A Hanau comme à Paris, l’extrême droite est une menace

dimanche 23 février 2020.
 

2) L’Allemagne sous le choc du terrorisme d’extrême droite (Le Monde)

Certains événements font surgir des réflexes d’unité nationale. Ce fut le cas, jeudi 20 février, en Allemagne, au lendemain des fusillades perpétrées dans deux bars à chicha de la ville de Hanau (Hesse), près de Francfort. Le temps d’une minute de silence, une vingtaine de responsables politiques du pays ont mis leurs différends entre parenthèses. Ils se sont donné la main au pied de la porte de Brandebourg, à Berlin, pour rendre hommage aux neuf morts de cet attentat.

Parmi les personnalités présentes, Paul Ziemiak et Lars Klingbeil, les secrétaires généraux de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) et du Parti social-démocrate (SPD), membres de la « grande coalition » de la chancelière Angela Merkel, mais aussi des représentants de l’opposition, comme la coprésidente des Verts, Annalena Baerbock, ou le président du Parti libéral-démocrate (FDP), Christian Lindner.

Cette unité n’était pas que de façade. Tout au long de la journée de jeudi, les représentants de ces différentes formations, ainsi que ceux du parti de gauche Die Linke, ont condamné la tuerie de la veille en des termes semblables. Reprenant à la lettre les mots du parquet fédéral, qui s’est saisi de l’enquête, tous ont dénoncé le caractère « profondément raciste » de l’attentat.

Un qualificatif utilisé également par Mme Merkel qui, dans une sobre intervention de trois minutes prononcée depuis la chancellerie, jeudi midi, a condamné un acte « aux motivations xénophobes », avant de déclarer : « Le racisme est un poison. La haine est un poison. Ce poison existe dans notre société et il a déjà été responsable de trop de crimes. »

1) Attentat à Hanau : l’expression d’une extrême droite allemande de plus en plus violente

La piste de l’extrême droite semble être privilégiée quelques heures après la tuerie de Hanau, en Allemagne, mercredi soir. Une nouvelle démonstration de la violence de la droite radicale allemande, malgré les tentatives du parti AfD de banaliser ses idées. Publicité

L’attaque, qui a coûté la vie à neuf personnes dans la nuit du mercredi 19 au jeudi 20 février à Hanau, dans le centre de l’Allemagne, semble avoir eu des motifs racistes. Le parquet fédéral a évoqué des indices “d’un arrière-plan d’extrême droite”.

Un attentat de plus. La double fusillade de Hanau intervient après une longue liste d’actes aux "motivations xénophobes" en Allemagne. Le 14 février, la police allemande avait aussi réussi à empêcher un groupuscule extrémiste de s’attaquer à des immigrés. Le 9 octobre 2019, le terrorisme d’extrême droite avait frappé à Halle, dans l’Est, lorsqu’un homme avait tenté d’ouvrir le feu dans une synagogue. Quelque mois plus tôt, le 2 juin, c’est un militant de la droite radicale qui a été abattu, Walter Lübcke, le préfet de Cassel.

Le déclic de 2015

Ces quatre incidents en neuf mois illustrent le climat de violence d’extrême droite qui secoue actuellement l’Allemagne. La chancelière Angela Merkel a beau tenter de s’ériger en rempart, répétant après la tuerie de Hanau, que le “racisme est un poison, la haine est un poison”, il n’en reste pas moins que le pays n’avait pas connu une telle flambée d’attentats haineux depuis la virée sanglante du groupuscule néonazi Nationalsozialistischer Untergrund (NSU, Clandestinité nationale-socialiste) au début des années 2000.

Mais le paysage de la droite radicale allemande actuel n’a plus rien à voir avec celui dont étaient issus les membres du NSU, qui ont perpétré dix meurtres à caractère raciste entre 2000 et 2007. “À l’époque, l’extrême droite était essentiellement composée de ce qu’on peut appeler la mouvance néonazie classique, qui prône la pureté de la race et poursuit l’idée de se rassembler derrière un ‘Führer’”, note Robert Lüdecke, expert de l’extrême droite à la fondation Amadeu Antonio, un centre de recherche et de prévention du racisme et de l’antisémitisme, contacté par France 24.

Après le démantèlement de cette cellule ultraviolente, l’Allemagne a connu une période de calme “essentiellement due aux efforts redoublés des autorités pour contenir l’activisme extrémiste”, estime Robert Lüdecke. Mais, pour cet expert, la police a concentré son attention sur les nostalgiques du 3e Reich, crânes rasés et bottes aux pieds, sans prendre suffisamment en compte la haine qui se répandait lentement mais sûrement dans les recoins d’Internet.

La vague d’arrivée de réfugiés en 2015 et 2016 a servi de déclic pour ces extrémistes qui sont sortis du bois numérique pour s’imposer dans le paysage médiatique. L’Allemagne a alors pris conscience de l’existence d’une nouvelle scène d’extrême droite qui apparaît, à première vue, beaucoup plus éclatée que l’ancienne. “Il y a, schématiquement, trois grands groupes : les néonazis traditionnels, avec des organisations comme le Dritte Weg, les extrémistes qui se présentent comme modernes, regroupés sous la bannière du parti l’Alternative für Deutschland (AfD) ou de la Neue Rechte, et des enragés qui se sont radicalisés sur les réseaux sociaux ou sur des forums regroupant des extrémistes de tous les pays”, résume Robert Lüdecke.

Une extrême droite pas si éclatée

L’AfD a beaucoup œuvré pour donner l’impression qu’il n’y avait pas de passerelle entre ces trois univers, s’insérant dans le jeu démocratique traditionnel et bannissant les termes trop connotés. Mais pour Robert Lüdecke, il ne faut pas être dupe. Par exemple, cette nouvelle droite a “remplacé la référence à la race par celle à la culture, mais c’est la même filiation idéologique”, souligne-t-il. Au lieu d’exclure au nom de la primauté de la race aryenne, cette extrême droite “moderne” rejette l’étranger pour préserver la culture occidentale.

Les manifestations d’extrême droite à Chemnitz fin août 2018 ont aussi démontré que toutes les composantes de cet univers communiquent entre elles. “En 24 heures, des néonazis se sont retrouvés à manifester aux côtés de sympathisants de l’AfD et d’extrémistes ne se revendiquant d’aucun mouvement établi. Cette capacité à organiser aussi rapidement un rassemblement n’a pu être possible que si tout ce petit monde fréquente les mêmes sites ou forums”, assure Robert Lüdecke.

Des terroristes qui “ne se sentent plus seuls”

Une spécificité de la scène extrémiste allemande par rapport au reste de l’Europe est la propension à la violence et au passage à l’acte terroriste. En 2018, l’Office fédéral de la protection de la Constitution estimait que la moitié des personnes qui peuvent être classées comme extrémistes de droite en Allemagne présentent des tendances à la violence, souligne la chercheuse de l’Institut français des relations internationales Nele Katharina Wissman, dans une note sur le terrorisme d’extrême droite en Allemagne paru en décembre 2019.

Pour Robert Lüdecke, ce constat s’explique en partie par l’Histoire. “Il y a un héritage de l’idéologie nazie qui reconnaît la légitimité du recours à la violence pour défendre la pureté de la race”, rappelle-t-il. Dans les écrits de l’auteur de la tuerie de Hanau, retrouvés par la police, il est d’ailleurs fait référence à plusieurs reprises à l’obligation de défendre “la race” par la force.

Le tueur de Hanau, tout comme celui de Halle ou l’assassin du préfet de Cassel, sont aussi passés à l’acte “parce qu’ils ne sentent plus seuls”, note Robert Lüdecke, qui blâme la banalisation des discours de haine par l’AfD pour cette évolution. Ce parti “a joué un rôle central en faisant monter la sauce contre ‘les élites’, les étrangers, les journalistes et en adoptant une stratégie de désinformation, assurant que les médias traditionnels n’étaient pas crédibles”, énumère l’expert allemand.

Les personnes qui se sont radicalisées en ligne retrouvent ainsi les idées développées sur d’obscurs forums dans les discours d’un parti qui a le vent électoral en poupe. “Cela leur donne l’impression d’être en phase avec ce qu’ils pensent être une majorité d’Allemands”, explique Robert Lüdecke.


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