La fête nationale chinoise tourne au désastre à Hongkong - La police en accusation

dimanche 13 octobre 2019.
 

Après une journée de chaos à travers toute l’île, les manifestants les plus radicaux souhaitent « venger » le lycéen touché par une balle mardi.

Hongkong a pris des allures de champ de bataille urbain, mardi 1er octobre, pendant que Pékin célébrait en grande pompe le 70e anniversaire de la République populaire de Chine. Des manifestations ont viré aux affrontements dans treize districts du territoire, faisant au moins 66 blessés, de 11 à 75 ans, dont deux dans un état grave, selon la direction des hôpitaux. La police a affirmé avoir arrêté 180 personnes.

Mais c’est le tir à bout portant sur un lycéen de 18 ans qui a marqué cette journée. Le drame a eu lieu vers 16 heures à Tsuen Wan, ville satellite située à l’ouest des Nouveaux Territoires, les quartiers périphériques, quand un policier, assailli par plusieurs manifestants, a tiré sans sommation sur un lycéen qui tentait de le désarmer avec une barre en fer. Le jeune manifestant a été touché à la poitrine. Transporté dans un état critique, il a été immédiatement opéré. Selon diverses sources médicales citées par la presse, il aurait de « bonnes chances de survie ».

L’échauffourée a été largement documentée par des vidéos qui montrent que certains attaquants étaient armés de barres de fer, de parapluies et d’un marteau. Bien que tendues, les circonstances peinent toutefois à accréditer la thèse défendue par la police, selon laquelle leur agent a agi « pour sauver sa vie et celles de ses collègues ».

La police a par ailleurs précisé avoir tiré six autres coups de feu pendant les heurts de ce jour de fête nationale, le plus chaotique de l’histoire de Hongkong. La journée avait commencé dans le calme avec une grande marche – non autorisée – de plusieurs dizaines de milliers de personnes sur l’île de Hongkong. Une fois arrivés au quartier d’affaires de Central, certains participants ont continué à occuper plusieurs artères jusqu’à ce que la police arrive avec canons à eaux et batteries de gaz lacrymogènes.

Commerces prochinois attaqués

Au cours de l’après-midi et jusqu’au milieu de la nuit, les manifestants les plus radicaux ont attaqué la police avec des briques, souvent déchaussées des trottoirs, lancées à la force du bras ou projetées avec d’immenses lance-pierres. Les cocktails Molotov ont également volé par centaines, parfois envoyés dans les arbres. Plusieurs drapeaux chinois ont été brûlés, un acte intolérable du point de vue des autorités chinoises. De nombreux feux de rues ont été allumés, le plus souvent alimentés par un amas de mobilier urbain, poubelles, palettes, cartons, bouteilles en plastique… Un feu s’est ainsi propagé « accidentellement » à une zone de parking de motos, qui ont toutes brûlé. Jusqu’à présent, les manifestants ne s’en étaient jamais pris aux biens privés.

En revanche, ils ciblent désormais ouvertement des marques ou des commerces étiquetés prochinois, telles les agences de voyage officielles chinoises CTS, les agences et les distributeurs de billets de la Banque de Chine, ou encore les commerces dépendant du groupe Maxim’s, parmi lesquels les cafés Starbucks et Cova, depuis qu’Annie Wu, la fille du fondateur du groupe, a qualifié les manifestants « d’émeutiers », un terme sensible depuis les premiers jours de cette crise. L’une des cinq revendications des manifestants porte d’ailleurs sur le retrait formel de ce qualificatif par la police et la chef de l’exécutif, Carrie Lam. Dans une autre ville satellite, ce sont les locaux de l’administration qui ont été attaqués.

Une vingtaine de stations de métro ont été saccagées, à plus ou moins grande échelle, portes vitrées brisées, halls et escaliers partiellement brûlés par des cocktails Molotov, machines détruites à coups de barres de métal… Au total, 47 stations, plus de la moitié du réseau, ont dû être fermées au cours de la journée. La société de transport MTR est devenue le bouc émissaire fétiche des manifestants, qui l’accusent d’aider et de soutenir la police. MTR a toutefois annoncé que toutes les lignes et toutes les stations étaient rouvertes et opérationnelles mercredi matin.

Appel de l’UE à la retenue

De nombreuses voix se sont fait entendre pour critiquer le niveau de force employé par la police. Le syndicat des enseignants de Hongkong s’est dit choqué et très préoccupé par l’aggravation du niveau de violence. « Le tir à très courte portée semble être une attaque plutôt que de l’autodéfense. De nombreux policiers ont perdu leur propre maîtrise », ont déclaré, dans un communiqué commun, vingt-quatre députés de l’opposition.

« Le recours à des balles réelles est disproportionné et risque simplement d’aggraver la situation », Dominic Raab, le ministre des affaires étrangères britannique

Selon le célèbre avocat de Hongkong, Lawrence Lok Ying-kam, le coup de feu tiré dans ces circonstances pourrait être assimilé à « une tentative d’homicide inexcusable ». « Le recours à des balles réelles est disproportionné et risque simplement d’aggraver la situation », a déclaré Dominic Raab, le ministre des affaires étrangères du Royaume Uni, l’ancienne puissance coloniale à Hongkong, alors que l’Union européenne avait déjà appelé les deux parties et à « la retenue et à un désamorçage de la crise ».

Le tir à bout portant de Tsuen Wan, qui aurait pu être mortel, provoque aussi un intense débat sur les réseaux sociaux du mouvement. Sur LIHKG (prononcer « Lindeng »), la principale plate-forme d’échange des manifestants, certains suggèrent que les actions les plus violentes se fassent désormais de manière ciblée et clandestine, et non plus en public, à l’instar de l’attaque contre un policier grièvement poignardé par trois assaillants masqués, à Kwai Chung, fin août. Dans un fil de conversation intitulé « Qui veut de vraies armes pour riposter ? », la plupart des commentaires soulignent néanmoins le danger d’une évolution vers des actions de type vendetta.

Solidarité et respect

Paradoxalement, la population continue de montrer une certaine tolérance à la montée de la violence et à la multiplication des actes de vandalisme de la part des manifestants. « Je sais que cela va dégénérer. Je n’aime pas la violence, mais on a tout essayé », déclarait, mardi après-midi, au Monde, Rain, assistante de direction de 42 ans, qui se métamorphose en secouriste bénévole parmi les frontline, ceux qui sont sur la ligne de front, quand nécessaire. Ces derniers mènent les opérations lors des événements non autorisés.

Parmi eux, les jeunes, qualifiés de « braves » par les autres manifestants, sont ceux qui vont vraiment au contact de la police, envoient les cocktails Molotov, cassent, etc. Nombre de manifestants pacifiques affirment ne pas souhaiter s’associer aux actes violents, tout en exprimant de la solidarité, du respect, voire de l’admiration pour ces combattants radicaux dont ils parlent comme des héros auxquels ils doivent beaucoup.

L’agence officielle de presse chinoise Chine nouvelle a qualifié les trois derniers mois de révolte à Hongkong de « terreur noire », en référence aux vêtements noirs portés par les protestataires. « Les manifestants en noir sont la pire menace terroriste pour Hongkong », a écrit Chine nouvelle, qui a qualifié le tir contre le lycéen de « décision raisonnable, conforme à la loi et à la justice ». Les députés de la majorité pro-Pékin ont pour leur part qualifié de « honteux et regrettables les manifestations et les dégâts causés », et ont réitéré leur soutien à la police. Carrie Lam, qui a passé la journée de mardi à Pékin, n’a pas encore prononcé le moindre mot sur la situation.

Florence de Changy (Hongkong, correspondance)


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