La retraite, patrimoine de celles qui n’en ont pas

mercredi 12 février 2020.
 

Face au divorce, hommes et femmes ne sont pas égaux. La réforme des retraites va aggraver une situation déjà précaire. Les sociologues Céline Bessière et Sibylle Gollac analysent ce phénomène.

Dans un dossier consulté au début des années 2010, parmi des dizaines de milliers d’autres entassés dans les archives d’un tribunal de grande instance de la région parisienne, on découvre l’histoire d’un couple qui divorce après trente-neuf ans de mariage. En début de soixantaine, les conjoint∙es viennent de prendre leur retraite. L’époux, un ancien cadre du secteur aéronautique, touche une pension de 4300 euros par mois. Il a refait sa vie avec une collègue, cadre également, avec qui il mène une vie confortable dans la maison de cette dernière. L’épouse, qui était secrétaire bilingue, a eu une carrière hachée, marquée par des cessations d’activité après la naissance de ses deux enfants, des emplois à temps partiel et des périodes de chômage. Elle touche une pension de retraite dix fois moins élevée : 396 euros par mois. Elle vit toujours au domicile conjugal, un pavillon qui est la propriété du couple. Le divorce traîne en longueur, depuis plus de dix ans.

Ce n’est pas la prise en charge des enfants qui pose problème : ils sont majeurs et autonomes. C’est la survie matérielle de l’épouse qui est en jeu : tant que le couple n’est pas divorcé, son mari rembourse le crédit de la maison et lui verse une pension de 1400 euros par mois au titre du devoir de secours. Après le divorce, la disparité de niveau de vie entre les époux sera telle qu’elle suppose une compensation financière : c’est ce qu’on appelle une prestation compensatoire. La juge aux affaires familiales ordonne donc, à ce titre, le versement d’un capital de 100.000 euros. Cela correspond à un montant de 400 euros par mois pendant une vingtaine d’années. En l’ajoutant à sa pension de retraite, cette femme atteindrait ainsi tout juste le seuil de pauvreté jusqu’à l’âge de 80 ans, quand son mari percevra jusqu’à sa mort, une retraite équivalente à deux fois le salaire médian.

Pourtant, cette femme n’est pas la plus mal lotie. Certes, on peut imaginer la colère que lui a inspiré la lecture du dossier de l’avocat de son mari qui comporte plusieurs insinuations sur son « oisiveté » et son « choix personnel » de travailler à temps partiel. Mais grâce à son mariage sous le régime légal de la communauté de biens réduites aux acquêts, la moitié du patrimoine du couple, composé de leur résidence principale et d’un terrain pour une valeur totale de 400.000 euros, devrait lui revenir. Cela lui permettra sans doute soit de conserver sa maison (en se servant de la prestation compensatoire pour racheter la part de son mari), soit de se reloger à moindre frais. Remarquons aussi que son ex-époux a les moyens de lui verser une prestation compensatoire (alors que dans 4 divorces sur 5, il n’y en a pas), qui plus est d’un montant de 100.000 euros, quand le montant médian de ces prestations est de 25.000 euros. Enfin, à la mort de son ex-mari, à condition qu’elle ne se remarie pas, cette femme pourrait toucher une pension de réversion, qu’elle partagerait avec la nouvelle épouse de ce dernier, au prorata des années de mariage passées avec lui. N’empêche qu’à l’aube de sa retraite, cette femme divorcée se retrouve dans une situation matérielle fragilisée, alors qu’on peut supposer qu’elle a eu jusque-là un niveau de vie confortable.

À l’avenir, étant donné les transformations du marché du travail et de la famille, il y aura davantage de femmes retraitées vivant seules, ayant connu une ou plusieurs unions, avec des trajectoires professionnelles heurtées. Ces femmes ne seront pas les grandes gagnantes tant annoncées de la réforme des retraites.

Il n’est plus à démontrer que le système de retraite par points, par tout un ensemble de mécanismes (l’absence de garantie sur le montant des prestations, la prise en compte de l’ensemble de la carrière plutôt que les meilleures années, ou encore le recul de l’âge où la pension est versée à taux plein), va conduire à réduire drastiquement les montants des pensions de retraite, et que les femmes seront parmi les premières touchées.


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