Interview de Jean-Luc Mélenchon dans La Croix

jeudi 16 avril 2020.
 

- Coronavirus : « Il faut une unité d’action, mais les consignes sont incohérentes »

La Croix : Vous sentez-vous piégé par l’appel à l’« union nationale » d’Emmanuel Macron ?

Jean-Luc Mélenchon : Cela pourrait être un piège. Déjà avant la crise, le pouvoir avait une tendance autoritaire, et ne supportait pas beaucoup les critiques. Avec l’épisode de l’épidémie de Covid-19, il s’est aussitôt emparé de tout ce qui pouvait le dispenser d’avoir à subir une remise en question. Pour lui l’union sacrée signifie : silence dans les rangs. Une façon de disqualifier honteusement qui n’est pas d’accord avec lui. Comme si refuser de se taire voulait dire ne pas être solidaire de la nation et de son peuple, au moment où elle lutte. Ce sont des procédés très politiciens.

Enfin, de quelle unité parle-t-on ? Les gens restent libres de leurs critiques. La nécessité c’est une unité d’action, encore faudrait-il que la direction soit claire. Ce qui rend l’unité difficile, c’est que les consignes sont incohérentes. Il faut la nourrir de perspectives concrètes, comme la réquisition des entreprises utiles à la production de moyens de lutte.

Mais bien sûr, le ton de la critique ne peut pas faire abstraction du contexte. Cela exige une manière particulière de s’opposer pour ne pas être dévastateur pour l’esprit public. On sort des logiques de pure conflictualité, qui est notre méthode habituelle pour créer de la conscience chez les citoyens, pour passer à une stratégie de cause commune. Quand une décision est bonne, on dit notre accord avec.

En quoi consiste l’opposition en temps de crise ?

J.-L. M. : La situation est inédite. Donc nous sommes tous conduits à agir en expérimentant. Notre première préoccupation était de protéger l’existence d’un espace politique indépendant. Surtout parce que la pandémie interroge tous les aspects du modèle de société dans lequel nous vivons. C’est-à-dire la globalisation, le libre-échange, la hiérarchie des normes qui place la libre concurrence au sommet. C’était donc exiger par-dessus tout que le Parlement continue à fonctionner. Cela peut sembler une évidence élémentaire, mais partout dans le monde la pandémie est accompagnée d’une tentation totalitaire.

Le deuxième élément dépend directement de nous : faire vivre la démocratie et le débat politique. Nous avons choisi de le faire par des tribunes, des actions comme la commission d’enquête que nous avons montée, une manifestation en ligne, la pétition pour le rétablissement de l’ISF. On s’est aussi demandé comment faire pour ne pas rester enfermés dans la critique des décisions qui n’ont pas été prises ou mal prises. On a essayé d’avoir une entrée positive : proposer des choses pour répondre à la crise. Par exemple la planification de la production d’instruments utiles à la lutte contre le virus, des réquisitions, la généralisation d’une organisation du travail dans des conditions sanitaires optimales dans toutes les entreprises.

Très vite, il nous est apparu qu’il fallait donner une perspective à la société tout entière, et donc se préoccuper du déconfinement. Le risque, sinon, est que le confinement tienne moins bien. Or là, on n’en voit pas le bout, et le déconfinement est une opération très compliquée. Nous voulons obliger le gouvernement à planifier tout ça dès maintenant, à réquisitionner les moyens dont nous aurons besoin pour sortir du confinement d’une façon sécurisée.


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