquement préoccupé de rentabilité à court terme ? Ensuite parce que beaucoup des avancées sociales arrachées par la social‐démocratie européenne au cours du XXe siècle ne l’auraient pas été si le spectre de la « contagion communiste » n’avait limité la gourmandise des possédants. Aujourd’hui le nouvel ordre mondial est « globalitaire ». C’est un monde sans bords où nulle part ne se donne à voir la possibilité d’une alternative au système. L’arrogance des dominants, au premier rang desquels l’hyperpuissance américaine, ne connaît plus de limites.

La social‐démocratie est donc impuissante. Dès lors, c’est la capitulation en rase campagne, avec l’espoir qu’un redémarrage du capitalisme national finisse par donner mécaniquement des bienfaits aux travailleurs du pays concerné, ce qui ne se produit jamais. D’autre fois, là où les relations politiques sont à leur extrême, c’est la social‐démocratie qui prend en charge l’affrontement avec le peuple. On a pu en observer les conséquences au Venezuela, en Bolivie ou en Argentine : les derniers gouvernements sociaux‐démocrates ont fait tirer sur les manifestations populaires. Leurs chefs sont en fuite à l’étranger. Et sur tout ce continent, c’est contre les partis sociaux‐démocrates que s’est levée la vague de gauche qui déferle sur l’Amérique Latine.

B) LA BATAILLE DE L’EMANCIPATION

L’effondrement du communisme d’Etat a des causes multiples. On peut s’intéresser aux contradictions intrinsèques à l’organisation économique de ces pays qui les rendit en définitive incapables de soutenir la compétition avec les pays capitalistes. Mais le capitalisme actuel n’a rien à envier au communisme d’Etat en termes de désordres, gâchis et aberrations de toutes sortes. La cause fondamentale de l’effondrement du bloc de l’Est doit donc être cherchée ailleurs. Elle est politique. Elle consiste en l’incapacité à apparaître comme un système compatible avec l’émancipation de la personne et dès lors à obtenir le consentement de la population. Les progrès initiaux -et fulgurants- du communisme reposaient sur le contenu émancipateur de son projet. A l’inverse, des masses innombrables jugeaient le capitalisme incapable de leur assurer les droits sociaux indispensables à leur émancipation. A la fin du XXe siècle, la situation s’est inversée. Alors que les régimes communistes bafouaient les libertés, le capitalisme apparaissait comme le moyen le plus efficace de réaliser l’émancipation des individus. Avec la consommation comme unique chemin de construction personnelle, il invite en effet chacun à s’identifier à sa différence de goût, à sa « tribu » culturelle, dans un jeu de rôle changeant avec les modes, les lieux les circonstances, les opportunités. Au supermarché des identités, il prétend que l’on peut acheter ce que l’on veut être et en changer dès que l’on en a envie.

Mais en réalité si l’émancipation ne s’impose pas par la contrainte, elle ne s’achète pas non plus. Elle est d’abord une conquête sur soi‐même car elle implique le dépassement de l’étroitesse des intérêts sociaux et des préjugés dans lesquels baigne chaque personne. L’émancipation n’est pas le fruit d’une nécessité aveugle : elle doit être voulue consciemment. C’est pourquoi elle ne peut être que l’oeuvre de citoyens éduqués et motivés. Les militants de l’émancipation accordent donc une place centrale à l’éducation, à la liberté de conscience, à la laïcité et aujourd’hui à la bataille culturelle contre l’enfermement idéologique dans lequel nous conduit le nouvel âge du capitalisme. L’émancipation est toujours individuelle dans le sens où chaque homme est à la fois le sujet et l’acteur de sa propre émancipation. En même temps, elle est nécessairement collective. Aucun être ne peut être libre si les conditions sociales et politiques n’en sont pas réunies. La citoyenneté implique une puissante machinerie sociale émancipant l’homme de la soumission aux aléas quotidiens qui dominent l’état de nature. Elle exige une construction politique collective sans laquelle il n’y a pas de formation de l’intérêt général. C’est pourquoi le mouvement ouvrier s’est souvent montré le meilleur continuateur des Lumières lors des deux siècles derniers.

C) JAURES, REVIENS !

Comment retrouver le fil d’un projet émancipateur se fixant la perspective d’un dépassement du capitalisme après la Chute du Mur de Berlin et la faillite de la social‐démocratie ? L’histoire de chaque peuple apporte une contribution spécifique à cette recherche. La France offre en partage au monde la Grande Révolution de 1789‐1793 puis les acquis de la République laïque, du mouvement ouvrier et du socialisme.

C’est un héritage que Jaurès a longuement pensé et revendiqué en situant le socialisme comme la réalisation complète des idéaux de la Révolution française : « le socialisme proclame que la République politique doit aboutir à la République sociale ».

Le projet de la République sociale recherche le dépassement du capitalisme grâce à l’appropriation par le peuple des moyens politiques et économiques permettant son émancipation. Il affronte sans détours l’urgence politique, sociale et écologique provoquée par le capitalisme de notre époque. Il vise un nouveau partage des richesses et l’adoption d’un vrai modèle de développement durable et de production maîtrisée garantissant l’accès aux droits et la préservation des biens communs de l’Humanité. Il entend créer les conditions d’une paix durable quand le capitalisme porte la guerre comme la nuée porte l’orage.

C’est un projet républicain, qui garantit la primauté partout de la souveraineté populaire une et indivisible, de la loi, de l’égalité laïque et du développement humain. Il constitue un horizon qui donne un sens et une direction d’ensemble aux efforts de tous pour rendre le monde meilleur, pour aller vers un développement plus humain. Il s’appuie sur des siècles de progrès humain. Parce qu’il tire les leçons des faillites jumelles du communisme d’Etat et de la social‐démocratie, ce projet de transformation sociale et politique peut renouer le fil de l’ambition émancipatrice qui porte la gauche depuis plus de deux siècles.


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