Réflexions pour le débat des socialistes CONSTRUIRE UNE NOUVELLE PERSPECTIVE À GAUCHE

vendredi 13 juillet 2007.
 

Les sites prs12 et prs31 ont déjà mis en ligne 38 textes dans leur rubrique "2007 : bilan et perspectives. Aujourd’hui, nous présentons :

* d’une part, ci-dessous, un texte de bilan des élections de 2007 et d’appel à la refondation du parti socialiste émanant essentiellement de dirigeants "jospiniens".

* d’autre part un communiqué de presse émanant du collectif "Maintenant à gauche" qui regroupe d’anciens animateurs nationaux des collectifs antilibéraux.

Venant de diverses sensibilités au sein du Parti Socialiste, nous avons ressenti le besoin de réfléchir ensemble à ce que nous venons de vivre à l’occasion de l’élection présidentielle et, plus largement, depuis 2002.

Nous vous invitons à vous saisir de ces premières réflexions, à en débattre et à les nourrir.

Kader ARIF, parlementaire européen, Jean-Pierre CAFFET, sénateur, Marie-Arlette CARLOTTI, parlementaire européenne, Francis CHOUAT, vice-président du Conseil général de l’Essonne, Guy DELCOURT, député, Harlem DESIR, parlementaire européen, Laurence DUMONT, députée, Catherine GENISSON, députée, Adeline HAZAN, parlementaire européenne, Anne HIDALGO, première adjointe au maire de Paris, François LAMY, député, Annick LEPETIT, députée, Bernard POIGNANT, parlementaire européen, Clotilde VALTER, conseillère générale du Calvados.

Au terme d’une période électorale intense, marquée par une mobilisation civique exceptionnelle à l’élection présidentielle, notre pays entre dans une phase nouvelle.

Les socialistes l’abordent à la suite d’une défaite à l’élection présidentielle accompagnée d’un résultat historiquement bas de toute la gauche, heureusement atténué par un résultat au deuxième tour de l’élection législative meilleur qu’annoncé.

Le Parti socialiste a décidé d’engager, dès à présent, un vaste processus de travail collectif qui trouvera son terme lors du prochain congrès fixé après les élections municipales.

Nous nous inscrivons dans ce calendrier et dans ce rythme démocratique. C’est en effet celui qui convient pour donner à la réflexion des socialistes, de leurs alliés et de tous ceux qui voudront s’investir dans ce processus, le temps et la profondeur nécessaires pour traiter les grandes questions en débat.

Nous entendons y contribuer en respectant les instances de notre parti et tous les militants socialistes. Leur engagement et leur dévouement ont été exemplaires pendant cette période électorale. Sans eux, à coup sûr, la défaite aurait été plus cuisante encore. Depuis la désignation de Ségolène Royal, le 16 novembre 2006, avec eux, nous n’avons pas ménagé notre mobilisation, malgré les conditions difficiles d’organisation de la campagne présidentielle. Après le 6 mai, nous nous sommes refusés à tout commentaire sur la défaite qui aurait pu ajouter du trouble et de la démobilisation à la déception et à l’amertume alors que nous étions en campagne législative.

Maintenant que le travail d’analyse, d’explication et de construction de l’avenir peut s’engager, nous invitons l’ensemble des socialistes à s’y investir. C’est parmi eux, sans structure extérieure ou parallèle mais au coeur du Parti socialiste, que nous voulons faire part de nos réflexions et de nos suggestions, en refusant les règlements de compte personnels et les auto-proclamations de leadership pour 2012.

Notre conviction est que le Parti socialiste a besoin d’une profonde refondation comme à d’autres moments de son histoire. Mais il ne part pas de rien et, malgré la défaite, il ne sort pas exsangue de cette longue phase électorale. Nous sommes la principale force motrice de l’opposition et nous disposons de nombreux points d’appui dans les régions, les départements et les communes. Notre influence à l’Assemblée nationale est aujourd’hui renforcée par rapport à 2002. C’est le signe tangible que le Président de la République et sa majorité n’ont pas un boulevard devant eux. Si les Français ont porté le candidat Sarkozy à la présidence de la République, ils viennent également de fixer des limites à sa volonté d’hégémonie. Ils ne sont pas disposés à tout accepter et ils souhaitent que nous soyons en mesure de jouer pleinement notre rôle d’opposition : ferme, utile, intelligente et inventive pour préparer l’avenir.

Le deuxième tour de l’élection législative a montré qu’une confrontation plus claire sur le bilan et le projet de la droite sortante et une campagne présidentielle marquant plus nettement le clivage gauche/droite entre deux visions de la société et de la politique auraient pu créer une autre dynamique et, peut-être, dessiner un autre résultat.

Tirer les enseignements politiques de la campagne présidentielle

L’ampleur de la victoire de Nicolas Sarkozy, le succès des thèmes sur lesquels il l’a construite, renvoient le Parti socialiste à des questions idéologiques, politiques et programmatiques qu’il ne peut plus désormais éluder. Certaines d’entre elles seront abordées dans cette première contribution au débat.

Mais pour comprendre notre défaite et surtout pour en tirer des enseignements utiles pour l’avenir, il faut commencer par passer au crible ce qui s’est passé pour en arriver là.

Le moins que l’on puisse dire est que la défaite ne s’apparente pas à une chronique annoncée.

L’élection présidentielle vient au terme du quinquennat de Jacques Chirac marqué par des crises aiguës qui ont secoué le pouvoir et témoigné de son rejet massif. Ce quinquennat a également été marqué par trois victoires éclatantes pour les socialistes et pour toute la gauche en 2004 (régionales, cantonales et européennes). Un quinquennat, enfin, dans lequel le candidat UMP a tenu, quasiment du premier au dernier jour, le rôle de numéro deux d’un gouvernement impopulaire et de numéro un du principal parti de la majorité. Un candidat dépeint par nous-mêmes comme inquiétant pour les Français et dangereux pour le pays.

Rarement depuis 20 ans nous n’avions connu une situation aussi favorable pour traduire dans les urnes la volonté de changement du peuple. Ni en 1995 où, après le puissant rejet dont nous avons été l’objet en 1993, les Français n’étaient pas disposés à un troisième septennat socialiste. Ni même en 2002 où malgré la victoire de 1997 qui a permis à la gauche d’engager des réformes importantes, celle-ci n’a pas su convaincre nos concitoyens de la nécessité d’une nouvelle étape, l’éclatement de la gauche plurielle empêchant la qualification de notre candidat au second tour.

En 2007, l’enjeu de l’alternance était clair et les conditions politiques pour la réussir étaient plus favorables. La droite détient tous les pouvoirs. La gauche est moins dispersée qu’en 2002 puisque le PRG et le MRC ont soutenu notre candidate dès le premier tour. Celleci a disposé d’un vote massif des socialistes pour sa désignation. C’était un tremplin susceptible de rassembler et de créer une forte dynamique.

Enfin, le refus de revivre un nouveau 21 avril 2002, omniprésent dans l’électorat de gauche, a constitué un puissant ressort de vote utile pour orienter dès le premier tour des millions de voix d’électeurs autres que socialistes sur le vote Ségolène Royal.

C’est à l’aune de cette situation qu’il faut apprécier le résultat du 22 avril 2007.

Disons-le nettement, il n’est pas bon. La candidate socialiste s’est qualifiée pour le second tour, mais la gauche est au plus bas (37%), en dessous même de son score de 2002 (42%). Et nombre d’électeurs de gauche, y compris socialistes, ont préféré François Bayrou à Ségolène Royal.

Il est d’autant moins bon que dans le contexte d’une mobilisation record, le candidat UMP, pourtant lesté par le bilan de la droite et par son image, vire largement en tête au premier tour et maintient intégralement son avance au second grâce à, ou malgré, une campagne très agressive et radicalisée.

Un tel renversement de situation en quelques mois (de novembre 2006 à avril 2007) mérite que l’on débatte de ce qui n’a pas fonctionné et de ce qui s’est enrayé.

Faisons-le franchement, tranquillement, collectivement, car il ne sert à rien de nier la réalité en transformant un score de 46,9% en quasi-victoire et d’occulter des points majeurs de débat. C’est la seule façon de porter collectivement la responsabilité de l’échec pour mieux en tirer toutes les conséquences. Nous en suggérons quelques-uns.

· La vie et le fonctionnement collectifs du Parti socialiste depuis 5 ans. Les efforts déployés depuis 5 ans pour rassembler les socialistes après le 21 avril 2002 n’ont pas été accompagnés du travail nécessaire pour concentrer les énergies sur la préparation de l’alternative de 2007.

Beaucoup de temps, trop de temps, a été consacré à des enjeux internes de leadership.

Après le Congrès de Dijon de 2003 qui a permis d’aller de l’avant, les élections du printemps 2004 ne nous ont-elles pas conforté dans l’idée que l’alternance était en marche, presque mécaniquement ? Et comment avons-nous interprété, dans ce relatif attentisme, les 60% obtenus par la majorité du parti au référendum interne du 19 décembre 2004 ? Car les 55% de NON au référendum du 29 mai 2005 n’auront pas seulement révélé l’ampleur du mécontentement populaire contre Chirac, contre le cours pris par l’Europe et la défiance à l’égard des forces politiques de gouvernement.

Ils auront aussi creusé une cruelle division des socialistes que nous avons mis 6 mois à réduire, vaille que vaille, avec le congrès du Mans de novembre 2005, au risque de la confusion et de l’incohérence.

Ce n’est qu’à partir de 2006, dans ces conditions difficiles, que nous commençons à nous préparer vraiment à l’échéance présidentielle. Mais comment le faisons-nous, sinon en sur-valorisant les positionnements personnels sur les enjeux de fond ?

· Les conditions de désignation de notre candidate. Ce fut considéré comme un grand moment de démocratie. Mais n’aurions-nous pas dû nous saisir de cette période-clé pour construire l’adéquation entre le projet et le candidat ? De quel poids a pesé, à l’inverse, l’opinion selon laquelle l’essentiel était ailleurs : choisir celle présentée comme la seule capable de battre Nicolas Sarkozy parce qu’avant tout elle incarnait le renouvellement ? Il faudra d’ailleurs s’interroger sur ces primaires et sur le système d’adhésions qui les ont accompagnées.

· Le rapport au Parti socialiste. Il n’a pas été de bonne qualité. Le parti a été présenté comme une structure gênante parce que sclérosée, une sorte de « boulet ». Autant s’en affranchir au maximum ! Après l’âpre compétition interne, il eût mieux valu, au contraire, tout faire pour rassembler, pour impliquer tous les responsables et les instances de direction, bref, aimer être la candidate des socialistes. De son côté

Nicolas Sarkozy a entraîné l’UMP. Il l’a fait travailler ; il l’a rassemblé. De ce point de vue, sa victoire est aussi celle de son parti. Curieux renversement de tradition où c’est le candidat de la droite qui fonde sa victoire sur la force d’un parti et c’est la candidate de la gauche qui la craint ! Ce n’est pas l’autonomie de Ségolène Royal pendant la campagne qui est ici en cause, encore moins les intuitions et la ténacité dont elle a su faire preuve pour capter les attentes populaires sur les questions du travail, de l’ordre ou de la République par exemple. Mais après avoir affirmé : « mon projet est socialiste », sa volonté, ensuite, de se détacher du collectif socialiste a singulièrement brouillé les cartes pour de nombreux électeurs et a trop souvent conduit à des improvisations et à des hésitations qui ont introduit un doute dans l’opinion sur la « présidentialité » de Ségolène Royal. Une enquête a d’ailleurs montré que 71% de ceux qui ont voté pour Nicolas Sarkozy l’ont fait par adhésion à son projet contre 55% seulement pour la candidate socialiste.

· La dénonciation insuffisante du bilan de la droite et l’absence d’une réelle confrontation gauche/droite. Les moments pendant lesquels a été pointée la politique du gouvernement sur les sujets-clés de la croissance, de la dette, du bouclier fiscal, de la précarité au travail (CPE), de la sécurité, ont été trop rares. Ceci a contribué à exonérer le candidat UMP de sa responsabilité dans le bilan du quinquennat et du même coup, a renforcé indirectement sa crédibilité politique avec une campagne sur le thème de la rupture. C’est sur ce registre que la confrontation entre la gauche et la droite aurait dû être plus approfondie et mieux mise en avant. Il aurait fallu montrer avec beaucoup plus de force les profondes différences existant entre le projet de société de Nicolas Sarkozy (sur lequel nous reviendrons) et le nôtre, en s’appuyant également sur le bilan des années 1997-2002 pour puiser dans nos réussites (sur la croissance, la réduction de la dette et des déficits, les créations d’emplois) et pour tirer leçon de nos échecs (sur le pouvoir d’achat ou sur la difficulté à contrer la campagne de la droite sur la sécurité, par exemple). Cette démarche aurait donné de la cohérence politique à nos propositions, notamment sur les plans économique et social. La bataille de la crédibilité s’est aussi jouée à ce niveau dans l’opinion. En réalité tout s’est passé comme si la stratégie de la campagne s’était résumée à assurer la présence au second tour, puis, pour celui-ci, à compter d’abord sur le réflexe anti-Sarkozy. La preuve est faite que c’était insuffisant pour gagner.

· La stratégie de rassemblement pour le second tour et le rapport à F. Bayrou. A deux jours du premier tour, François Bayrou était encore décrit comme l’autre candidat de la droite avec qui rien n’était possible et les rares socialistes qui prônaient ouvertement l’alliance au centre étaient vertement tancés.

Le 24 avril, il devenait un partenaire stratégique voire un éventuel Premier ministre ! Ce changement de pied, sans délibération avec le Parti socialiste et les autres formations de gauche, réitéré de surcroît entre les deux tours de l’élection législative, aura accentué le trouble sur la cohérence et sur la clarté du projet politique de la gauche.

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Mais c’est surtout et avant tout sur le fond des enjeux de cette élection présidentielle que nous sommes apparus en retard dans notre analyse de l’état du monde, de la société française, des attentes des citoyens, en nous montrant incapables de les concrétiser dans un corps de propositions suffisamment crédibles. Au point que c’est le candidat d’une droite au bilan impopulaire qui est apparu comme un homme neuf et qui est parvenu à ôter à la gauche le drapeau du changement et de la rupture et à nous accoler celui du conservatisme et de l’immobilisme !

C’est à ce travail d’analyse qu’il faut maintenant s’atteler et auquel nous entendons contribuer.

Une dimension idéologique à la défaite

1) Quelques éléments de diagnostic.

Voila près de 20 ans que le monde et notamment l’organisation planétaire de la production et de la répartition des richesses ont progressivement mais radicalement changé.

Les conséquences politiques ne se sont pas fait attendre.

L’échec de la tentative réformatrice de Mikhaïl Gorbatchev, la chute du mur de Berlin, l’ouverture de la Chine à l’économie capitaliste et son intégration dans le marché mondial ont déplacé le centre de gravité du monde et ouvert la quasi totalité de la planète à une nouvelle forme de capitalisme, le capitalisme mondialisé qui a fondamentalement modifié le rapport du capital au travail au détriment de ce dernier. Toute idée de contrepoids lié à un « contre modèle » d’organisation et de rapports sociaux ayant quasiment disparu de la planète, le capital circule partout à la recherche de la rentabilité et du profit maximal en s’accommodant de n’importe quelle forme de régime politique (démocratique comme en Europe ou aux USA, autoritaire comme en Russie, despotique comme en Chine) et en mettant en concurrence à l’échelle mondiale les différents systèmes sociaux et fiscaux à son avantage.

L’émergence puis la consolidation de ce capital très financiarisé et internationalisé ont singulièrement modifié les rapports sociaux. Les classes ou couches dirigeantes détentrices du capital ou dont la rémunération est directement liée à son rendement n’ont jamais été aussi fortes et aussi sûres d’elles-mêmes alors que les couches populaires ou moyennes qui dépendent complètement du revenu de leur travail n’ont jamais été aussi émiettées et inquiètes quant à leur avenir. Ces dernières ne se vivent d’ailleurs plus sous le mode de l’unité. Elles sont segmentées et morcelées par le développement considérable de la sous-traitance, du travail à temps partiel non choisi, du contrat de travail précaire. Elles sont victimes de la concurrence internationale exacerbée que fait régner le capitalisme contemporain et qui fait que la peur du lendemain, de l’avenir de ses enfants, la crainte du « descenseur social » pour soi-même ou sa descendance sont de retour alors qu’on les croyait définitivement disparues pendant les trente glorieuses. Ainsi naît aussi la revendication du droit à l’avenir pour les jeunes générations qui « galèrent » au travail, qui n’accèdent pas à la propriété et qui doivent « travailler plus » avec de moins en moins de protections tout en prenant de plus en plus en charge le coût de la protection sociale de leurs aînés.

Ajoutons à cela les autres ingrédients de la mutation de la société française qui vont dans le sens de la désagrégation : le délitement des anciennes solidarités familiales, culturelles ou de classe et la difficile émergence de nouvelles, la perte de confiance en la politique comme facteur de progrès individuel ou collectif, l’affaiblissement considérable d’attraction des grandes idéologies qui ont durablement structuré la vie politique française, le repli sur la sphère privée qui en est le corollaire. Bref nous assistons à une perte de repères généralisée et à l’approfondissement d’un sentiment de « dépossession » qui ont contribué sans doute à la montée des extrémismes politiques ces deux dernières décennies ainsi qu’à une volatilité électorale croissante.

L’idée même de progrès est en recul. Il n’est plus lié à un projet collectif ou humain.

Il se fait sous l’emprise de la concurrence et de la compétition : s’en sortir soi-même pour ne pas couler avec les autres ou être coulé par les autres ; « si je ne progresse pas individuellement, je disparais au profit d’autres ». Et tant pis pour les perdants. La question des finalités que l’on pourrait croire inhérentes à l’humanité a disparu ou, en tout cas, s’est singulièrement estompée. Malgré l’existence d’institutions internationales comme l’OMC et la persistance des Etats-nations, le sentiment prédomine largement dans l’opinion que personne ne contrôle plus le processus de globalisation de l’économie mondiale, l’émergence de nouveaux lieux de compétition, l’approfondissement des inégalités, la précarité du travail, l’immigration sous l’effet de la misère. Cette crise du sens induit une crise de la démocratie si l’on veut bien admettre que la démocratie est le seul moyen de contrôler son destin et produire sa propre histoire, que cette dernière soit individuelle ou collective.

Peut-être sommes-nous d’ailleurs à un tournant de la civilisation où les préoccupations individuelles ont pris le pas sur l’intérêt collectif. Longtemps, et surtout en France, l’essentiel était la grandeur et l’exemplarité de la Nation. Il n’est pas impossible que nous soyons entrés dans un moment de l’Histoire où la politique est d’abord perçue comme le moyen ou l’instrument de l’accomplissement individuel. Or, la politique ne peut faire l’économie d’une réflexion et de propositions sur l’avenir du monde qui nous est commun et sur le destin collectif d’un peuple qui ne vit pas en autarcie mais appartient à une communauté plus large : l’Europe, le monde globalisé.

C’est dans ce cadre qu’il nous faut désormais raisonner et inventer. Voilà le défi qu’il nous faut relever et pour lequel il faire preuve de créativité.

Comme le dit à juste titre Jean Viard, directeur de recherche au CNRS et au Cevipof, la gauche « n’a pas encore inventé un humanisme de la mondialisation (...). Elle a du mal à politiser le nouveau couple que forme chaque individu autonomisé avec la mondialisation ».

C’est avec cette toile de fond que s’est déroulée la campagne présidentielle et Nicolas Sarkozy l’avait bien compris. Faisant sien le précepte de Mme Thatcher (« la société n’existe pas »), il a déroulé une vision et un corps de propositions reposant fondamentalement sur l’idée que chacun peut s’en tirer dans ce monde très dur à condition qu’il le veuille et s’en donne les moyens. Les thèmes « se lever tôt le matin », « travailler plus pour gagner plus », « en finir avec l’idéologie de mai 68 et son hédonisme » l’illustrent à merveille. Au fond sa vision correspond globalement au vieil adage libéral « du renard libre dans le poulailler libre », dont le garant, en bonapartiste qu’il est, est un pouvoir fort, autoritaire assurant l’ordre. Quant aux vieux systèmes collectifs de régulation économique ou de protection sociale, leur seul avenir devait passer par une adaptation au nouveau cadre de l’économie mondialisée c’est-à-dire, dans la plupart des cas, par un nivellement par le bas. En même temps, en liant la question nationale à celle de l’immigration, il surfait sur les inquiétudes latentes liées à la question des banlieues et plus largement de l’identité nationale. Par un raccourci parfaitement réactionnaire, il répondait au désarroi d’une partie de la population sans réponse à la question : « qu’est-ce qu’être Français aujourd’hui ? ». Reconnaissons que non seulement Nicolas Sarkozy a décomplexé la droite mais qu’il l’a réarmée idéologiquement en faisant en sorte que, sans fard, elle s’assume de droite.

2) L’insuffisance de nos réponses.

Force est de constater que nous n’avons su que très imparfaitement répondre à cette nouvelle donne par une nouvelle offre politique. C’est sans doute parce que nous connaissons une sérieuse panne d’actualisation de notre pensée que les succès électoraux de 2004 ont occultée. Cette panne n’est pas nouvelle. Elle résulte sans doute du manque de travail et d’élaboration collective du PS depuis 2002. L’absence de clarté et de force du projet socialiste sur les grandes questions a pesé sur le pacte présidentiel.

Schématiquement et pour aller à l’essentiel, la droite a plus de cohérence dans le modèle de société qu’elle avance : le modèle anglo-saxon où les systèmes collectifs de protection cèdent le pas à l’individu censé pouvoir réussir dès lors qu’il en a la volonté. La croissance vient de l’allègement des contraintes, des charges, des taxes, chacun y trouvant son compte en terme de pouvoir d’achat s’il y met du sien. Le prix à payer est moins de solidarité, mais les méritants sont censés voir s’ouvrir devant eux les portes de l’enrichissement. Ce modèle structurel anglo-américain a pour contrepartie l’extrême enrichissement d’une minorité de la population, des inégalités de revenus et de patrimoine croissantes, une protection sociale plus faible qu’en France. Il a aussi pour corollaire l’atomisation de la société et une forte prégnance de l’individualisme.

L’autre modèle socio-économique qui fonctionne est ce qu’on appelle aujourd’hui le modèle scandinave qui a supplanté, comme référence alternative, le modèle dit « rhénan » d’économie sociale de marché, comme en Allemagne dans les années 60 et 70. Ce modèle scandinave se caractérise par le concept de « flexibilité-sécurité », mais aussi, on a tendance à l’oublier, par le maintien d’un haut niveau de prélèvements(les prélèvements obligatoires sont 5 points plus élevés en France qu’au Danemark. ) et de redistribution pour financer les systèmes sociaux : fortes indemnités de chômage, forte implication de l’Etat dans la mécanique de retour à l’emploi, forte contrainte vis-à-vis des chômeurs pour qu’ils acceptent les postes proposés, forte incitation fiscale pour que les entreprises aient un comportement vertueux. Ce type de politique coûte cher. L’Etat est très présent (ce qui correspond à la tradition française) mais a des résultats à un certain nombre de conditions : liberté accrue de licencier, mais indemnités de chômage élevées (90% de l’ancien salaire avec un plafond de 2900 euros comme au Danemark par exemple), sécurisation des droits et des qualifications et obligation pour un chômeur de ne pas refuser à l’infini une offre d’emploi qui correspond à son profil professionnel. Ces économies connaissent un taux de croissance élevé et un faible taux de chômage. Du coup, le licenciement perd de son aspect traumatisant : la durée du chômage y est beaucoup plus courte qu’en France, la rémunération y est quasiment maintenue et les agences de l’Etat ainsi que les communes sont très présentes pour aider les demandeurs d’emploi à retrouver du travail. De plus les entreprises sont incitées à engager plus facilement des personnes de plus de 55 ans.

On pourra certes objecter que les promoteurs de ce modèle, à savoir les sociaux démocrates scandinaves, ont fini par perdre les élections nationales dans un passé récent. Sans doute faudrait-il s’interroger sur les raisons de ces défaites au-delà du traditionnel phénomène d’usure. Il n’est pas impossible que l’une des explications principales réside dans le rejet du dosage entre le coût de cette politique pesant sur les catégories sociales intégrées à l’économie mondialisée et leur aspiration à profiter pleinement de leur statut.

L’un des problèmes du PS est qu’il n’a pas su s’inspirer ni aller au bout de l’analyse de ce qui fonctionne à l’étranger pour étudier la possibilité de son adaptation en France et pour définir un modèle cohérent qui soit perçu comme une alternative à la voie libérale individualiste proposée par Nicolas Sarkozy. D’où des propositions plutôt en forme de patchwork, parfois contradictoires et sans systématisation dans un corpus global de propositions. Si l’on ajoute à cela une tendance à l’improvisation dans certaines propositions (la régionalisation présentée comme le premier moteur de la croissance, le contrat première chance qui a provoqué un tollé chez les organisations syndicales) qui ont plutôt obscurci qu’éclairci notre projet, cela montre le chemin qui reste à parcourir dans la réflexion et l’élaboration dans les mois et les années qui viennent.

Les deux tours de l’élection présidentielle se sont caractérisés par une très forte participation sur laquelle on ne revient pas sauf pour s’interroger sur sa motivation et son caractère durable. Sentiment qu’une page se tourne et qu’une nouvelle génération arrive aux responsabilités, sentiment renforcé par deux candidats jeunes et aux personnalités fortes et clivées ? Sans doute. Regain d’intérêt pour la politique ? Probablement. Mais dans quel sens ?

Sommes-nous sortis d’une période de désenchantement vis-à-vis de la politique considérée comme incapable de régler les problèmes collectifs du pays (crise de la représentation) ou au contraire, compte tenu de certains aspects de la campagne, sommes-nous à un moment où ce regain traduit le sentiment que la politique peut quelque chose pour soi individuellement ? Il est difficile de répondre complètement à cette question aujourd’hui, mais la forte participation à l’élection présidentielle a sans doute été portée par le sentiment de l’impérieuse nécessité pour la France d’engager de profonds changements pour faire face aux défis que lui pose un monde qui bouge et qui bouge vite. De ce point de vue, la politique a été remise au centre des réponses à apporter même si ce ne sont pas les réponses que nous proposons qui l’ont emporté.

La bataille que nous devons engager aujourd’hui dans le cadre de la refondation de la gauche devra toutefois être tout autant idéologique et culturelle que programmatique et propositionnelle. Serons-nous capables de démonter cette vision de la société de la droite selon laquelle le salut ne peut être qu’individuel ? Cette pensée pour laquelle l’ordre social étant la résultante de contrats entre des individus théoriquement égaux en droit, personne n’est fondé à en bousculer les équilibres. Ce credo où l’inégalité sociale étant légitimée par des inégalités de talents individuels, elle est regardée comme une donnée intangible de la nature.

La gauche, qui a toujours considéré la société comme un tout que seule une dynamique d’ensemble peut transformer, doit combattre radicalement cette idéologie tout en rénovant sa pensée. Elle devra aussi concilier l’impératif de la pérennisation de systèmes collectifs, voire l’invention de nouveaux, avec la montée de l’individualisme contemporain.

Cela nécessite de passer au crible toutes les questions sur lesquelles les réponses socialistes sont apparues erronées ou peu pertinentes. Il y faudra du temps et beaucoup de travail ancré dans les réalités.

Mais cela exige d’être au clair sur une question préjudicielle majeure : le mouvement de la société et du monde se caractérise-t-il fondamentalement par un effacement du clivage historique entre la droite et la gauche ? En d’autres termes, devons-nous faire nôtre la thèse, largement répandue, selon laquelle la nouvelle victoire de la droite traduit une droitisation de la société française ? Accréditer cette thèse, comme le faisait le PC dans la période de son déclin électoral pour s’exonérer de ses propres carences, serait en effet lourd de conséquences sur le type de réponses que la gauche doit apporter et sur la nature des alliances que le Parti socialiste devrait construire.

Or, les demandes et les aspirations des Français ne se caractérisent pas fondamentalement par une poussée réactionnaire et conservatrice. Ou alors cela signifierait que l’aspiration à plus de reconnaissance et de promotion individuelles, et en même temps à plus de sécurité, de protection nationale et européenne serait irrémédiablement contraire à toute idée progressiste !

Insupportable dilemme pour les socialistes qui n’auraient pour seule alternative dans les décennies à venir qu’entre le reniement et la marginalisation !

En fait nous ne croyons pas à cette conjecture d’un mouvement d’ensemble de droitisation de notre société qui ferait que nous serions sociologiquement et idéologiquement dépassés : comment expliquer sinon nos succès de 2004 ?

N’ont-ils été que le refus de la droite et « l’excuse » du 21 avril 2002 ? Comment expliquer le spectaculaire rééquilibrage du rapport de forces politique au deuxième tour des législatives ? La réalité, c’est plutôt que nous avons raté politiquement deux rendez-vous essentiels avec le peuple français, celui de 2002 et celui de 2007, et que n’avons pas produit le travail idéologique nécessaire, ce qui explique la victoire culturelle de la droite.

[[3. Un contenu nouveau au progrès sans jeter nos valeurs par-dessus bord.

De surcroît au combat idéologique et culturel, refonder la gauche suppose aussi de revisiter les thématiques qui peuvent redonner du sens collectif à son projet et à son essence.

L’erreur serait de se soumettre à nouveau aux dérives que nous avons pu constater dans cette campagne, c’est-à-dire à l’extrême sectorisation des questions à régler qui s’est symbolisée, jusqu’à la caricature, dans les émissions de TF1 où chaque candidat était censé apporter des solutions particulières à des problèmes individuels et très ciblés de citoyens. La force de la politique réside dans la capacité à donner au besoin de proximité et de règlement des problèmes concrets la dimension d’un projet commun.

Nous devons impérativement apporter des réponses globales pour construire un nouveau rassemblement populaire et donc un rassemblement politique de la gauche.

S’adresser à l’ensemble du salariat et pas seulement au secteur public comme nous avons trop tendance à le faire, aux artisans, aux professions libérales, trouver un nouvel équilibre entre les différentes couches sociales et construire une nouvelle alliance entre les couches populaires et les couches moyennes qui les sécurise et qui permet leur promotion dans un parcours professionnel. Ce sont, sans aucun doute, des tâches prioritaires pour les socialistes. Cette question est d’autant plus cruciale que l’élection présidentielle a confirmé, en l’amplifiant, une césure nette dans le comportement électoral des Français à l’égard de la gauche. Le vote massif pour notre candidate des jeunes de moins de 25 ans, des diplômés de l’enseignement supérieur, des habitants des banlieues de grandes villes, là où le foncier est cher, ne peut pas masquer que la France des ouvriers, des petits salariés du secteur privé, des revenus modestes, des travailleurs précarisés, des retraités, vivant en général en marge des métropoles urbaines actives, dans des territoires péri-urbains en déclin ou en province, ont majoritairement voté à droite.

Cette réflexion est partie intégrante du modèle économique et social (production et répartition des richesses) sur lequel nous devrons bien nous prononcer un jour. Sans oublier que nous ne pourrons pas faire beaucoup plus longtemps l’impasse sur la frontière entre le travail précaire ou mal rémunéré et « l’assistanat », thème cher à la droite mais que nous ne pourrons éviter.

La question de « l’appartenance nationale » - qu’est-ce qu’être Français en ce début de siècle ? - ne pourra pas non plus être longtemps éludée. Il ne s’agira pas évidemment d’y répondre simplement par la symbolique du drapeau et de son bon usage un jour par an.

Attendons-nous d’ailleurs à avoir un combat frontal à mener contre la droite sur la question du communautarisme pour lequel Nicolas Sarkozy a montré une certaine appétence. Ce qui est en jeu c’est, bien sûr, la réactualisation et la modernisation du creuset républicain et la reconnaissance des identités. C’est à cette condition et non en épousant ou en flattant ses thèmes que l’extrême droite sera durablement contenue et ramenée définitivement à son niveau d’influence d’il y a 25 ans.

L’avenir des services publics est en question en France et dans le cadre européen. Il pourrait être un thème unificateur, porteur de notre vision, de la place respective du marché et de la régulation publique, pour servir l’intérêt général, le long terme, la cohésion sociale et territoriale en fonction des secteurs d’activité et de leur fonction sociale. La réflexion sur les moyens de l’action publique, la réponse aux besoins vitaux de l’humanité et de la préservation de la planète posent la question des nouveaux périmètres du capital en fonction des besoins et d’une redéfinition claire des missions assignées aux services publics. Ce qui n’épuise évidemment pas la question européenne, notamment celle de la construction d’une Europe politique.

Enfin, la problématique du développement durable et du réchauffement climatique est devant nous. Il est d’ailleurs significatif que cette question dont on sous-estime peut-être l’intérêt que lui portent les Français ait été rapidement évacuée une fois le pacte de Nicolas Hulot ratifié par les principaux candidats.

Au coeur des valeurs de la gauche, il y a l’égalité des citoyens qui ne peut plus faire l’impasse sur leur désir d’autonomie, de liberté et d’épanouissement individuel. Tout l’art du politique, dans les décennies à venir, consistera probablement à résoudre cette contradiction apparente : concilier l’individu et le collectif ou plutôt partir de l’individu sans renoncer au collectif.

Les socialistes ont longtemps défendu une acception particulière de l’égalité : celle de « l’égalité réelle » censée être assurée ou favorisée par les systèmes de protection collectifs, traditionnels ou plus récents comme le RMI ou la CMU. Or, ces systèmes largement conçus en économie fermée ou quasi-fermée sont entrés en crise avec la mondialisation. Il ne s’agit évidemment pas de les démanteler au nom de leur obsolescence mais de leur permettre de perdurer en inventant de nouvelles ressources qui ne pèsent pas uniquement sur le coût du travail et répartissent plus justement l’effort sur l’ensemble des citoyens et des sources de création de richesse. Nous avons aussi été tentés par la problématique de l’égalité des chances qui renvoie à l’idée d’une juste compétition entre les individus dès lors que leur sont offertes les mêmes chances de départ dans la vie. Reconnaissons que la puissance de la reproduction sociale est telle que cette voie est pour le moins hasardeuse. Reste une autre vision de l’égalité, peut-être plus féconde, consistant à donner à chacun les moyens de partir ou de rebondir correctement dans la vie, autrement dit une égalité devant l’avenir qui ne peut être assimilée à l’égalitarisme. Si une telle piste devait être suivie, ne nous cachons pas qu’il y faudra des moyens et des réformes en matière, par exemple, de système éducatif, de recherche, de sécurisation des parcours professionnels, sujets sur lesquels nous n’avons pas suffisamment avancé au cours des dernières années. Quant à la Nation, quel meilleur cadre pour redéfinir un partage des risques et des potentialités, susceptible de surmonter les à-coups et les angoisses de la mondialisation.

Pour une nouvelle dynamique à gauche autour du Parti socialiste

La très forte mobilisation électorale, aux deux tours de l’élection présidentielle, aura consacré les forces politiques de gouvernement. 3/4 des électeurs se sont en effet prononcés au premier tour pour l’UMP, le PS ou l’UDF, qui s’est également traduit par un très fort recul des extrêmes.

La campagne de Nicolas Sarkozy a permis d’opérer un transfert massif de voix de Le Pen vers lui ; la volonté d’éviter le risque d’un nouveau 21 avril 2002 a renforcé le vote utile à gauche en faveur de la candidate socialiste.

Mais c’est l’écart créé entre les dynamiques politiques à droite et à gauche qui doit faire l’objet d’une réflexion approfondie.

La stratégie de l’UMP de rassembler, à l’occasion de l’élection présidentielle, les 3 courants historiques de la droite française a fonctionné : le courant libéral d’essence orléaniste, le courant autoritaire de souche bonapartiste et le courant réactionnaire, conservateur et populiste qui veut prendre sa revanche sur 1968. L’avenir proche et les actes du gouvernement en diront plus sur le caractère durable ou essentiellement tactique de cette stratégie. Quoi qu’il en soit, force est de constater que c’est la première fois depuis 1969 qu’une élection présidentielle marque une telle hégémonie du candidat dominant au sein de la droite et qu’elle se fonde sur une volonté d’hégémonie idéologique.

Le mouvement à gauche a été symétriquement opposé.

D’abord, le premier tour de l’élection présidentielle a mis la gauche à son plus bas niveau depuis 30 ans, moins de 37% contre plus de 42% le 21 avril 2002. Le score de Ségolène Royal le 22 avril est, certes, le produit d’une forte mobilisation de l’électorat populaire, mais au moins autant d’un vote utile qui a littéralement aspiré une bonne part des autres votes de gauche et des Verts, la candidature socialiste bénéficiant déjà du soutien du PRG et du MRC (plus de 7% en 2002).

Toute comparaison avec le score de François Mitterrand en 1981 est donc illusoire et fausse.

D’abord parce que le PC obtenait encore plus de 15% au 1er tour, ensuite parce que le total des voix de gauche approchait les 50% dès le 1er tour.

Elle n’est pas non plus favorable si l’on se réfère aux scrutins des premiers tours de 1995 et de 2002, sans parler de ceux de 2004.

La dispersion de la gauche moins marquée qu’en 2002 a évité son élimination du second tour mais n’a créé aucune dynamique. Cette situation est loin d’être imputable au seul Parti socialiste.

Partenaire historique, le PC aura très lourdement payé, et de manière sans doute irrémédiable, ses impasses politiques et ses errements stratégiques. Peut-être a-t-il cru après le NON au référendum du 29 mai 2005 que ce dernier était fondateur d’une recomposition de "la gauche de la gauche". Le déchirement des collectifs anti-libéraux a montré qu’il n’en était rien.

La situation des Verts est une autre source d’interrogations. Au moment où l’enjeu écologique irrigue comme jamais toutes les problématiques économiques, sociales et internationales, ce courant politique est affaibli, non seulement parce que les partis de gouvernement ont intégré l’écologie dans leurs projets mais aussi parce que les Verts euxmêmes ont été incapables de faire grandir une force politique cohérente.

Reste que le Parti socialiste a, lui aussi, pris acte très tôt de l’incapacité du reste de la gauche à nouer avec lui une alliance programmatique et électorale. Il a réalisé un accord partiel avec le PRG et le MRC. Il a déployé les initiatives en direction des Verts et du PC. Mais, face au risque d’un nouveau 21 avril, il a privilégié le rassemblement autour du vote socialiste sans pouvoir ouvrir une perspective d’alliance nouvelle à gauche avant le 1er tour. Comme si la vision de cette présidentielle était réduite à passer le premier tour.

La comparaison est cinglante : la droite sort de 3 décennies de divisions et de combats fratricides lorsque la gauche apparaît en panne majeure de stratégie d’alliance, aggravée d’une inadaptation de son projet politique.

Quant au centre, le score inédit de François Bayrou le 22 avril doit être identifié politiquement. Il crée l’apparence d’un refus de la bipolarisation et il a fait croire chez certains à gauche qu’une alliance avec lui venait, à point nommé, enterrer définitivement toute recomposition à gauche et constituer opportunément l’apport indispensable pour gagner la présidentielle malgré tout. Il serait dangereux d’analyser ses 18,5% comme un tout homogène, générateur d’une adhésion identifiée idéologiquement dans la durée. On l’a vu aux élections législatives. Au-delà du socle traditionnel de la démocratie chrétienne française et d’un ensemble d’électeurs de droite allergiques à Nicolas Sarkozy, nombre d’électeurs socialistes, verts, gauchistes et chevènementistes ont voté pour François Bayrou par manque d’adhésion au pacte présidentiel et à sa candidate et, par suite, pour exprimer leur volonté de faire "turbuler" le système politique de manière « tranquille ». C’est le témoignage de la persistance de la crise de la représentation politique, notamment à gauche.

Fonder une nouvelle stratégie d’alliance du PS sur des bases aussi friables et volatiles pourrait bien constituer une opération mortelle pour la seule force de gauche qui demeure en état de marche. Ce serait croire que François Bayrou veut sincèrement larguer les amarres à droite quand tout montre que sa seule stratégie avec le PS est le "baiser qui tue" pour dégager le terrain de 2012.

Ce serait aller chercher des modèles européens de « grandes coalitions » impossibles à importer en France, compte tenu de l’histoire politique des rapports de forces et du caractère présidentiel de nos institutions et du mode de scrutin.

Elles seraient lourdes de danger pour le PS car ce type de coalitions, même si elle a un sens dans des pays voisins, ne pourrait se réaliser, en France, que sur la base d’un éclatement préalable du PS, ce qui n’est évidemment pas souhaitable, et d’une re-fragmentation de la gauche.

Il est donc urgent de travailler à l’ouverture d’une nouvelle perspective de rassemblement car, au-delà des contingences électorales, cette élection présidentielle aura éteint la force de propulsion des différentes formes d’union de la gauche que le congrès d’Epinay a lancées il y a 36 ans.

Ce travail est indissociable de celui sur notre projet et sur notre identité. Il doit être engagé à partir de points de repères clairs.

1) Ce qui doit être visé, c’est une synthèse des gauches et des progressistes et une crédibilisation de l’offre politique présentée par les socialistes qui porte l’assise du PS au-delà des 30% de l’électorat.

L’épuisement des différentes formes d’union de la gauche (programmatique, plurielle ou seulement locale) n’autorise pas à tirer la conclusion qu’une alternative d’alliance au centre doit lui être substituée.

Il y a dans la société française des forces immenses qui cherchent depuis longtemps des alternatives au libéralisme et à la mondialisation sans autre règle que celle de la financiarisation. Faute d’un cadre et d’une perspective politiques, elles sont éparpillées ou cantonnées dans des mouvements qui font de la défiance dans la politique leur identité. Au fond, l’ensemble du courant progressiste est aujourd’hui victime de sa dépolitisation. Le Parti socialiste a sa part de responsabilité dans cette situation. Autant dans les années 70/80, il avait su attirer des forces sociales, intellectuelles, jeunes qui voulaient réfléchir et travailler à l’alternance, autant il apparaît aujourd’hui puissant électoralement mais isolé, coupé du mouvement de la société, en difficulté pour en saisir les transformations. Certes, nous ne sommes pas revenus à la situation d’avant 1971. Nous sommes nombreux ; nous dirigeons de très nombreuses et grandes collectivités. Nous avons donc un terreau fertile pour aller de l’avant mais nos formes de délibérations collectives présentent des carences graves dont l’absence d’ouverture à la société n’est pas la moindre.

Nous devons travailler au rassemblement le plus large de toutes les forces qui veulent ouvrir une alternative durable à la synthèse des droites.

Les seules frontières de ce nouveau rassemblement des gauches sont entre ceux qui veulent participer à cette construction dans la société et à la formation de majorités nationales et locales et ceux qui se réfugient dans la contestation ou dans le refus du clivage droite / gauche.

Evidemment, les forces de gauche doivent être en capacité de s’adresser à tous les électeurs, y compris du centre, pour les convaincre et les entraîner.

2) C’est le Parti socialiste qui doit être le coeur et le moteur de cette nouvelle synthèse.

Le suffrage universel lui confère cette responsabilité. Il a, à l’évidence, un immense travail à fournir sur lui-même : analyser jusqu’au bout les raisons de son échec, rectifier le non fonctionnement de ses instances, les renouveler profondément ; remettre à plat son projet en n’esquivant plus cette fois-ci les débats que nous avons à trancher dans des confrontations d’idées réelles ; choisir une direction qui ne soit plus le produit de savants équilibres mais qui s’engage sur une orientation soumise au vote des adhérents et qui s’y tienne. La campagne a également montré une exigence de professionnalisme qui ne peut être ignorée.

Pour autant, la situation de la gauche toute entière nous permet-elle de traiter nos problèmes entre nous en demandant à tous les orphelins de la gauche de bien vouloir attendre que nous les ayons réglés ? N’avons-nous pas la responsabilité de mêler préparation de nos échéances internes et processus de dialogue avec des forces politiques, sociales, civiques qui souhaitent participer à un nouveau cadre de travail politique ?

D’où la question sensible de notre calendrier de travail.

Commencer le nouveau cycle pour la gauche par un congrès classique du PS aurait comporté l’assurance de reproduire les erreurs et les manques des congrès précédents : des synthèses au contenu brouillon et la prééminence des problèmes de leadership sur les problèmes de fond. Mais donner le temps nécessaire à l’inventaire et à la construction ne peut en aucune manière signifier que l’on peut en retarder les échéances.

La gauche est à un tournant de même ampleur qu’au moment du congrès fondateur d’Epinay en 1971. A l’époque il s’agissait d’unifier la famille socialiste et de l’ancrer à gauche pour permettre l’alternative à la droite. Aujourd’hui l’enjeu est de permettre au PS de refonder l’ensemble de la gauche et des progressistes. Il y a urgence.

En même temps, moins d’un an nous sépare de la prochaine grande échéance des élections municipales et cantonales. Ce sera le premier grand rendez-vous politique de ce quinquennat. D’ici là, la politique du gouvernement aura produit ses premiers effets. Les Français jugeront et ils pourront apprécier le résultat de notre travail d’opposition et de proposition. Nous devons donc, dès maintenant, engager notre travail de réarmement politique sur le fond et préparer très sérieusement les échéances du printemps.

Nous avons beaucoup de travail à produire ensemble. Il implique autant d’humilité que d’ambition collective et d’inventivité. Ne le réduisons pas par des jeux d’appareil.

Donnons-lui une vraie chance d’aboutir, par les idées.

Ayons l’ambition de nous ouvrir, entre nous et, plus encore, à des sources diverses : citoyens, associations, syndicats, intellectuels, forces progressistes d’Europe et du monde.

Ce qui est en jeu, ce n’est pas d’ouvrir le cycle d’une nouvelle primaire qui, cette fois, durerait 5 ans ! Encore moins de cultiver la propension actuelle à délégitimer nos instances de délibération et de décision. C’est de construire notre unité, par les idées, pour mériter de convaincre, demain, une majorité de citoyens.

Juillet 2007.


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