Entretien avec Sylvie Durand, secrétaire nationale de l’UGICT-CGT, spécialiste des retraites

vendredi 15 novembre 2019.
 

Sylvie Durand, secrétaire nationale de l’UGICT-CGT, spécialiste des retraites, nous a accordé un entretien, que nous reproduisons ci-dessous.Nous tenons à l’en remercier.

Lors d’une conférence de presse du 29 octobre 2019, vous avez communiqué des chiffres tellement alarmants sur les effets du projet de loi Delevoye que les médias n’osent pas encore les diffuser. Quels sont ces chiffres ?

Sylvie Durand : Le gouvernement prévoit de plafonner les ressources affectées aux retraites à 14 % du PIB. Donc, mécaniquement, avec un nombre de retraités qui va croître, on ne peut avoir qu’un décrochage continu du niveau des pensions. La taille du gâteau ne bouge pas, le nombre de convives augmente, les portions diminuent. Tous les salariés seraient perdants, y compris ceux qui ont déjà liquidé une pension de retraite.

En outre, dans un système par points, le droit à retraite est proportionnel à la durée de cotisation, c’est-à-dire aux périodes travaillées. On abandonne la référence aux 25 meilleures années du système actuel. Les périodes d’étude ne sont pas cotisées... sauf pour l’ENA, Polytechnique et une poignée d’autres grandes écoles ! Donc, pour compenser les années de formation initiale, les salariés devront travailler au-delà de 70 ans.

Si l’on fait des simulations en se basant sur le salarié dont le salaire évolue comme le salaire moyen par tête, la durée de cotisation nécessaire pour obtenir 75 %, voire 66 % ou ne serait-ce que 60 % de son dernier salaire est aberrante. Pour avoir 75 % de son salaire de fin de carrière, un salarié devra cotiser 54 ans... soit avoir un début de carrière à 10 ans ! Un salarié diplômé d’un bac+5 à 23 ans, devra travailler, s’il le peut, jusqu’à 77 ans.

C’est « gros », en effet… Mais y aurait-il des gagnants dans le nouveau « système » ?

Sylvie Durand : L’âge du taux plein, établi dans le rapport Delevoye à 64 ans, va évoluer. Très rapidement il ne serait accessible qu’à l’âge de 67 ans. Le rendement – c’est-à-dire le rapport entre la valeur de service du point et son prix d’acquisition – passerait, lui, de 5,5 % à 4,95 %. Ces calculs sont établis pour une personne qui n’aurait connu aucune interruption d’activité (arrêt maladie, congés maternité) et pas la moindre période de chômage. La réforme proposée est donc une imposture intellectuelle pour toutes et tous. Mais c’est tellement gros que, pour l’instant, les gens ne semblent pas y croire !

Soulignons aussi que le rapport Delevoye a indiqué que les « solidarités » seraient maintenues, mais « financées par l’impôt », ce qui en change la nature. Les dispositifs actuels de solidarité, qui bénéficient à tous les salariés, seraient transformés en aides sociales, lesquelles seraient, comme l’allocation de solidarité aux personnes âgées, délivrées sous conditions de ressources et probablement récupérables sur succession.

Enfin, un autre point inadmissible de ce projet concerne les retraites liquidées qui diminueraient si leur montant total représentait un pourcentage de PIB supérieur à 14 %, ce qui ne manquerait pas d’arriver en cas de récession, c’est-à-dire d’une chute brutale du PIB. Notre système de retraite a joué un rôle important, comme filet de sécurité, lors de la crise de 2008. Le gouvernement, s’il parvient à mettre en œuvre ce projet de réforme, priverait le pays de cette protection. C’est irresponsable.

Pour l’instant, seules les banques et les assurances sortent gagnantes de ce projet de réforme. Elles peinent à faire prospérer en France le business de l’épargne retraite, qui est un vrai danger : ces dispositifs ne s’engagent même pas à restituer le capital en euros courants et s’évanouissent en cas de crise financière systémique !

Comment qualifier ce projet de réforme ?

Sylvie Durand : C’est un vrai projet de rupture avec la Sécurité sociale, ses mécanismes et ses principes. La Sécu met en œuvre cette idée de cotiser selon ses moyens et de redistribuer selon les besoins. Avec le projet du gouvernement, le droit à retraite est strictement proportionnel aux cotisations. Toutes les précarités pèseront dans la pension. Selon la philosophie du projet Macron/Delevoye, les solidarités seront financées par l’impôt, et non plus par la cotisation sociale. C’est donc une rupture de fond qui, si ce projet devait être mis en œuvre, changerait toute la société française. C’est aussi un projet qui appauvrit l’ensemble des salariés en postulant que la part du PIB consacré aux pensions n’augmentera plus et restera figé à 14 %, alors que la part des retraités va immanquablement augmenter.

C’est sur cette question de base qu’une stratégie unitaire doit être recherchée avec les autres organisations syndicales. En effet, avec la réforme Macron/Delevoye, les gains de productivité ne sont plus « partagés » avec les salariés et les retraités. Dans le même temps, la part des dividendes augmente dans le PIB.

La CGT propose les axes suivants : l’augmentation des cotisations vieillesse, la retraite à 60 ans (âge d’ouverture des droits) , une pension correspondant à 75 % du salaire de fin de carrière et pas de pension inférieure au Smic net. En ce qui concerne la durée de cotisation, on peut proposer de parler de « carrière complète » pour prendre en compte les années d’études qui doivent intégrer le calcul, si l’on ne veut pas voir décrocher cette partie importante du salariat que représentent ceux qui sont qualifiés.

Propos recueillis par Anne de Haro le 2 novembre 2019


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