La thatchérisation du monde et l’extrême-droite économique : un trajet vers la ploutocratisation du monde

mardi 28 janvier 2020.
 

La thatchérisation politique et sociale se mène, sur le temps long et un espace transnational et même mondial, en suivant les dogmes économiques ultra-libéraux de l’extrême-droite économique, laquelle « extrême-droite économique » n’est pas à assimiler - par exemple - à Ronald Reagan aux EU ou Margaret Thatcher en Grande-Bretagne qui n’en étaient que les relais politiques à la fin des années 70 et au début des années 80 (avec un décalage en France ) : exemple des retraites : 1). Certes ce sont eux, acteurs politiques de premier plan, qui ont mené des politiques extrêmement destructrices contre l’Etat social et dures contre les ouvriers et employés au profit du grand patronat, des riches du 1% et de la classe rentière. En France, pour la période récente, après Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron fait de même (cf Thatchérisation selon Brigitte Pascall sur Mediapart - note) : deux présidents des riches.

I - LA RADICALISATION NEO-LIBERALE : Un ultra-libéralisme brutal.

« Qu’est-ce que le néolibéralisme ? Un programme de destruction des structures collectives capables de faire obstacle à la logique du marché pur » in L’essence du néolibéralisme, par Pierre Bourdieu (Le Monde diplomatique, mars 1998 - https://www.monde-diplomatique.fr/1...).

Elle a historiquement fait « coup double », contre le bloc socialiste d’une part et contre le « capitalisme social » fort d’un compromis de l’Etat social institutionnalisé après la seconde guerre mondiale.

Un texte d’ATTAC de décembre 2004 évoque la « radicalisation néolibérale ». Elle se poursuit. Citation : « Le néo-libéralisme est une doctrine et un corpus de politiques qui visent à libérer le capitalisme des entraves que les luttes sociales et les compromis passés lui avaient imposées. Grâce au néo-libéralisme la logique du profit renforce son emprise sur l’ensemble des activités humaines : production, communication, éducation, soins, loisirs, jusqu’à la reproduction même de la vie... Le processus de marchandisation ne connaît pas de limites et happe le temps et l’espace des individus, ceux du travail et de la vie, aggravant ainsi la dépossession de soi-même, l’aliénation individuelle et collective ».

* Puissant contre-mouvement réactionnaire établissant des ploutocraties. Reprenant le titre d’un livre La passion de détruire d’Erich Fromm avec sa double logique d’une part force de vie (Eros) qui soutient, protège, développe, construit et d’autre part la force régressive et mortifère (Thanatos) qui détruit, humilie, abaisse, etc... on peut voir cette logique destructrice fort bien appliquée aux institutions de cohésion sociale et de justice sociale avec inégalités sociales montantes, précarités et misères à la clé. On évoque alors, à raison, un long contre-mouvement réactionnaire, car de destruction des garanties sociales durement conquises. Il y a un lien.

* Ce qui émerge alors avec ce contre-mouvement, derrière la démocratie libérale - élection et droits -, c’est la ploutocratisation du monde, le pouvoir des riches, du 1%. En effet, il n’y a pas qu’aux Etats-Unis que le jugement a pu être valablement émis par l’ex-président de la Fed, Paul Volcker (2) mais dans de très nombreux pays et notamment en Europe pour ce qui est de l’Union européenne. Nous allons vers un césarisme ploutocratique en Europe (UE). Il ne suffit pas de pointer un césarisme au sein de l’Union européenne (cf Le Monde Diplomatique 2012) si on ne dit pas qu’il s’agit surtout d’un césarisme ploutocratique visant à renforcer le pouvoir des firmes multinationales et la richesse du 1%. Si « la Banque centrale européenne et la Commission de Bruxelles mènent une guerre budgétaire contre plusieurs pays membres » et surtout leur peuple-classe, c’est pour favoriser et renforcer la richesse des riches.

* Evidemment, il y a une résistance de chaque peuple-classe plus ou moins forte selon les traditions culturelles. L’année 2019 a marqué une nette remontée des luttes sociales contre les inégalités sociales, les privatisations, le pouvoir de la finance. Une sorte d’altermondialisation contre la mondialisation capitaliste ! Les forces identitaires religieuses ou nationalistes – populisme de droite – essaient de récupérer ces luttes pour replacer des élites économiques à la tête de chaque nation. Mais les résistances demeurent, semble-t-il.

Analyser la résistance des groupes sociaux et des peuples fait même l’objet d’une science politique appliquée à l’économie capitaliste dominante. Il va s’agir – parmi d’autres conseils et pour viser l’essentiel – de diviser et de discriminer au lieu d’attaquer frontalement tout un peuple. Cette analyse des résistances (Exemple Morrisson - OCDE) a émergée avec les problèmes d’application des politiques d’ajustement structurels en Afrique, en Amérique latine « préconisées » par la Banque mondiale et le FMI.

* Et les gauches ? Un problème : François Hollande au Bourget : « Je vais vous dire qui est mon adversaire, mon véritable adversaire. Il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance. » Ce n’était qu’un adversaire certes véritable mais trop peu combattu au point qu’il est devenu avec Macron un ennemi du peuple-classe. Alors les gauches de 2020 ? Quelle révolution sociale et citoyenne pour mettre les banques au service de l’économie non marchande, du « développement durable » (réduction des productions matérielles nuisibles) et du peuple ?

II - Civilisation ou barbarie : Il s’agit bien de voir des processus, des dynamiques contradictoires.

Contrairement à une doxa de droite, il importe de saisir civilisation et barbarie (droitisation, ensauvagement ) comme des tendances contradictoires internes à chaque nation, agissante au sein de chaque société. Ce qui n’empêche pas de voir, par effet des comparaisons entre pays, des niveaux atteints. Mais sans oublier alors le premier principe de la « contradiction interne » à chaque formation sociale considérée. (cf article développant ce point)

Faisons le point ici :

* La thatchérisation comme destruction. La thatchérisation politique et sociale du monde – ou d’un pays comme la France – relève d’un désormais long processus de destruction sociale (plus de 35 ans) contre les classes populaires par et pour les grands possédants, pour le 1% et son bloc social. C’est une politique de classe – du clanisme – sur la durée. Une tendance lourde qui s’oppose aux conquêtes sociales instituées par un Etat social profitant au peuple-classe. S’agissant de l’Europe (Union européenne), Michel Husson a parlé de thatchérisation en juillet 2003. Mais son livre La casse de l’Etat social (2003) porte sur la France de Raffarin. Les « chantiers de démolition » y sont nombreux (3) . Ils sont à actualiser car ce processus mortifère et barbare perdure tant en France qu’ailleurs, faute d’alternative civilisationnelle.

* L’extrême droite économique comme contre-mouvement néo-libéral . Cette extrême-droite a ses idéologues, ses professeurs, ses économistes orthodoxes et ses groupes de pression (bancaire, patronal, etc) agissant derrière les acteurs politiques de tout niveau et de toute sphère : nationale ou continentale. Ce ne sont pas principalement des politiques. Parfois cependant il y a fusion : Raymond Barre, en France, fut professeur d’économie avant d’être ministre bien vu des rentiers, et ce avant l’heure du plein épanouissement de la finance et des fonds de pension. L’extrême-droite économique n’est pas nécessairement à l’extrême-droite politique de ce champ au sens ou on l’entend ordinairement. On peut défendre fortement les riches, les rentiers, la haute finance sans jamais être raciste, sexiste, nationaliste xénophobe . Il peut s’agir - comme on l’entends de nos jours - de « l’extrême-centre » qui se dit « en même temps » de gauche (donnant trois sous pour un groupe social handicapé) et de droite (de grosses facilités pour les riches).

Qui sont les différentes élites capitalistes néolibérales ? Sept catégories selon Thierry Brugvin (in Qui dirige le monde ?) forment à divers niveaux (nation, continent, monde) une gouvernance (adémocratique), fonctionnant dans l’entre-soi spontané des intérêts de classe partagés notamment entre secteur économique privé et secteur politique dirigeant. Cette gouvernance ploutocratique est chargée du maintien et développement du pouvoir d’en-haut, des puissants.

III - Retour à Lagarde et Maris de 1998 et La Guerre économique

Relisant le livre Ah Dieu ! Que la guerre économique est jolie, écrit par Philippe Lagarde et Bernard Maris en 1998, à la naissance d’ATTAC, j’ai eu l’idée de (re)parler d’extrême-droite économique à propos de tous les théoriciens d’une pseudo-science et des journalistes économiques libéraux, qui sous couvert de science économique défendent l’hyper-libéralisme, le pouvoir de la finance, des fonds de pension, des riches du 1%... et le principe de ruissellement. Selon Bernard Maris, le principe de ruissellement par charité, (en anglais trickle-down effect), constitue le grand principe de la bourgeoisie et de l’économie prédatrice . Il se résume ainsi : « Je me sers d’abord, puis je sers les autres, la part du pauvre ». La charité à la place de l’Etat social.

Evidement la destruction de l’Etat social et de ses garanties sociales pour le peuple-classe, sous forme de sécurité sociale, de services publics à bas tarifs voir avec services gratuits en est son pendant. Il n’y a pas l’un sans l’autre. La liberté économique des uns – les gagnants – suppose l’écrasement des autres : les perdants, les faibles, les « riens ».

Entre l’idéologie, les médias à la botte des firmes transnationales, les acteurs économiques et politiques pratiquant la thatchérisation du monde, il y a des alliances pour accroitre les inégalités, pour que certains s’enrichissent le 1% de chaque pays surtout, et que d’autres s’appauvrissent au sein du peuple-classe.

Les premiers montent en pouvoirs et puissances, les seconds tombent dans le chômage, la précarité, la survie que d’aucuns vont nommer « de confort » ! La guerre économique, on sait qui l’a gagné. Le 1% de chaque pays ! Ceux et celles qui l’on perdu sont dans le peuple-classe, surtout au sein des classes sociales modestes !

IV - Le protectionnisme ne signifie pas fin du capitalisme destructeur et austéritaire pour chaque peuple-classe.

La « mondialisation heureuse » a longtemps été la fable économique du néolibéralisme pour les riches et les classes populaires les plus aisées. De nos jours avec Trump et le Brexit il y a une autre chanson, plus protectionniste mais tout aussi capitaliste, une chanson qui caresse mieux le poil des classes populaires abusées par le recours à la nation comme notion-écran, comme si cette communauté nationale pouvait s’apparenter un tant soit peu à la communauté familiale vue un univers plus sympathique . Hélas, ce capitalisme de repli est toujours hiérarchisé et porteur d’inégalités profondes.

Il me semble, dit Christophe Bouillaud (sur Atlantico en nov 2016), que cela signe surtout la fin du néolibéralisme qui cherche la légitimité populaire uniquement sous ses propres couleurs au profit d’un néolibéralisme qui s’articule avec le nationalisme, la défense des valeurs traditionnelles, l’autoritarisme et la xénophobie. Le politiste écossais Mark Blyth propose d’appeler cela l’ère du « néo-nationalisme ». Aussi bien Donald Trump et les républicains étasuniens que Theresa May et les conservateurs britanniques n’ont pas arrêté du jour au lendemain d’être des chauds partisans du capitalisme et des libertés économiques, et ils n’ont pas perdu en conséquence le soutien majoritaire des plus riches de leurs concitoyens, comme le montrent bien les sondages sortie des urnes aux Etats-Unis, mais ils affichent comme leur produit d’appel sur le marché politique l’intérêt national et la défense des classes populaires et moyennes contre les effets délétères pour ces dernières de la mondialisation. A dire vrai, ce mélange de libéralisme économique et de nationalisme se trouvait déjà dans le « thatchérisme » et le « reaganisme ».

V - Un bloc social des gagnants et des forts

Pour mener sa guerre économique, le 1% ne peut maintenir son pouvoir de classe dominante contre le peuple-classe sans vouloir former un bloc social élitaire élargi soutenant les riches, la haute finance et la thatchérisation du monde.

Un bloc social de type néolibéral -au plan formel plus que réel - semble pouvoir être dessiné à partir de la division par secteurs entre « combattants de première ligne » et tous les « faibles » (terme défini très largement) en zone arrière. Evidemment il n’y a pas que deux secteurs bien délimités dans la société, d’ou la difficulté à constituer un bloc dominant autour des puissants.

Certains secteurs de la société agissent pour limiter ou empêcher la casse sociale et individuelle occasionnée par d’autres secteurs plus offensifs et agressifs dans divers domaines dont celui économico-politique contemporain, domaine marqué depuis la thatchérisation du monde par la financiarisation , la marchandisation et l’appropriation privée des activités avec toutes ses conséquences .

Contre un néolibéralisme des forts, les secteurs de solidarité avec les plus faibles ne cessent d’agir sans réussir à changer la donne. Il y a la défense des faibles au plan psychique (cf UNAFAM) ou au plan physique qui se heurte à la solidarité des puissants de ce pays, que l’on va appeler corporatisme d’en-haut, du 1% . Les puissants de ce monde, notamment dans le secteur de la finance, se défendent entre eux et maintiennent et même renforcent les inégalités sociales qui deviennent très importantes.

Le néolibéralisme, du fait de son spencerisme dominant, est une idéologie politique qui pense la société à partir de l’homme adulte valide et performant (modèle sportif). Les autres, les perdants, n’ont pas d’autre alternative que de devenir forts et gagnants à leur tour en écrasant le voisin. C’est que le néolibéralisme propose, comme Spencer, une lutte pour la vie ou la compétition est partout et produit des perdants qui n’ont pas à revendiquer mais juste à se battre individuellement pour regagner des places. Point de solidarité dans cette idéologie, si ce n’est celle corporatiste ou classiste des gagnants, du 1%.

Le néolibéralisme favorise le pouvoir méritocratique et ploutocratique des élites financières qui s’enrichissent contre le renforcement du pouvoir (empowerment) des faibles en tout genre.

Le néolibéralisme est foncièrement inégalitaire et non inclusif donc dans l’incapacité de penser l’organisation sociale à partir du point de vue des faibles de toute sorte, des personnes handicapées ou affaiblies tant au plan physique qu’ au plan psychique, des personnes affaiblies par l’âge que ce soit le jeune âge (immaturité stigmatisée) ou l’âge tardif (on perd en santé et en rentabilité dès 60 ans – on coute cher à la société dès 75 ans) ou de la situation sociale atypique (mères célibataires, personnes discriminées)

- Perspectives : nos tâches. Il va s’agir de penser un nouveau socialisme démocratico-participatif, reposant la question de la propriété, inscrit dans un nouveau paradigme écologique, avec chaque peuple-classe comme acteur et notamment acteur contre chaque 1% refusant de rendre ses pouvoirs. Penser les transitions est aussi nécessaire.

Christian DELARUE Altermondialiste

1) Avec François Mitterrand en 1982, une loi instaure la retraite à 60 ans. Ce mouvement progressiste était bien antérieur et touchait à sa fin : le taux de remplacement fut porté à 50% et il y eu universalisation des retraites complémentaires, d’abord réservées aux cadres. En 1987 commence un long contre-mouvement réactionnaire, de destruction des garanties sociales pour les classes sociales modestes et intermédiaires.

2) Les Etats-Unis deviennent une « ploutocratie », estime un ex-président de la Fed - Capital.fr https://www.capital.fr/lifestyle/le...

3) Introduction de Michel Husson à propos de son livre sur la casse de l’Etat social. "Une « réforme » peut en cacher une autre. Après les retraites, la décentralisation et le régime des intermittents, le gouvernement Raffarin est bien décidé à s’attaquer à la santé et l’assurance-maladie, ainsi qu’à l’ouverture du capital d’EDF et GDF, prélude à leur privatisation. Michel Husson montre que cette succession de « réformes » s’inscrit dans un plan global de démontage de l’État-providence, en phase directe avec la « refondation sociale » du Medef. Même si « la pente est raide », l’objectif visé du gouvernement Raffarin est ambitieux : c’est la « casse » de l’État social, autrement dit la liquidation programmée des droits sociaux et des dispositifs de protection conquis par les salariés dans la seconde moitié du XXe siècle. Michel Husson analyse ensuite comment ce projet de démolition ne concerne pas que la France, et s’inscrit dans un cadre plus large, où la Commission européenne joue un rôle central de coordination et d’harmonisation."


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