Algérie, 34e et 35e mardi ou vendredi de mobilisation : le hirak maintient le cap

mardi 29 octobre 2019.
 

Alger, 18 octobre. 35e vendredi du hirak. Depuis la rentrée, la bonne santé du mouvement se confirme de semaine en semaine, malgré l’ampleur de la répression, les anathèmes, la propagande, la désinformation…

Hier, les Algériens sont, de fait, sortis par centaines de milliers à Alger, pour réaffirmer leur rejet catégorique des élections du 12 décembre et pour exiger la libération des détenus du hirak, dont le nombre a atteint des proportions effrayantes.

Dans la matinée, un calme lourd régnait sur la ville. Le déploiement imposant des forces de police, les camions stationnés tout le long de la rue Didouche, renforcés par des véhicules tout-terrain, bouchaient le moindre interstice. Sensation d’étouffement. Les quelques hirakistes qui arpentent les rues se montrent prudents. Quelques rares manifestants se baladent drapeau sur l’épaule.

Sinon, par petites grappes ou individuellement, ils sont adossés aux murs de l’artère principale ou s’abritent dans les cafés. Il a fallu attendre 12h passés pour voir les premiers cortèges se former. Des dizaines de citoyens se donnèrent à ce moment-là le mot et se mirent à scander : « Dawla madania, machi askaria ! » (Etat civil, pas militaire), « Dégage Gaïd Salah, had el aâm makach el vote ! » (pas de vote cette année), « Les généraux à la poubelle, wel Djazaïr teddi l’istiqlal ! » (et l’Algérie accédera à l’indépendance)…

« On s’est débarrassés de la charrette, reste la casquette »

La police forme une haie le long de la rue Didouche Mourad jusqu’à la place Audin pour dégager une voie de circulation à l’usage des automobilistes. Les manifestants ne se font pas prier pour occuper la bande restante de la chaussée et remonter la rue en répétant : « Makache intikhabate ya el îssabate ! » (Pas d’élections avec le gang), « Ya Ali Ammar, bladi fi danger. Nkemlou fiha la Bataille d’Alger. Makache marche arrière, eddoula fourrière. El yed fel yed neddou l’istiqlal ! » (Ali Ammar mon pays est en danger. Nous allons continuer la Bataille d’Alger. Pas de marche arrière, le gouvernement est à la peine. Main dans la main, on arrachera l’indépendance).

La libération des détenus était au cœur des revendications populaires, comme l’exprime ce slogan : « Atalgou el massadjine, ma baouche el cocaïne ! » (Relâchez les prisonniers, ce ne sont pas des vendeurs de cocaïne). On pouvait également entendre : « Eddouna gaâ lel habss, echaâb marahouche habess ! » (Jetez-nous tous en prison, le peuple ne s’arrêtera pas). Sur un air qui rappelle la chanson El Menfi, la foule chante : « La nourid la nourid, hokm el askar min djadid ! » (On ne veut pas d’un nouveau régime militaire). Sur les quelques pancartes brandies, on peut lire : « On s’est débarrassés de la charrette, reste la casquette », « Vos lois et vos urnes sont en confinement ».

Un jeune plaide la tolérance après la fermeture de lieux de culte chrétiens à Tizi Ouzou : « Musulmans, chrétiens, juifs ou athées, nous sommes les enfants libres de l’Algérie plurielle. Ne détournez pas le sujet. » Il y avait aussi ce slogan : « Nous sommes tous Nabil Alloun ! » en solidarité avec ce jeune détenu d’opinion. Le cortège a défilé jusqu’à la rue Victor Hugo avant de rebrousser chemin.

« Coupez les routes, coupez Internet… on ne cédera pas ! »

13h. Après ce tour de chauffe, plusieurs manifestants devaient rejoindre les mosquées pour la grande prière hebdomadaire, en promettant de revenir. Un jeune lance : « Aya endirou rakâa nedeîw alihoum » (Allez, on va faire une prière pour les maudire). Les abords de la mosquée Errahma sont cernés par les groupes de fidèles, et tout en haut de la rue Victor Hugo, une foule de non-prieurs s’est massée en attendant la fin de l’office religieux pour refaire bloc et lancer la grosse manif’ rituelle.

13h40. Les fidèles fusent de la mosquée Errahma et remontent la rue Victor Hugo avant de fusionner avec les autres. Un brouhaha monte aux cris de « Dawla madania, machi askaria ! » S’ensuit une véritable déferlante humaine, par vagues successives qui vont se déverser sur la rue Didouche sans discontinuer. Un cri sourd déchire le ciel limpide : « Dégage Gaïd Salah, had el aâm makache el vote ! » Des voix lâchent : « Hé ho, mabrouk l’Tounès, laâkouba lina, yetnahaw ga3 ! » (Félicitations à la Tunisie. Vivement notre tour. Qu’ils dégagent tous). Les slogans antivote pleuvent : « Ulac el vote ulac ! » (Pas de vote), « Makach el vote, wellah ma n’dirou, Bedoui w Bensallah lazem y tirou, Loukan bersass alina tirou, Wellah ma na habsine ! » (Pas de vote, je jure que je ne le ferai pas ; Bedoui et Bensalah doivent dégager ; quand bien même tireriez-vous sur nous à balles réelles, on jure qu’on ne s’arrêtera pas !) On pouvait entendre aussi : « Hada el hirak wadjeb watani ! » (Ce hirak est un devoir national). Une jeune manifestante résume l’agenda du mouvement en écrivant : « Mardi : les étudiants ; jeudi : pilon et youyous ; vendredi : marches ; dimanche : Parlement ». Elle ajoute : « Félicitations à la Tunisie et tout mon soutien au peuple libanais ».

Toujours dans cet esprit de détermination, un citoyen arbore un panneau avec ce message : « Coupez les routes, coupez internet, coupez le téléphone, coupez l’électricité, coupez l’eau, et si vous le pouvez, coupez même l’air et faites disparaître le soleil. On ne cédera pas ! » Un manifestant s’emporte face aux policiers qui encerclent la place Audin. « L’Algérie arrachera son indépendance. Wallah on ne s’arrêtera pas ! » s’écrie-t-il. Un autre manifestant, déguisé en loup, parade avec cet écriteau : « Des loups sont partis ; ils veulent ramener leurs enfants. Mais jamais tu ne pourras dresser un loup ».

« L’istiqlal ! »

Une jeune manifestante aux slogans toujours bien sentis tenait pour sa part à délivrer ce message à travers sa pancarte : « Nos espoirs pour l’Algérie sont plus grands que vos prisons ! » Au verso, elle ajoute : « Algérie libre, démocratique et civile ! » Un jeune défilant à ses côtés affiche cet autre écriteau percutant : « Police nationale, pas politique ! » Un homme plaide : « Libérez nos enfants ». Une dame adresse ces mots aux juges : « Hommes de loi, libérez-vous ! » De larges bannières à l’effigie de Lakhdar Bouregaâ, Karim Tabbou, Samir Belarbi, Fodil Boumala et d’autres prisonniers politiques sont portées fièrement par des bras solidaires. Près de la Fac centrale, des mamans à la mine déconfite affichent les photos de leurs enfants injustement incarcérés. Des portraits notamment de Boudjemil Mohand et Ider Ali.

Un citoyen fustige les élections en écrivant : « La bêtise, c’est de sortir pour faire tomber Bouteflika puis tu participes à des élections organisées par le système de Bouteflika. » Réagissant au projet de loi sur les hydrocarbures adopté en Conseil des ministres, une citoyenne écrit : « Pour nos enfants, notre sous-sol est un gage, faisons barrage aux lois du bradage. » Un petit garçon drapé de l’emblème national et hissé sur les épaules de son papa brandit une pancarte qui dit sensiblement la même chose : « Mon avenir n’est pas à vendre ! »

Nous descendons prendre la température au boulevard Amirouche. Une marée humaine défilait là aussi avec la même ardeur, en provenance des rues Hassiba Ben Bouali, Belouizdad et des quartiers de la banlieue-est d’Alger, tandis que de l’autre côté, de grosses vagues de marcheurs arrivaient de Bab El Oued. A Maurétania, près de l’ancien siège du ministère des Finances, un carré scande : « Qanoune el malia dhidd e zawaliya ! » (La loi de finances est contre les pauvres). A la rue Hassiba, une foule dense exprime là encore son rejet des élections. Un homme a une pensée émue pour les victimes des massacres du 17 Octobre 1961 en écrivant : « Maurice Papon, criminel de guerre ! »

Des supporters de l’USM El Harrach arrivent en force. « Chkoune sbabna, eddoula hiya sbabna ! » (Qui est la cause de nos malheurs ? C’est l’Etat), chantent-ils. A un moment, un carré de manifestants entonne Qassaman. Chair de poule. L’hymne national est suivi d’une salve de hourras triomphants. Puis, ce mot d’ordre martelé à volonté : « L’istiqlal ! » (L’indépendance).

MUSTAPHA BENFODIL


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