État d’urgence sanitaire : l’autoritarisme comme remède à la destruction de l’État

mercredi 1er avril 2020.
 

On ne joue pas avec les règles constitutionnelles et les principes fondant notre régime politique. Pourtant, c’est ce qu’a fait le gouvernement d’Édouard Philippe en adaptant le droit aux conséquences de politiques libérales. La création du régime d’état d’urgence sanitaire n’a eu pour seul objet que de légaliser des mesures restrictives des libertés individuelles d’une ampleur exceptionnelle. Pour la première fois dans l’histoire de notre pays, nous sommes confinés chez nous. Nos libertés de réunion, de circulation, d’entreprendre ont été abolies pour une période dont nous ne connaissons même pas la durée.

Mais une telle atteinte massive aux droits humains est-elle légitime  ?

Oui, si les circonstances l’exigent, mais cela reste à démontrer. Mais si les circonstances qui conduisent à la prise de mesures aussi liberticides sont dues aux conséquences des politiques menées par ce gouvernement, lui n’est plus légitime. Et les errements de ce gouvernement ne peuvent conduire à l’introduction dans notre arsenal législatif d’un dispositif d’exception qui vire à l’autoritarisme.

Quelle anticipation du gouvernement ?

Nous pouvons nous interroger sur l’anticipation du gouvernement face à cette crise. Il semble adapter son dispositif normatif au jour le jour sans cohérence d’ensemble. Jeudi 12 mars, fermeture des établissements scolaires, mais pas des lieux recevant du public à but lucratif. Samedi 14, fermeture des lieux recevant du public, mais possibilité de se réunir dans les bureaux de vote. Lundi 16, confinement général, mais multiples dérogations pour faire tourner l’économie. Malgré ce qui devait nous en prémunir, selon le gouvernement, le virus se propage dans les mêmes proportions qu’en Chine ou en Italie. Pourquoi ne pas avoir appliqué strictement les recommandations de l’OMS pour stopper la propagation du virus  ? Ce qui aurait pu éviter de recourir à une mesure de contrôle de la population aussi massive et autoritaire que le confinement général.

Que préconise l’OMS ?

Les recommandations de l’OMS sont simples. Elles ne sont que la retranscription au plan international des règles ancestrales de maîtrise des épidémies. Lorsqu’un virus inconnu apparaît, pour éviter sa propagation, il faut séparer les personnes contaminées des personnes saines. Pour ce faire, depuis les grandes épidémies de peste, on confine les malades le temps de leur guérison. On met en quarantaine les personnes suspectées d’être infectées. On prend des mesures sanitaires pour éviter que le virus n’apparaisse dans les populations saines.

Pourquoi tester ?

L’application de ces protocoles d’endiguement dans le cadre de l’épidémie de covid-19 aurait dû conduire à la mise en œuvre d’un dépistage massif. Car ce n’est qu’à partir du résultat de ces tests que des mesures efficaces d’isolement des populations contaminées peuvent être prises. Les personnes infectées sont alors mises en quarantaine ou hospitalisées en fonction de leur état de santé. Les personnes vulnérables peuvent être confinées pour éviter qu’elles soient exposées à un risque de transmission. Enfin, pour les personnes non contaminées, il est possible de ne restreindre leurs libertés qu’au respect d’un certain nombre des règles sanitaires (gestes barrière, limitation des rassemblements, des déplacements…).

Pourquoi ne pas avoir agi ?

Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas voulu ou pu entendre les appels de l’OMS qui recommandait dès la mi-janvier la mise en place d’un dépistage de masse dans les pays touchés par l’épidémie  ? Pourquoi avoir, semble-t-il, privilégié la stratégie de l’immunisation naturelle de la population au respect du principe constitutionnel de précaution  ? Lorsqu’il s’est agi de prendre des mesures radicales de lutte contre la propagation du virus, le gouvernement s’est retrouvé démuni. Pourquoi n’avions-nous ni testes, ni masques ? Si ce n’est en raison des politiques libérales du gouvernement et de ses prédécesseurs.

La seule option restante

Sans tests, il a été incapable de mettre en œuvre des mesures d’isolement adaptées à l’état de santé de chaque personne. Il a donc opté pour une solution extrême : le confinement général de la population. Sans masques, le gouvernement s’est évertué à nier la pertinence de cet outil de protection indispensable à la lutte contre la propagation du virus. Alors qu’en l’absence de dépistage massif, tout le monde est susceptible de transmettre le virus. Il faut donc doter l’ensemble de la population de masques afin de limiter les risques de propagation. Or, la pénurie organisée par les précédents gouvernements et l’absence de réactivité du présent ont empêché d’assurer la diffusion de ces protections à grande échelle. Il ne restait alors qu’une solution à la disposition du gouvernement, le confinement. Or, cette mesure de restriction sans précédent des libertés individuelles apparaît être non une nécessité, mais la conséquence des décisions du gouvernement. Nous ne pouvons donc accepter l’introduction dans notre arsenal législatif d’un nouveau régime d’exception aussi autoritaire que celui-ci.

L’instauration forcée d’un régime autoritaire d’exception

La Constitution française comporte déjà des régimes d’exception. Ils permettent au pouvoir exécutif de prendre des mesures qui relèvent généralement de la compétence du Parlement. L’objectif est de faire face à une situation de crise. Les articles 16 et 36 de la Constitution ou la loi du 5 avril 1955 instituant l’état d’urgence les prévoient. Le Premier ministre a même pu imposer la fermeture des établissements recevant du public, la fin des rassemblements et le confinement de la population sans recourir à ces procédures. Il a fondé ces mesures sur la théorie des circonstances exceptionnelles créée par le Conseil d’État en 1918. Le gouvernement n’avait donc pas besoin de créer l’état d’urgence sanitaire. Le recours à l’état d’urgence de 1955 et aux circonstances exceptionnelles suffisait amplement.

De recours vraiment dangereux ?

Certes, la légalité des mesures de confinement aurait pu être contestée devant le juge administratif du fait caractère excessif de ces interdictions générales et absolues. Mais le juge administratif a démontré sa complaisance à l’égard du pouvoir en soutenant le gouvernement dans l’édiction de mesures restrictives des libertés individuelles. La crainte de recours juridictionnels a néanmoins incité le gouvernement à adopter la loi relative à l’état d’urgence sanitaire car elle légalise les violations massives des droits humains imposées par décret. Cependant, elle introduit dans notre arsenal législatif un nouveau régime d’exception qui offre au gouvernement un pouvoir considérable susceptible de virer à l’arbitraire. Et les modalités d’adoption de ce nouveau dispositif confirment son penchant autoritaire.

Le gouvernement avait les moyens d’agir

L’état d’urgence permettait déjà au gouvernement d’interdire les rassemblements, de prononcer des assignations à résidence, de restreindre les libertés de circulation, de réunion et de manifestation. L’état d’urgence sanitaire ouvre la voie à l’assignation massive à résidence (confinement) ou à l’enfermement arbitraire (quarantaine). Ces mesures indispensables dans le cadre d’une épidémie doivent cependant demeurer strictement nécessaires et proportionnées. Et il appartient au pouvoir judiciaire de contrôler le respect de cette exigence. Or, le gouvernement a refusé de soumettre la loi au contrôle de constitutionnalité préventif et, à sa demande, la majorité macroniste a adopté une loi organique empêchant la saisine du Conseil constitutionnel a posteriori. Le pouvoir exécutif a ainsi choisi de porter délibérément atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif en repoussant à l’après-crise l’examen de la conformité aux droits humains des mesures restrictives. Et cela, en violation des règles procédurales d’ordre constitutionnel qui fixent le délai de dépôt, au Parlement, des lois organiques à 15 jours.

Ce nouveau dispositif d’exception est une attaque massive contre les droits humains sur le fondement des circonstances exceptionnelles. Il fait peser de graves dangers sur notre régime démocratique. Les modalités de son adoption dévoilent l’inclination du gouvernement à l’autoritarisme épistémocratique. Cette dérive est en grande partie due au refus obstiné de respecter les recommandations de l’OMS qui évitent de recourir à l’enfermement massif de la population.

Il faut une planification sanitaire

Il faut en finir avec cette politique des petits pas et être à la hauteur de la situation. Il est temps de suivre des pays comme l’Allemagne, Singapour ou la Corée du Sud (à l’exception de l’intolérable dispositif de tracking des personnes contaminées) qui ne font que respecter les protocoles internationaux. Si nous sommes réellement en guerre, nous devrions mettre toutes nos forces dans la bataille. Cela implique de mobiliser l’ensemble de l’appareil productif dans la production de tests, de matériel de protection et de matériel médical pour gérer le pic de patients. Les réquisitions sporadiques ne peuvent suffire, il faut une véritable planification de réquisition générale, de prise de participation voire de nationalisation. Ce n’est qu’à cette condition que nous serons en mesure d’affronter l’afflux de patients en demande d’assistance respiratoire et de stopper la propagation du virus. Nous pourrons alors réduire les mesures restrictives au strict nécessaire et réfléchir à la pertinence d’un tel régime d’oppression massive des libertés individuelles pour gérer une épidémie comme celle que nous traversons.

La République et non l’autoritarisme est la solution

Les droits humains, la démocratie et l’État de droit sont des principes intangibles. Rien ne justifie de renoncer à ces valeurs républicaines, pas plus le risque terroriste qu’épidémique. Il est donc indispensable d’abroger la loi instaurant l’état d’urgence sanitaire et de tirer toutes les leçons de cette crise sanitaire. C’est tout un modèle économique, social et environnemental qu’il faut changer. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons prévenir la survenance de nouvelles crises et les combattre efficacement sans renoncer à nos valeurs fondamentales. Car, comme le démontre cette épidémie, l’autoritarisme est la solution privilégiée par les gouvernements qui ont détruit l’État et ses moyens d’action.


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