Raphaêl Glucksmann "Le néolibéralisme a fracturé la société"

samedi 18 avril 2020.
 

Ce texte fait partie de notre série Le Monde d’après 4

Le député européen Place publique appelle à « reprendre le contrôle » de nos destins et estime que la prochaine bataille est celle de la « souveraineté ». Critiquant les « mensonges » du gouvernement, il défend « l’écologie républicaine » comme chemin commun pour la gauche.

Pensez-vous, comme Jacques Delors, que la crise actuelle fait courir un « danger mortel » à l’Europe ?

Oui. C’est la première crise aussi globale, totalisante qu’a à vivre l’Union européenne. C’est un test vital. La question qui se pose est simple : lorsque l’essentiel est en jeu, l’Union européenne nous aide-t-elle ou nous plombe-t-elle ? La réaction de l’Union européenne n’a jusque-là pas été à la hauteur. On a vu dès les premiers instants ressurgir les égoïsmes nationaux, les Tchèques volant les masques des Italiens, les Français s’emparant de ceux envoyés à l’Espagne par la Suède. Mais, au-delà, il y a une faillite, non pas de l’idée européenne en tant que telle mais du logiciel qui préside aux politiques européennes.

Face au coronavirus, l’Union européenne n’a pas le droit à l’erreur

Trois dogmes ont été jusque-là au cœur de l’UE : l’orthodoxie budgétaire, et on voit bien qu’elle est soudainement remise au placard. Mais la concurrence libre et non faussée dans le marché intérieur et le libre-échange absolu à l’échelle planétaire, les deux autres piliers du libéralisme européen, ne sont pas encore battus en brèche...

Raphaël Glucksmann poursuit sa mue

« L’Europe est au fond le dernier continent à croire en la fable de la mondialisation heureuse » ; « Si nous n’arrivons pas à faire bouger les lignes à Bruxelles sur certains sujets, l’Europe devra redonner aux États et aux nations leur souveraineté » ; « Ce qui doit primer, ce n’est pas l’idéal européen, c’est la nécessité de redevenir souverain« . Question à cent euros (ou à mille francs), qui est l’auteur de ces saillies anti-bruxelloises ? Arnaud Montebourg ? Jean-Pierre Chevènement ? Vous avez tout faux : ces phrases ont été prononcées par Raphaël Glucksmann, eurodéputé du Parti socialiste, qui ne cesse pourtant de rappeler que le « projet européen » est « le sens même de [sa] vie« . Dans un entretien à L’Obs, le fondateur de Place publique a vertement et lucidement critiqué les « dogmes au cœur de l’Union européenne », prévenant que l’organisation supranationale ne « survivrait pas » sans les remettre en question.

Poussant un peu plus loin son raisonnement, Glucksmann a estimé que la « question fondamentale » posée par la crise était « celle de la souveraineté« , qu’il imagine à plusieurs niveaux – européenne en cas de « grands chantiers communs« , nationale quand « les blocages sont indépassables« . Celui qui a toujours défendu avec lyrisme la perspective d’une fédération européenne ose même s’approprier le slogan du Brexit, « take back control« , considérant qu’il est « l’essence même de la politique« .

On peut difficilement reprocher à Raphaël Glucksmann d’être borné. Un temps chantre de l’atlantisme et défenseur invétéré de la mondialisation, l’intellectuel avait même été proche en 2006 du groupuscule Alternative libérale, qui proposait de mettre fin à la Sécurité sociale, avant d’avouer ne pas avoir réalisé « à quel point le néolibéralisme avait fracturé la société« . « Mon logiciel de pensée a contribué à former l’impasse dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui« , avouait-il à Mediapart en novembre 2018. Certains y verront un opportunisme coupable, d’autres applaudiront une courageuse capacité à reconnaître ses erreurs peu commune dans le landerneau politique. Toujours est-il qu’après le libéralisme économique, Raphaël Glucksmann récuse désormais l’européisme naïf.


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