par Luc Peillon, Jacques Pezet
Les représentants du plus grand fonds d’investissement au monde, très intéressés par la loi Pacte et la réforme des retraites, ont déjà rencontré à plusieurs reprises le président de la République. Le lobby dont fait partie BlackRock en France, l’AFG, a également multiplié les actions d’influence sur la loi Pacte auprès des dirigeants français.
Question posée
Bonjour,
Alors que le Parisien révèle que le haut-commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye, n’avait pas mentionné sa fonction d’administrateur au sein d’un Institut de formation de l’assurance (Ifpass) dans sa déclaration d’intérêts à l’HATVP (Haute Autorité pour la transparence de la vie publique), de nombreux internautes et le site Arrêt sur images pointent du doigt les proximités entre Emmanuel Macron, son gouvernement et BlackRock, « fonds extrêmement attentif aux opportunités des réformes du système des retraites en France ». Et de dénoncer une réforme qui aurait été dictée par le lobbying du géant américain.
Les accointances supposées du pouvoir avec ce géant de la finance (plus de 6 000 dollars d’actifs, dont les deux tiers concernent l’épargne retraite) reposent notamment sur un article du Canard enchaîné, dont une capture d’écran a ressurgi la semaine dernière. Dans ce texte, qu’Arrêt sur images a d’abord présenté comme publié « la semaine dernière » avant de corriger en révélation « de l’automne 2017 », le palmipède révélait que le 25 octobre 2017, l’Elysée avait reçu en grande pompe durant toute une journée (et non pas seulement durant un dîner comme évoqué dans la presse) « le gratin de la finance mondiale, représenté par les dirigeants de BlackRock, le plus gros investisseur du monde, et par 21 gestionnaires de fonds ».
Ian Brossat
Si vous aviez encore un doute... Tout est désormais écrit noir sur blanc : le fonds de pension américain, Black Rock, explique que les réformes Macron lui permettront de gérer la retraite privée des Français
Autre élément cité : un extrait du documentaire « Ces financiers qui dirigent le monde – BlackRock », diffusé par Arte en septembre 2019, dans lequel le réalisateur Tom Ockers rappelle qu’Emmanuel Macron « avait déjà rencontré Larry Fink [le PDG de BlackRock, ndlr] à plusieurs reprises après sa prise de fonction » et qu’il « veut favoriser les privatisations en France. A cet effet, le président de la République a créé une commission dont l’un des membres n’est autre que le patron de BlackRock France, Jean-François Cirelli. Cet ancien conseiller du président Chirac […] ne cesse de réclamer un recours accru aux fonds spéculatifs pour l’assurance vieillesse. »
A la recherche des contacts entre la multinationale et l’Elysée, CheckNews a pu lister les rencontres suivantes évoquées dans la presse. L’Obs rapporte que dès le 6 juin 2017, le PDG de BlackRock, Larry Fink, « a été reçu en toute discrétion à l’Elysée, par le Président, et à Matignon ». Trois semaines plus tard, le 28 juin 2017, Bruno Le Maire rencontre Larry Fink lors d’une visite à New York autour d’un « entretien bilatéral » et d’un « dîner d’attractivité ». Le ministre de l’Economie s’était rendu aux Etats-Unis pour convaincre Wall Street d’investir en France.
Le 17 octobre 2017, le gouvernement mandate le Comité action publique 2022 (un groupe d’une trentaine d’experts) pour travailler sur la réforme de l’Etat. Parmi ses membres, on retrouve le président de BlackRock France, Jean-François Cirelli. C’est l’homme qu’on voit à la fin de l’extrait du documentaire d’Arte en train de défendre l’épargne-retraite sur le plateau des Echos en juin 2018 ou sur France info en juin 2019.
Une semaine plus tard, le 25 octobre 2017, le PDG américain Larry Fink, accompagné de dirigeants de BlackRock et de 21 gestionnaires de fonds, est de retour à Matignon et l’Elysée, lors de la journée de réception décrite par le Canard enchaîné. Lors de cette visite, les financiers vont être chaleureusement reçus dans les ors du salon Murat de l’Elysée, où a lieu le Conseil des ministres, pour y assister à des exposés de plusieurs ministres : Muriel Pénicaud, Elisabeth Borne, Bruno Le Maire et Benjamin Griveaux. Le soir, ils dînent avec des ministres et Emmanuel Macron.
« Le bon plan retraite »
Larry Fink répond également présent à l’appel de l’Elysée, le 10 juillet 2019, lorsque Emmanuel Macron y organise une réunion sur le climat et l’investissement, au cours de laquelle « huit des plus importants gestionnaires français et mondiaux se sont engagés à coopérer pour mieux prendre en compte l’impact du changement climatique dans leurs politiques d’investissement », rapportent les Echos.
Blackrock fait également partie de l’AFG (Association française de la gestion financière, lobby des fonds d’investissement en France). Cette organisation n’a pas ménagé sa peine ces derniers mois, afin de défendre ses intérêts dans la loi Pacte (croissance et transformation des entreprises), alors en cours d’élaboration. Sur le site de la HATVP, où les « représentants d’intérêts » doivent, avec plus ou moins de précision, déclarer leur action de lobbying, on dénombre plusieurs rencontres, en 2018 et 2019, avec des membres du cabinet d’Emmanuel Macron, du Premier ministre, de Pénicaud ou encore à Bercy, sur la loi Pacte précisément, et le plus souvent sur la question des nouveaux dispositifs d’épargne retraite contenus dans ce texte.
Dans une note titrée « Loi pacte : le bon plan retraite », de juin 2019, BlackRock listait même publiquement ses recommandations, notamment au gouvernement français, afin de développer l’épargne retraite. Entre autres préconisations : « Pérenniser le dispositif législatif et les incitations fiscales de long terme », « Faciliter ou prévoir la mise en place d’incitations comportementales pour accroître le niveau des contributions volontaires », « Intégrer un volet éducation financière pour soutenir le marché cible d’épargnants qui n’ont pas accès à un conseiller financier », « Faire bénéficier les particuliers à faibles revenus de mesures d’incitations additionnelles », et même « Imposer à terme la mise en place des dispositifs d’épargne-retraite de type auto-enrolment (adhésion automatique) »…
Au-delà de BlackRock, la loi Pacte et la réforme des retraites attisent aussi l’appétit d’autre fonds américains, comme le rappelait en septembre un article des Echos : « "La réforme des retraites, à commencer par la loi Pacte, devrait offrir de nouvelles opportunités pour les gestionnaires d’actifs pour servir le marché français", résume un porte-parole de Pimco (un fonds de gestion, ndlr). » Part belle aux fonds d’investissement
Si l’on ignore l’influence exacte qu’ont pu avoir ces opérations de lobbying, il n’en reste pas moins que la loi Pacte, comme le projet de loi retraite, complémentaires, font effectivement la part belle aux fonds d’investissement. Entré en vigueur le 1er octobre, le nouveau Plan épargne retraite (PER), qui doit remplacer, à terme, les différents dispositifs existants, est censé rationaliser et développer la retraite par capitalisation en France, avec exonérations fiscales à la clef.
Comme en écho à cette loi, et sans doute pour booster le nombre de clients potentiels à cette épargne par capitalisation, le projet de réforme des retraites prévoit d’exclure désormais une partie des cadres de la retraite par répartition. Comment ? En limitant les cotisations retraites contributives (c’est-à-dire ouvrant des droits) à seulement trois plafonds sécu dans le prochain système par points, au lieu de huit dans le système actuel. Autrement dit, un cadre payé plus de 10 000 euros par mois ne pourra plus ouvrir de droits à la retraite au-delà de cette somme. Seule solution : souscrire un plan d’épargne retraite…
Même les salariés moins bien payés seraient incités à y souscrire. Car d’une manière générale, la réforme par points devrait pénaliser les carrières ascendantes (en prenant en compte toute la carrière et non plus les 25 meilleures années), donc particulièrement les cadres.
http://bellaciao.org/fr/spip.php?ar...
Blackrock le saigneur de nos retraites est au cœur du pouvoir grâce à des ministres, des secrétaires d’état. Il est aussi au cœur des entreprises du cac40. La sangsue est mise au jour, la "main invisible du marché" se voit !!
Macron a convié Larry Fink, patron de BlackRock, à des entretiens à l’Elysée. Il a nommé Jean-François Cirelli, patron de BlackRock France, dans une commission sur les privatisations qui défend les fonds spéculatifs pour les retraites.
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a France, un marché stratégique pour les gérants américains
Pays d’épargnants, la France est le premier marché d’Europe continentale pour la gestion d’actifs. Les institutionnels, qui représentent 73 % des encours en France, constituent une porte d’entrée privilégiée pour percer sur ce marché largement dominé par les acteurs locaux. Plusieurs gérants américains se penchent sur les opportunités offertes par la réforme de l’épargne retraite.
Avec 4.142 milliards d’euros d’encours à la fin 2017, la France représente le premier marché d’Europe continentale pour la gestion d’actifs. Loin devant l’Allemagne (2.161 milliards) et la Suisse (1.887 milliards), selon une récente étude de l’Efama, le lobby européen des fonds d’investissements. Une manne qui ne passe pas inaperçue outre-Atlantique.
Le blog de Martial LE BOULH
Connaissez-vous T.RAWE PRICE, CAPITAL RESEARCH, VANGUARD GROUP, BLACKROCK ? Non. Cela ne vous dit vraiment rien. Rassurez-vous, vous n’êtes pas les seuls dans ce cas. En effet, peu de monde à l’exception de quelques professionnels de la finance, répondent par l’affirmative à cette question. Pourtant, loin d’être anecdotique, ces sociétés dites de « gestion d’actifs » brassent environ seize mille milliards de dollars de fonds. Montant faramineux qui provient de différentes sources : fonds de pensions, produits financiers pour particuliers (les ETF ou exchange trades funds), fonds souverains ou acteurs institutionnels.
Chargées, par des milliers de particuliers (via les fonds de pension) de placer l’épargne de leurs clients en vue de s’assurer une future retraite, ces entreprises occupent une place centrale au cœur du système financier international. Parmi celles-ci, la société BLACKROCK en est incontestablement le leader.
Fondée en 1988 à New York et actuellement gérée par Laurence (« Larry ») Fink, BLACKROCK emploie 13500 employés dans le monde. Ces salariés gèrent près de 7000 milliards de dollars d’actifs, soit le 3ème PIB mondial après les USA et la Chine mais devant des pays comme le Japon, l’Allemagne ou la France. Présent principalement aux États-Unis (60 % de ses investissements), la firme envisage de développer ces activités en Europe et en Asie (30 % environ de son activité à l’heure actuelle) dans les années à venir. Presque insignifiante il y a dix ans, l’influence de BLACKROCK ne fait que croître depuis la crise financière de 2008 et la chute de grandes banques comme LEHMAN BROTHERS ou d’acteurs institutionnels tels FREDDIE MAC ou FANNY MAE.
Cette montée en puissance s’explique en partie par deux phénomènes complémentaires :
1) En pleine crise financière, alors que la confiance est rompue et que les États s’apprêtent à « sauver les banques », les choix d’investissements de la société de Larry Fink s’avèrent solides.
2) Cette crise financière, qui bascule vite dans une crise économique, sociale, politique et institutionnelle oblige à agir vite. Les agences de notations traditionnelles (Moody’s, Standard and Poor’s, Fitch) ou les banques d’affaires (JP MORGAN, GOLDMAN SACHS, UBS) étant hors-jeu, le trésor Américain (son directeur d’alors Timothy Gardner sera par la suite nommé secrétaire au Trésor par Barack Obama) choisi de faire appel à BLACKROCK afin d’évaluer l’étendu des dégâts. Décision d’autant plus compréhensible que Larry Fink se trouve être adhérent du Parti Démocrate.
Dorénavant installé au cœur du pouvoir Américain, BLACKROCK déploie une stratégie de communication et d’investissement fort habile autour de deux priorités :
1) Respect des critères ESG (environnement, social et gouvernance).
2) Prise de participation minoritaire (en général pas plus de 10% des parts d’une société) dans un panel très large d’entreprises cotées en bourse.
Loin d’être anecdotique, cette stratégie donne à la firme de New York la possibilité de siéger au sein de plusieurs conseils d’administration. Position essentielle pour pouvoir influencer discrètement les dirigeants et peser sur la gouvernance des entreprises. Pouvoir peser sans jamais prendre directement le contrôle des sociétés visées, telle semble être la ligne politique de BLACKROCK. Bref, un actionnaire minoritaire mais actif dans la préservation des intérêts de ses clients.
Cependant, cette puissance acquise par BLACKROCK commence par inquiéter beaucoup de monde. De plus en plus d’économistes, de journalistes et de citoyens alertent sur le danger systémique que représente BLACKROCK. Loin de suivre ses propres recommandations, l’entreprise choisie d’investir dans des sociétés dont le respect des critères ESG ne saute pas aux yeux (secteur du pétrole et de l’armement par exemple). La logique purement capitaliste prend clairement le dessus sur le respect de normes éthiques. Business is Business.
Mais d’autres questions viennent percuter l’image lisse et humaniste que souhaite donner la firme au monde extérieur. La première de ces interrogations concernent ce que les spécialistes appellent la propriété commune. Il s’agit pour une entreprise d’entrer dans le capital de plusieurs sociétés d’un même secteur d’activité normalement concurrente. Cette situation pourrait avoir des répercussions néfastes sur les prix, l’investissement, l’innovation et in fine aboutir à la faillite et provoquer ainsi des licenciements massifs.
La deuxième grande interrogation se focalise sur l’outil phare que BLACKROCK développe depuis quelques années : ALADDIN (pour Asset, Liability, Debt an DerirativeDerirativet Network ou en français réseau d’investissement en actifs, passifs, dettes et dérivés). ALADDIN, système conçu par BLACKROCK Solutions (division de la gestion des risques de la maison mère) s’appuie sur les algorithmes et l’intelligence artificiel afin d’analyser et de limiter les risques liés aux investissements. Hors, pour assurer un fonctionnement optimal, ALADDIN doit se nourrir d’un nombre conséquent de données. Dès lors, une question à 7000 mille milliards de dollars se pose : Larry Fink et les dirigeants de BLACKROCK manipulent t-ils l’argent de millions de clients (Américains principalement) dans le but d’accumuler une masse critique d’information que seul ALADDIN sera susceptible de traiter, d’analyser et bien sûr de faire fructifier ?
Troisième interrogation. Et peut être la plus essentielle pour la pérennité de nos systèmes de protection sociale. Le cœur de métier de BLACROCK ( et des autres sociétés de gestion d’actifs) reste d’assurer à ses clients des placements financiers les plus « sûrs » possibles et verser des pensions à des millions de travailleurs au jour de leur retraite. Ce que Larry FINK appelle le « SENSE OF PURPOSE » de l’entreprise. Cette raison d’être, comme le dit Jean-François CIRELLI*, représentant en France de BLACKROCK, démontre « l’utilité sociale » de cette société. Loin de chercher le profit à tout prix, les entreprises de gestion d’actifs participent au « sauvetage » de notre système de retraite par répartition. Pour ce faire, il encourage les décideurs politiques à mener des réformes courageuses afin de favoriser des dispositifs de retraite par capitalisation (PERCO, Assurance vie, etc.).
Ce discours sur la complémentarité entre système de retraite par capitalisation et système de retraite par répartition ne trompe personne. A par peut être les naïfs ou ceux qui feignent de l’être. L’objectif est clair et assumé : Supprimer petit à petit le système par répartition et promouvoir le système par capitalisation, gage soi disant d’efficacité et de modernité. Il s’agit de détourner les milliards d’euros mutualiser et solidairement partagé vers une individualisation du risque. Assurer aux banques, assurances et sociétés de gestion d’actifs un nouveau marché aux perspectives de profits croissants. Mais situation cauchemardesque pour des millions de personnes, esclaves et futures victimes de la fluctuation des cours de Bourses pour le versement de leurs pensions de retraite.
Concluons provisoirement ce voyage dans le monde merveilleux de Larry FINK et de BLACKROCK par un détournement d’une citation célèbre : « Les entreprises n’ont pas d’amis, elles n’ont que des intérêts ». Espérons que les millions de salariés, et particulièrement en France dans les mois à venir, saurons se souvenir de cette phrase et défendrons, eux aussi, leurs intérêts face à la cupidité sans fin des marchés financiers.
* Jean-François CIRELLI, ex directeur du trésor en France, ex conseiller de Jacques Chirac, ex-dirigeant d’ENGIE
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