La refondation qui s’impose ( par Christian Picquet, courant UNIR de la LCR)

dimanche 15 juillet 2007.
 

Pas de doute, nous sommes bel et bien confrontés à un tournant de notre histoire politique. Certes, le second tour des élections législatives sera venu corriger la déroute annoncée par les résultats du premier. Si l’UMP et ses alliés auront conservé une majorité des plus confortables à l’Assemblée nationale, la vague bleue redoutée sera finalement venue se heurter à une remobilisation partielle en faveur de la gauche. Il aura suffi, pour aboutir à cet infléchissement de tendance, que le débat public se recentre sur les questions sociales, et plus particulièrement sur le projet d’instauration d’une TVA dite sociale. De quoi rappeler opportunément, à qui eût pu l’oublier, que la société française n’a pas tout entière basculé dans l’adhésion au libéralisme « décomplexé » prôné par le nouveau président de la République. D’ailleurs, tous les sondages en témoignent : si, face à l’incapacité de la candidate socialiste de répondre aux attentes sociales, Nicolas Sarkozy a pu gagner l’adhésion d’une fraction des classes populaires, le pays n’en reste pas moins majoritairement défiant envers la loi du marché et le modèle libre-échangiste.

La contre-révolution décomplexée

Restons toutefois lucides, la victoire plus serrée qu’attendue de la « majorité présidentielle », le 17 juin, n’atténue en rien la gravité de la défaite politique subie par la gauche et le mouvement social le 6 mai. S’étant accaparé tous les leviers de commande, prenant toutes les décisions depuis son château élyséen, contrôlant toutes les institutions et la plupart des contre-pouvoirs médiatiques, Nicolas Sarkozy n’entend pas perdre un instant pour mettre en oeuvre cette contre-révolution conservatrice à la française dont il a fait son projet...

La posture de Bonaparte, qu’il affectionne si ostensiblement depuis son entrée en fonction, si elle est très loin de résumer son dessein, n’en est pas moins, immédiatement, le moyen efficace de brouiller les repères les mieux installés, de jeter le trouble en anesthésiant un maximum d’opposants possibles, de diviser profondément les classes populaires, de prétendre s’adresser aux citoyens sans le moindre intermédiaire. Ainsi, grâce à cette opération d’une redoutable habileté, les mesures sociales les plus brutales qu’un gouvernement ait prises depuis des lustres - offensive de démantèlement du code du travail, accroissement considérable des privilèges fiscaux, attaque frontale contre l’école publique et mise en concurrence des universités dans la plus pure logique marchande - se trouvent-elles présentées comme un moyen de promouvoir le mérite individuel et de sélectionner les meilleurs. La remise en cause du droit de grève, y compris dans sa dimension constitutionnelle, telle que la profile le projet de loi sur le «  service minimum », s’avère-t-elle justifiée au nom de l’égalité et de l’intérêt général. Le mini-traité européen, bien qu’il ne fasse que reprendre les points-clés du projet de Constitution rejeté le 29 Mai, se voit-il présenté comme la synthèse du « oui » et du « non » qu’aurait seul permis le volontarisme du nouveau monarque. Le débauchage continu d’éminences socialistes en quête de sinécures et d’honneurs se veut-il la démonstration de l’obsolescence du clivage gauche-droite au regard de l’utilisation des compétences et de l’efficacité pure. À l’orée de la trêve estivale, un singulier climat s’impose ce faisant, tendant à dépolitiser les confrontations, à techniciser le moindre des dossiers débattus, à renvoyer à des oppositions idéologiques surannées l’évocation de choix de société antagoniques...

Le rideau de fumée finira, bien sûr, par se dissiper. Le danger n’en est pas moins qu’il ait, entretemps, permis d’obscurcir ce qui se jouait vraiment, de faire sauter les verrous qui empêchaient encore une conversion totale du pays aux normes de la mondialisation capitaliste, de liquider ce qu’il demeurait des conquêtes sociales arrachées depuis la Libération, de dégrader qualitativement le rapport des forces entre capital et travail, de faire évoluer les institutions vers un régime présidentiel synonyme d’une atrophie accentuée de la démocratie.

Dans son entreprise, Nicolas Sarkozy ne dispose pas de meilleur atout... que la tétanie s’étant emparée de la principale composante de son opposition parlementaire. Comment, à dire vrai, le Parti socialiste pourrait-il s’employer à faire barrage aux projets gouvernementaux, alors que la campagne de Ségolène Royal a si amplement démontré que son appareil se situait sur le terrain de l’adaptation totale à la vulgate libérale ? Par quel miracle parviendrait-il à résister à la tentative de déstabilisation dont il est l’objet avec le passage d’une série de ses figures chez Sarkozy, dès lors que, sur le terrain des idées, il a lui-même rendu les armes à l’adversaire et que, se tournant obstinément vers le centre de François Bayrou depuis des mois, il a contribué à dynamiter la ligne de partage entre la droite et la gauche ? Pourquoi symboliserait-il maintenant une alternative à l’ultracapitalisme du clan au pouvoir, à partir du moment où ses principaux leaders, de Royal à Strauss-Kahn en passant par Hollande, ne rêvent plus que de dissoudre définitivement la tradition social-démocrate dans un nouveau centre gauche, à l’image de ce qui s’est déjà produit de l’autre côté de nos frontières, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie ?

Relever le défi

Autant dire que nous nous trouvons face à une double rupture : à droite, avec le réarmement politique et idéologique du camp conservateur, afin qu’il soit en mesure de mettre en oeuvre les orientations qu’appelle un capitalisme entré dans un nouvel âge de son développement ; à gauche, avec l’accélération de l’aggiornamento libéral qui mène le PS à trancher les derniers liens qui l’arrimaient encore à sa propre histoire comme aux valeurs fondatrices du mouvement ouvrier. Le danger, majeur, est que ces deux ruptures, agissant en synergie, ne finissent par verrouiller pour longtemps le jeu politique, au moyen d’un bipartisme reléguant aux marges les forces n’ayant pas renoncé au changement social.

Échapper à ce piège mortifère suppose de s’engager dans une refondation dont l’objectif ne peut être que l’affirmation d’une gauche de gauche. Non l’aile gauche, nécessairement alibi, d’un grand parti, que d’aucuns évoquent déjà au PS et qu’ils disent devoir occuper tout l’espace politique jusqu’au centre gauche ; ni une petite gauche se concevant comme un aiguillon externe du social-libéralisme, ou une extrême gauche plurielle forcément impuissante devant l’ampleur de la reconstruction nécessaire. Mais une force apte à disputer au Parti socialiste l’hégémonie qu’il exerce sur la gauche et à faire triompher, au sein de cette dernière, une démarche de rupture antilibérale.

Le défi interpelle, et il interpellera toujours davantage, l’ensemble des forces, courants et militants qui n’entendent pas abdiquer devant l’ordre établi.

* La LCR, bien sûr, qui dispose d’un surcroît de responsabilité depuis que son candidat, Olivier Besancenot, a obtenu le score que l’on sait à la présidentielle, mais qui ne saurait se bercer d’illusion sur le fait qu’elle pourrait devenir le centre de gravité de la nouvelle force transformatrice aujourd’hui indispensable.

* Le Parti communiste également, qui, au second tour des législatives, a fait la démonstration que son influence réelle était bien supérieure score de Marie-George Buffet quelques semaines plus tôt, mais auquel un déclin accéléré pose la question vitale de son dépassement s’il veut effectivement contribuer à l’émergence d’une alternative à gauche.

* Les collectifs antilibéraux aussi, sortis étrillés de l’échec de la tentative d’aboutir à des candidatures unitaires lors de cette séquence électorale, mais qui conservent un capital militant qui se révélera indispensable à la reconstruction d’une perspective porteuse d’espoir.

* Les secteurs de gauche du PS, eux aussi, qui ne peuvent plus se dérober au constat que l’adaptation au modèle libéral représente une tendance lourde pour l’ensemble des socialdémocraties européennes, et que toutes les tentatives de la contrecarrer de l’intérieur se sont soldées par des échecs cinglants.

* Nombre d’animateurs du mouvement social enfin, tant il est vrai que la résistance au sarkozysme ne trouvera pleinement sa dynamique que si elle peut s’appuyer sur des éléments d’alternative politique.

C’est un processus qu’il nous appartient donc de mettre en oeuvre, sans précipitation mais avec détermination.

Il passe par le rassemblement de toutes les énergies antilibérales au sein de la gauche, pour la réflexion et le débat, l’élaboration d’un projet de nouveau mobilisateur et l’action, dans le but d’aboutir à terme à une nouvelle force politique. Il devrait, lorsque les conditions en seront réunies, aboutir à une étape du type états généraux pour une gauche à gauche. Toutes les initiatives seront les bienvenues si elles y contribuent. C’est en ce sens que l’on ne peut que se féliciter de la création du carrefour « Maintenant à gauche ». L’urgence est grande.


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