L’affaire Zemmour et les media : « Dans le cas de LCI, je suis pour couper le signal »

lundi 21 octobre 2019.
 

En diffusant en intégralité et sans contradicteur le discours d’Eric Zemmour, la chaîne du groupe TF1 a failli à sa mission. A ce titre, elle doit être sanctionnée de manière exemplaire estime, dans une tribune au « Monde », la journaliste et ancienne membre du CSA Mémona Hintermann-Afféjee.

Au moment des hommages à Jacques Chirac où résonnaient ses propos de ne jamais « composer avec l’extrémisme, le racisme, l’antisémitisme ou le rejet de l’autre », une télévision française a diffusé, samedi 28 septembre, en direct – et sans filtre – un appel à la guerre civile. Eric Zemmour a lu pendant trente-deux minutes un discours écrit. Quelques jours avant, l’homme d’extrême droite – ne l’appelons pas essayiste ou polémiste – avait été définitivement reconnu coupable de provocation à la haine raciale.

Plusieurs problèmes se posent.

D’abord, la chaîne LCI, qui appartient au groupe TF1, a renégocié il y a moins d’un an son contrat (sa convention) qui la lie à l’Etat, via le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Cette chaîne, diffusée en mode gratuit, bénéficie d’une fréquence qui appartient au domaine public et donc à la nation tout entière.

A ce titre, cette société s’est engagée à respecter le socle républicain. Mais, pendant trente-deux minutes – sans contradicteur –, LCI n’a pas respecté ses engagements en laissant propager des propos appelant aux armes.

Ensuite, qui a demandé à Zemmour son texte à l’avance ?

Enfin, pourquoi ne pas avoir interrompu ce direct dès que le récidiviste a appelé à passer à l’acte en se battant contre « une armée d’occupation », dont « l’uniforme » serait « la djellaba » ? LCI a failli à sa mission pour non-maîtrise de son antenne et doit être sanctionnée de façon exemplaire.

Appeler au boycott

Pour deux raisons : la gravité de son manquement et l’effet dans le voisinage du PAF (paysage audiovisuel français), dans un contexte où les chaînes dites d’info se livrent à une surenchère dans la conquête de franges de l’opinion qui attendent toujours plus dans le dénigrement de millions de citoyens français. Dans cette bataille de parts d’audience, s’il n’y a pas de sanction suffisamment dissuasive et infamante, des concurrents n’hésiteront pas à aller encore plus loin. Jusqu’où ?

Pourquoi ne pas avoir interrompu ce direct dès que le récidiviste a appelé à passer à l’acte en se battant contre « une armée d’occupation », dont « l’uniforme » serait « la djellaba » ?

Dans l’état actuel du droit, un opérateur fautif – lourdement fautif – peut se voir infliger une amende en conséquence, on a su le faire pour des gamineries et des vulgarités d’un Hanouna (3 millions d’euros), ou encore couper le signal, comme en 1995, à l’encontre de la radio Skyrock. Le reste du temps, les décisions prises par le régulateur (CSA) sont d’un effet très limité, si limité que mise en garde ou mise en demeure ne suffisent plus depuis longtemps à raisonner les dirigeants des chaînes. Il faut aller plus loin !

Dans le cas de LCI, je suis pour couper le signal, annuler sa convention, pour, éventuellement, la rediscuter. Si le CSA estime qu’il ne dispose pas de moyens juridiques adéquats, il faut inscrire des verrous de sécurité réellement efficaces dans la loi sur l’audiovisuel prochainement discutée au Parlement. Pendant mon mandat au CSA (2013-2019), mes déplacements fréquents à travers le pays, y compris en outre-mer, auprès des jeunes et des moins jeunes, conduisent à une question : à quoi sert le CSA, quand des groupes entiers de la population se font, jour après jour, insulter à la télé ou à la radio ? A rien, si le CSA n’est pas capable de faire respecter la loi. Il est urgent d’interdire les discours de haine, tous les discours de haine.

Sinon, il reste une arme ultime que connaissent bien les activistes américains : appeler au boycott des chaînes qui font de la haine un commerce comme un autre. Pour le moment, ça pourrait être l’arme la plus efficace.

Le silence de Franck Riester

Etre respecté sur les écrans est un droit civique aussi important que le droit de vote. L’imaginaire se construit quasi exclusivement sur les écrans. Dépeindre des millions d’entre nous comme des ennemis ne peut que provoquer la dislocation de la société. Et il est déjà tard. Il suffit de voir l’indifférence ou l’acceptation à demi-mot de ce qui a été dit, si ce n’est la parole du premier ministre, Edouard Philippe, ou la réprobation de l’ancien président de la République François Hollande… et rien du ministre de la culture.

A quoi sert le CSA, quand des groupes entiers de la population se font, jour après jour, insulter à la télé ou à la radio ? A rien, si le CSA n’est pas capable de faire respecter la loi

Que signifie le silence assourdissant de Franck Riester ? Où est la prise de conscience politique à la hauteur des enjeux de ce qu’on a vu à la télévision samedi 28 septembre ? Trente-deux minutes données à Zemmour pour diffuser un discours dans la droite ligne du terrorisme sanglant de l’OAS. Quelles auraient été les réactions si une chaîne de télévision française avait diffusé pendant trente-deux minutes les délires d’un Alain Soral ou d’un Dieudonné ?

Le manque de réaction politique d’ampleur installe à tort ou à raison l’idée d’un deux poids, deux mesures. Et c’est très grave, car c’est la confiance dans le pays, notre pays, qui est en jeu. Et, au-dessus de tout, les appels à l’unité contre « une armée d’occupation » – de Français qui ont des têtes d’Arabes et de Noirs – portent en eux le risque très réel d’une guerre civile. La France n’est pas à l’abri d’un tel péril.

Mon expérience comme reporter dans les Balkans, en Afghanistan ou ailleurs dans le monde me permet de le dire. Et c’est une fille de l’immigration qui l’écrit pour ne pas avoir honte de se taire, moi, la sœur de Sarah, Aïcha, Mamode, Farouk et Ahmed. Ce n’est pas que de la télé, il en va de la France et de la paix.

Mémona Hintermann-Afféjee (Ex-membre du CSA)

Mémona Hintermann-Afféjee a été grand reporter au service Politique internationale de France 3 et membre du CSA de 2013 à 2019.


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