Ségolène Royal en meeting à Rodez : affluence, prestance et divergences

mercredi 24 mai 2023.
 

Plan :

1) Affluence et prestance

2) Ségolène Royal, le rôle de l’Etat et sa candidature personnelle

3) Quelle est l’attente politique des Français ?

4) Ordre juste et juste autorité

5) Principe et réalité

6) Les 35 heures en établissement pour tous les enseignants

7) Ségolène Royal et l’avenir de la gauche

Présidentielles 2007 Un duel Ségo Sarko comme deux marques de lessive (par Guy Schutz, bureau PRS 12, mai 2006)

Vendredi 12 mai au soir, Ségolène Royal a attiré 650 convives pour le banquet républicain et environ 1000 auditeurs en meeting. Pour l’Aveyron, c’est un succès.

Le programme de cette Fête de la Rose avait été peaufiné par la fédération socialiste : interventions d’élus puis de l’invitée, réponse aux questions écrites. De tout cela, il n’est resté que la tournée des tables par "Ségolène", main après main, accompagnée par Patrick Menucci et Delphine Batho, puis son discours. La presse locale écrit, à juste titre, qu’elle a réussi ce bain de foule séducteur.

J’étais présent et sors de cette soirée profondément dubitatif. A l’heure où mettre en pratique un programme de gauche implique inévitablement un affrontement avec le capitalisme financier international, avec l’Union européenne de Barroso, avec la droite sarkozyenne, Ségolène Royal nous offre le conte merveilleux d’un ordre juste ne comprenant que des gagnants. Il est vrai qu’elle ne manque pas d’atouts pour jouer la bonne fée, morale, émotive, féminine, maman de tous les Français. Voilà un mode de communication effectivement nouveau dans le champ politique français. Il n’est pas moins valable que la langue de bois, le mensonge ou l’évitement des problèmes style énarque astucieux. Est-il plus plus efficace ? A moyen terme, j’en doute fort car d’une part cette communication risque d’apparaître superficielle, d’autre part elle est étrangère au socialisme historique soucieux de précision théorique et programmatique.

1) Affluence et prestance

" La silhouette de Ségolène Royal, ravissante dans son élégant tailleur crème, se profile au loin... Méthodiquement, Ségolène Royal a fait le tour des tables dressées à l’occasion de la Fête de la Rose. Elle n’en oubliera pas une. Bises, accolades, signes de la main et cet éternel sourire qu’elle offre généreusement aux photographes de presse, aux appareils jetables achetés pour la circonstance, aux petits objectifs des téléphones mobiles tendus frénétiquement par les jeunes du MJS. Quelques autographes plus tard, déposés sur un bout de papier ou sur l’étiquette des bouteilles de vin et Ségolène est enfin à portée de compliment. "Bonjour, Madame la Présidente". C’est fait. Trois bises récompensent l’audacieux militant... L’invitée du peuple socialiste aveyronnais, elle, est déjà dans d’autres bras, sous d’autres flashes, à l’écoute d’autres sympathisants..." (La Dépêche sous le titre "Ségolène Royal : l’atout séduction" "Ségolène Royal charme les socialistes aveyronnais")

" Maîtresse de ses gestes et de ses mots jusqu’au bout des ongles, tirée à quatre épingles dans son tailleur beige, sans un cheveu qui dépasse, Ségolène Royal a remporté le pari de serrer la main à tous ceux qui avaient réservé leur place à table, soit près de 650 personnes. Méthodiquement ou presque, rangée après rangée et sans jamais se départir de son sourire, elle a trouvé le moyen d’avoir une attention pour chacun. En signant un autographe pour une petite fille, sur des bouteilles de vin, en posant pour les caméras, les appareils photo, les téléphones portables, avec des jeunes, des moins jeunes, des personnes handicapées, en acceptant un bouquet de fleurs sauvages. Acclamée par les bravos, elle garde son professionnalisme à l’éclat de rire facile et pose sa main sur les épaules ou sur les bras..." (Centre Presse sous le titre "Dans la peau d’une candidate Son premier atout indéniable : la séduction")

Vient enfin l’heure du meeting politique. Le discours de Ségolène Royal ne se déploie pas du tout sur un mode de relation émotive avec la salle ; il est au contraire professoral et assez austère, bien plus que celui de Lionel Jospin par exemple. Elle ne s’écarte pas d’une lecture de ses notes, établissant ainsi un rapport doctoral d’élite à public. Pourtant, elle capte l’attention de la salle par son langage très simple, par ses exemples choisis dans la vie quotidienne.

2) Ségolène Royal, le rôle de l’Etat et sa candidature personnelle

Ségolène Royal annonce en introduction que son discours va porter sur un seul sujet : le rôle de l’Etat. Cette question m’intéresse ; je tends l’oreille, sors deux feuilles pour prendre des notes. Surprise ! Oh, surprise !

- Pas un mot sur la 5ème république et la nécessaire rénovation démocratique des institutions.

- Pas un mot sur les services publics.

- Pas un mot sur les nouvelles contraintes de l’Etat dans le contexte d’une part du capitalisme financier transnational, d’autre part de l’Union européenne.

- Pas un mot sur le rapport entre l’Etat et les collectivités territoriales.

Jetant un coup d’oeil régulièrement sur le site Désirs d’avenir, je connais la raison de ces manques. Ségolène Royal mène une pré-campagne centrée sur la valorisation de sa candidature. Selon les discours, elle décline tel ou tel sujet, coupé de celui traité la veille. Ce rapport aux citoyens me surprend.

Je suis persuadé que dans chaque ville, une majorité de la salle attend d’abord les grands axes d’un projet, d’une stratégie pour sortir la France et une majorité de Français de la crise actuelle, d’un programme comprenant au moins des réponses sur quelques points essentiels. Ségolène se situe ailleurs, sur un profil médiatique très personnalisé.

Il est vrai aussi que l’électorat de gauche attend le ou la candidate apte à effacer le souvenir extrêmement douloureux du 21 avril 2002. Avec ce type de discours professoral gentillet, Ségolène Royal rassure ces inquiets et ratisse large. Même un électeur non sectaire de droite peut s’y reconnaître. C’est bon pour le type de sondage actuel, mais je doute que cela puisse créer une dynamique populaire d’adhésion et de militantisme. Je crains surtout que cela n’augure une campagne au discours essentiellement tactique, en fonction de l’évolution de la campagne, des autres candidats, des sondages...

En Aveyron, de nombreux soutiens actuels de Ségolène Royal sont des militants récents. Si certains lisent ce texte, ils vont se demander pourquoi je fais ces critiques alors qu’ils souhaiteraient un grand vent d’unanimisme.

Pour la campagne de 2002 comme pour celle-ci, j’ai lu assez souvent des références à la campagne tranquille et tactique de François Mitterrand en 1988. Cette comparaison ne présente aucun intérêt ; François Mitterrand bénéficiait d’une reconnaissance comme candidat d’union de la gauche depuis les présidentielles de 1965, 1974, 1981.

Après le 21 avril 2002, j’ai entendu des dirigeants du parti dire qu’ils auraient dû signaler assez tôt l’erreur de la campagne de Lionel Jospin qui avait trop recherché dans les premiers temps une valorisation de sa candidature personnelle au détriment d’un projet politique. Je suis d’autant plus d’accord avec cette critique que Lionel Jospin était en 2002 le meilleur candidat du parti socialiste pour porter une campagne de fond.

Je crains que Ségolène Royal ne reproduise aujourd’hui la même erreur. Dans l’état d’urgence sociale et politique de notre pays, seule une stratégie du Parti socialiste fondée sur l’union de la gauche autour de propositions sociales fortes peut créer une dynamique emportant les relais médiatiques de la droite et les doutes de l’électorat populaire. Pour le moment, d’une part Ségolène Royal ne bénéficie pas du même statut que François Mitterrand, d’autre part elle ne me paraît pas souhaiter la construction d’une nouvelle unité de la gauche. Elle et ses proches croient en la possibilité qu’elle gagne seule sur sa personnalité, sur le rejet de Sarkozy et sur le vote utile pour ne pas recommencer le 21 avril. Cela me paraît une erreur d’aiguillage mais je préfèrerais me tromper car une nouvelle défaite en 2007 serait grave.

La logique personnelle des discours de Ségolène Royal l’amène à créer une sorte de nouvelle théorie politique, la sienne, parfois surprenante pour un militant formé aux vieilles écoles socialistes.

3) Quelle est l’attente politique des Français ?

Dans son introduction, la candidate à l’investiture socialiste prétend que les Français n’attendent pas un programme de mesures concrètes mais, d’une part une démocratie participative, d’autre part de grands principes. Mon cerveau n’en croyait pas mes oreilles.

"Je crois que les Français n’attendent pas seulement des hommes et des femmes politiques qu’ils détaillent par le menu les mesures qu’ils comptent prendre mais d’abord deux choses :

- la première c’est qu’ils les associent plus directement à l’élaboration et à la mise en œuvre des décisions qui les concernent ; qu’ils fassent le pari de l’intelligence collective plutôt que de s’en tenir aux cercles étroits d’une expertise dont les citoyens sont exclus ;

- la 2è chose que les Français veulent savoir, c’est au nom de quelle vision du pays et de son devenir, au nom de quels principes ayant force d’engagements, ceux et celles qui briguent leurs suffrages orienteront, avec eux, l’action et les politiques publiques".

Pour Ségolène Royal, les Français attendent "d’abord" la démocratie participative et de bons "principes ayant force d’engagements", ensuite seulement des mesures concrètes. Je ne peux être d’accord avec cela : les principes doivent aller de pair avec les mesures concrètes qui, seules, peuvent leur donner force d’engagement. C’est d’autant plus nécessaire dans un contexte de doute massif sur la sincérité et la capacité des politiques et de la politique à influer sur le réel.

Ségolène Royal bénéficie d’une écoute populaire favorable sur son objectif de démocratie participative parce que la démocratie représentative a fait preuve de ses limites . Le problème c’est que l’existence d’une couche sociale spécifique de "politiques" correspond à l’intérêt du capitalisme et aux objectifs du libéralisme. C’est aussi que la 5ème république a été construite pour que les profiteurs du système capitaliste prennent le moins de risques possibles et confisquent ainsi la "souveraineté populaire" (présidentialisation, bipartisme...). Quand Ségolène Royal prend l’exemple d’une commission du Conseil régional de Poitou Charente, elle ne répond pas au problème central d’une autre république à fonder pour promouvoir une réelle démocratie participative, c’est à dire une réelle souveraineté populaire.

Construire une démocratie participative représente donc un objectif juste et ambitieux à mon avis, à condition d’en préciser les modalités et l’articulation précise à une démocratie représentative améliorée dans la perspective d’une 6ème république et du socialisme.

Enfin, "le" bon principe peut donner une cohérence à des propos de meetings ou dans les médias. Il peut même attirer à Ségolène Royal des sympathies, mais à quoi sert-il pour définir une politique sur l’Europe, face aux licenciements, en matière de démocratie sociale ou de fiscalité ? Pendant la campagne comme après, je vois mal un candidat de gauche ne pas s’exprimer par exemple sur la question des retraites : abrogation ou pas des lois Balladur et Fillon ?

4) Ordre juste et juste autorité

A Rodez, Ségolène Royal a insisté sur le premier de ses grands principes ayant force d’engagement : "l’ordre juste" ou "juste autorité".

Elle est revenue sans cesse sur une définition abstraite de bons rapports hiérarchiques. "L’autorité de l’Etat doit être juste comme celle des parents dans la famille, comme celle des enseignants dans leur classe, sans confusion des rôles, sans démission car on ne divorce pas de ses enfants".

Il faut reconnaître que cette omniprésence des références à la vie quotidienne accroche une bonne partie des auditeurs. Cependant, comparer le rôle d’autorité de l’Etat avec celui des parents dans la famille et de l’enseignant dans la classe est une nouveauté dans l’histoire du mouvement socialiste.

A écouter Ségolène Royal, on a l’impression qu’elle croit elle-même pouvoir exercer la fonction de présidente de la République comme une mère de famille éduquant ses enfants, à la fois juste et soucieuse de leur éducation.

Pour elle, une bonne morale prime sur le réel et peut le pétrir à sa guise. Il suffit de dégager le bon principe.

Ce principe c’est un "ORDRE JUSTE", écoutant les citoyens, imposant une "JUSTE AUTORITE".

"Au nom de quelle vision du pays et de son devenir, au nom de quels principes ayant force d’engagements, orienter l’action et les politiques publiques ?

" Y a-t-il aujourd’hui un dénominateur commun à tous ces désordres vécus dans la vie économique, sociale, familiale, scolaire et publique ? Y a-t-il... une idée force qui fasse le lien, qui redonne de la cohérence et du sens ? Dans un monde qui ... semble tout déstabiliser, tout précariser, quels nouveaux repères et quels nouveaux points d’appui partager ?

" Est-ce à l’économie de dicter partout sa loi ? Comment élever et éduquer des enfants...? Quelles sécurités légitimes inventer... ? Où faut-il serrer la vis et où faut-il lâcher la bride ? Sommes-nous condamnés à subir, dans tous les domaines de la vie privée et collective, des évolutions qui s’imposent à nous ?

" Toutes ces questions et bien d’autres me renvoient à la même conviction : contre le désordre des choses et le dérèglement des conduites, il est possible de rétablir un ORDRE JUSTE...

" A condition que nous ayons, à gauche, le bon fil à plomb et que nous tenions ferme sur le principe fondateur d’un ordre solidaire.

" Ce principe, je l’appelle : la JUSTE AUTORITE".

Cette méthode de raisonnement me rappelle certains rocardiens des années 1975-1991.

Fonder le combat de gauche sur un nouveau principe mérite au moins que l’on y réfléchisse. Celui de "juste autorité dans un ordre juste" me pose au moins trois questions :

- le socialisme est né d’une rupture avec le républicanisme grandiloquent, creux et trompeur sur la réponse concrète à apporter aux intérêts des travailleurs et des milieux populaires. Le socialisme est né d’un lien privilégié au camp social ouvrier et populaire. Supprimer ce lien au profit d’une "juste autorité" placée au dessus de tous les petits enfants citoyens ne correspond pas à la réalité et apparaît, posé ainsi, plus comme un retour au radicalisme qu’un approfondissement du socialisme. Le rapport de l’Etat aux PDG de multinationales ne peut être de même nature que celui de la mère à son enfant ou de l’institutrice à son élève.

- souvent des syndicalistes tirent le bilan des années 1981-1993 en disant qu’ils ont trop fait confiance au pouvoir et ne se sont pas suffisamment appuyés sur le mouvement social. Cette réflexion était partagée par tous les orateurs lors des Etats Généraux de Lyon en 1993. Le discours de Ségolène Royal sur la juste autorité paraît bien abstrait en ne pointant pas le rôle du mouvement social.

- le socialisme ne peut abandonner son combat historiquement centré sur l’émancipation humaine. Cet objectif est beaucoup plus riche et plus éducatif que celui de juste autorité. Par ces différents aspects (émancipation sociale, émancipation féminine, émancipation sexuelle...) l’objectif d’émancipation parle de lui-même, pas celui de juste autorité, ou alors il faut préciser son contenu. Voyons comment le fait Ségolène Royal.

5) Principe et réalité

Une fois le bon principe arrêté de "juste autorité", Ségolène Royal le décline de différentes façons. Elle insiste sur "l’ordre qui suppose la justice et l’exemple" ; "l’autorité vraie suppose un pouvoir légitime et reconnu comme tel... Je ne crains pas d’en faire le fondement solide d’une politique de gauche..." Elle met en avant l’Europe du Nord et en particulier le Danemark, modèle social fondé à la fois sur "la flexibilité de l’emploi nécessaire aux entreprises et la sécurité des salariés". Sur ce sujet, est-elle mal informée, trompe-t-elle son auditoire ? ...

La constitution de la 5ème république répond au problème majeur de la droite : vu l’impossibilité (depuis la Révolution française) de stabiliser un grand parti conservateur, donner à un bonaparte jouant de son rapport direct à l’électorat, les moyens institutionnels de reconstruire autour de lui une "majorité" à chaque élection présidentielle. Ce mode institutionnel favorise la droite, par exemple grâce aux médias plus attachés aux joutes personnelles qu’aux programmes. Mitterrand avait contourné cette difficulté avec l’Union de la gauche et le programme commun.

Aujourd’hui, Ségolène Royal critique à juste titre la démocratie confisquée. Ses partisans font valoir sa démarche différente de démocratie participative. Cette démarche est-elle contradictoire à celle de la 5ème république ? Je n’en suis pas sûr à l’étape actuelle de sa campagne. Elle joue à fond la carte du rapport direct d’un(e) candidat(e) providentiel(le) à l’électorat. En proposant d’une part un programme d’union populaire appuyé sur des comités républicains locaux, elle contourne les partis politiques. La résolution votée fin 2005 par le Conseil national de PRS faisait, à mon avis, un meilleur choix.

Non seulement je doute fort de la possibilité de gagner ainsi des présidentielles mais c’est méséducatif. L’objectif du socialisme correspond à une volonté de maîtrise collective de l’avenir. Cela demande une précision d’analyse, de projets, de relations unitaires, de bilans qui n’ont rien à voir avec le marketing, même si je ne sousestime pas l’importance d’une communication de qualité.

L’entourage de Ségolène Royal comprend des cadres politiques expérimentés comme Patrick Menucci. Mais pèsent-ils vraiment sur le type de campagne menée ? J’ai plutôt l’impression aujourd’hui d’une communication à l’américaine valorisant le ou la candidate, avec quatre à cinq grands axes (ou "valeurs") vagues autour desquels s’articulent les discours et une tactique pour dominer la scène médiatique.

Nous verrons quelle sera la concrétisation de tous ces bons principes moraux :

- pour empêcher tout trucage lors du vote interne d’investiture

- dans la pratique de gouvernement si elle est élue ( de toute façon, je ferai mon possible pour une victoire de la gauche en 2007).

6) Les 35 heures en établissement pour tous les enseignants

L’écart entre théorie et pratique chez Ségolène Royal peut également se constater sur cette question. Elle parle de fonder sa politique sur l’écoute des citoyens, plus experts que les experts. Dans ces conditions, comment se fait-il qu’elle fasse une telle proposition hors de tout projet global, sans concertation avec les personnels ou leurs syndicats, au moment où le ministre de droite en parle de plus en plus ?

Son argumentation repose malheureusement sur un mépris des professeurs de l’enseignement public travaillant tellement peu qu’ils auraient le temps de donner des cours privés de soutien. Application du principe d’ordre juste : puisque les enseignants ont du temps libre, que les élèves ont besoin de soutien, que la vie scolaire nécessite une présence adulte plus importante, imposons 35 heures sur place aux enseignants.

C’est là sous-estimer le temps de travail réel et l’énergie demandée par le travail enseignant.

C’est là surtout utiliser une fibre populiste contre les enseignants comme le fait la droite contre les cheminots ou les agents EDF. On comprend ainsi la question de Ségolène Royal sur les secteurs de la société où il faut serrer la vis ; ce n’est pas vis à vis de la grande bourgeoisie profiteuse mais encore une fois chez les fonctionnaires. C’est très désagréable à entendre lors d’une fête de la rose.

7) Ségolène Royal et l’avenir de la gauche

Le 21 avril 2002 représente une date décisive dans la fin du cycle historique ouvert pour la gauche française par la signature du programme commun en 1973 avec quatre grandes phases : 1973-1981, 1981-1988, 1988-1995, 1995-2002. La pratique politique de ce cycle historique oscillait entre un programme maximum de type jaurèsien lors des élections et un pragmatisme de plus en plus grand (fonction du rapport de forces...) hors des élections.

Depuis 2002, François Hollande a réussi à conserver une position centrale au sein du parti socialiste par d’habiles compromis électoraux et idéologiques avec une phrase pour la tradition jaurèsienne, une seconde pour la tradition social-démocrate type Schroeder, Rocard, DSK, une troisième pour les réseaux blairistes type Valls qui progressaient en tous sens, attendant l’occasion d’apparaître au grand jour sans se minoriser.

Si Ségolène Royal était investie comme candidate socialiste pour les présidentielles, nous entrerions probablement dans un nouveau cycle. D’une écoute attentive de Ségolène Royal, je déduis qu’elle se situe sur une longueur d’onde social-libérale de type blairiste, même "démocrate à l’américaine" dans ses références, dans ses propositions, dans son rapport aux militants et aux médias. Il ne faut pas sous-estimer la possibilité qu’au travers de la préparation des élections présidentielles, sa candidature ne crée un appel d’air pour de nombreux cadres et élus locaux, dont les références et la pratique s’apparente plus, depuis plusieurs années plus au blairisme qu’à la tradition jaurèsienne et au programme commun de la gauche. Si Ségolène Royal gagne, ils vont faire fructifier "leur victoire" aux dépens du parti socialiste ; si Ségolène Royal perd, ils vont dénoncer le parti et ses éléphants. Quel que soit le résultat, on peut donc s’attendre à une situation très délicate pour le parti socialiste au lendemain du 2ème tour ( surtout en cas de défaite, évidemment).

Pour être franc, je ne sousestime pas non plus la possibilité qu’une fois élue, elle soit plus sensible au mouvement social que certains de ses prédécesseurs parmi les dirigeants socialistes. Mais dans l’immédiat, sa campagne me rappelle beaucoup celle de Servan-Schreiber pour les législatives de 73, irrésistible le printemps et l’automne précédant l’élection, puis de moins en moins en prise avec la réalité sociale. Seul le souvenir du 21 avril 2002 et par conséquent le "vote utile" pourraient sauver une campagne Ségolène Royal d’une telle évolution.

Encore une fois, je m’imagine la réaction de ségolénistes à la lecture de tels propos. Avant de me jeter la pierre, qu’ils réfléchissent bien au fait que la SFIO s’était auto-détruite dans une posture de 3ème force atlantiste, que le parti socialiste s’est reconstruit par l’alliance avec le PC sur la base du programme commun. Le parti socialiste a retrouvé un électorat ouvrier et populaire dans les années 70 sur une stratégie caractérisée de "front de classe". La campagne de Ségolène Royal, venant après d’autres évolutions rappelant le positionnement de la SFIO, peut laisser place à une nouvelle troisième force centre gauche. Même d’un point de vue politicien, il n’est pas certain du tout que le PS en tire les marrons du feu. A terme un Tapie ou autre communicant "centriste" peut profiter du nid ainsi construit.

L’enjeu n’est évidemment pas mince. La grande majorité des radicaux, la majorité des Verts, une partie des chevènementistes peuvent fort bien s’accomoder d’une évolution blairiste qui privilégie de prétendues propositions sociétales et citoyennes sur la transformation socio-économique. Par contre, le parti communiste peut s’attendre à des jours très difficiles, coincé entre cette gauche social-libérale et l’extrême-gauche.

Une telle évolution de la gauche peut-elle se concrétiser en France sans réaction majeure des syndicats ? je crois que oui. Peut-elle se concrétiser au pouvoir sans réaction majeure du mouvement social ? Non, surtout après les expériences collectives de 1995, 2003, 2004, 2005 ; mais le mouvement social n’aurait pas gagné d’avance. Peut-elle devenir majoritaire au parti socialiste ? Sur le coup de la surprise et de pusillanimités diverses, pour ces présidentielles, peut-être ; en tout cas, ayons conscience de l’enjeu.

Le congrès socialiste suivant risque fort d’être aussi important que ceux de Tours ou d’Epinay. Et là, poussons à un débat clair ; dans la situation d’urgence sociale et politique de la France, devant la nécessité d’un positionnement clair sur les questions européennes, un blairisme à la Ségolène Royal ne peut survivre que des sympathies médiatiques et d’intérêts électoralistes en l’absence de mouvement social et de conscientisation citoyenne.

Il reste une éventualité d’ici les présidentielles : que Ségolène Royal prenne conscience des carences de son positionnement, gauchisse sa campagne et ses propositions. Si tel devait être le cas, le plus tôt serait le mieux.

Jacques Serieys

Le véritable apport de Mme Royal, par Zaki Laïdi :

http://www.laidi.com/comment/050706.pdf


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