Crise immobilière aux Etats-Unis : Le vol du siècle ( Par Chan Akya)

samedi 4 août 2007.
 

Le 10 mars dernier, j’écrivais sur la banqueroute imminente des contractants d’emprunt immobilier aux Etats-Unis, dont l’impossibilité de rembourser affecterait non seulement l’économie étasunienne, alors qu’un grand nombre d’entre eux se déclarent en faillite, mais aussi les marchés mondiaux, alors que le risque a été largement vendu dans d’autres pays, avec le gros des pertes arrivant en Asie.

Indices et titrisation [1], en bref

Les banques prêtent de l’argent à un grand nombre de sociétés, mais aussi, ce qui est plus important, à des millions d’individus. Alors que les banques empruntent elles-mêmes de l’argent à d’autres investisseurs, sous la forme de dépôts et d’obligations, elles voudraient liquider certains actifs. Cependant, quiconque achète de tels actifs de ces banques doit naturellement se préoccuper de la qualité de ces actifs et, par conséquent, compter sur ces banques pour qu’elles fassent deux choses : d’abord, qu’elles prennent une part suffisante du risque (ce que les Anglo-saxons appellent "skin" dans le business, littéralement "les pelures") et, deuxièmement, qu’elles engagent un évaluateur indépendant pour ces titres.

Lorsqu’un grand nombre de comptes clients sont englobés dans une telle obligation, ce qui se passe est que quiconque achète cette obligation dépend de la qualité du crédit de personnes, qu’il ou elle n’a jamais rencontré. Pour cette raison, les marchés d’en remettent aux agences de notation, telles que Standard and Poor’s ou Moody’s, deux des plus grosses compagnies qui accomplissent de tels services et, tout à fait par hasard, les deux sont américaines. La troisième agence principale de notation, Fitch, est européenne.

Dans une large mesure, les investisseurs sont dépendants de ces notations pour déterminer la hauteur de leur investissement. Ainsi, si vous entrez dans une banque centrale asiatique et que vous demandez quels sont ses critères d’achat d’actifs, celle-ci pourrait vous répondre qu’elle détient des titres notés au-dessus d’un certain niveau, par exemple AA (le plus élevé étant AAA, le plus bas est D - pour "Défaut").

Toutefois, il y a deux problèmes immédiats avec cela. D’abord, les notations sont payées par les gens qui émettent les obligations mentionnées ci-dessus, pas par les gens qui les achètent. Ainsi, il y a une raison commerciale logique à maintenir la notation à un plus haut niveau que ce qui les fondamentaux garantissent strictement. Cela s’appelle un conflit d’intérêt.

Le deuxième problème est que les notations ne sont que de simples opinions. C’est un peu comme si un critique de cinéma disait que le dernier film de Bruce Willis est fantastique, alors qu’il pourrait s’avérer être un navet pour la plupart des gens. La différence, bien sûr, est qu’une mauvaise recommandation cinématographique ne vous coûte que 10 dollars, mais une mauvaise notation peut vous faire perdre des millions. Ces agences, bien quelles soient sophistiquées, ne connaissent pas plus l’avenir qu’un astrologue. Par conséquent, elles utilisent des masses de données pour justifier leurs opinions, tout en utilisant l’analyse de l’information historique. Ce n’est pas la première fois que les agences de notation se sont trompées sur les marchés. Que ce soient leurs mauvaises notations des marchés émergents dans les années 90 ou celle des compagnies téléphoniques au début de cette décennie et, à présent, la titrisation, ces agences se sont désastreusement trompées sur tous les nouveaux marchés. Pourtant, les investisseurs et les régulateurs font confiance à leur jugement, comme s’il n’y avait pas d’autres alternatives.

Pourtant, ces marchés semblent toujours en avance. Autrement dit, si un investisseur s’attend à recevoir moins d’intérêts sur une obligation particulière, le prix de cette dernière chutera bien avant que le taux d’intérêt ne chute réellement. Pourquoi ? Parce que les marchés sont enclins à sur-réagir à l’information, tandis que les notations, elles, rattrapent lentement leur retard.

Cependant, un grand nombre d’investisseurs - par exemple, les banques centrales et les fonds de pension - se reposent uniquement sur les agences de notation pour leur information. Ils ne réagissent pas lorsque les marchés commencent à bouger et sont donc forcés d’agir lorsque les agences de notation admettent que la qualité de l’obligation est en fait plus faible que ce qu’elles pensaient au départ. Sur les marchés, ces investisseurs sont appelés des "pourceaux" [hogs] - ils sont engraissés avant d’être conduits à l’abattoir.

Différentiel de salaires

Bien sûr, il est aussi important de remarquer la structure d’incitation perverse qui existe dans tout cela. Les employés des banques d’investissement sont parmi les mieux payés dans le monde, avec des spécialistes dans les secteurs d’expansion rapide, comme les produits dérivés, qui reçoivent des salaires annuels à 7 ou 8 chiffres [du million de dollars à plusieurs dizaines de millions de dollars]. En contraste, les gens qui leur achètent les risques, comme les employés des banques centrales asiatiques, ne gagnent guère plus de 20.000 à 50.000 dollars, à l’exception de quelques-uns parmi les meilleurs qui gagnent plus de 100.000 dollars. Seuls, certains employées du gouvernement de Singapour sont payés plus que leurs homologues à Wall Street ; c’est un sujet sur lequel je reviendrai dans un autre article.

Lorsqu’une telle structure d’incitation existe, il est naturel que des corruptions de toutes sortes apparaissent. Cela va des pratiques modérées comme les dîners somptueux payés par les banques aux pratiques plus méprisables, comme les cours des enfants des hauts fonctionnaires du gouvernement qui sont payés, sous l’appellation "marketing", par les agences employées par ces banques.

En attendant, il faut noter qu’aucun "crime" n’est commis par ceux qui achètent de tels titres aux banques d’investissement, puisqu’on leur demande d’investir les réserves de leurs pays dans des titres qui sont définis par une politique préétablie. Donc, personne ne prend la responsabilité à long terme pour les pertes sur les comptes d’investissement, en particulier dans beaucoup de pays asiatiques, où les réserves en devises sont une question de sécurité nationale ; et les divulgations sur les avoirs, les profits ou les pertes y sont punissables de longues peines de prison - ou pire. [2]

La semaine du 14 juillet 2007

Ce qui s’est passé cette semaine a été la conséquence de la chute brutale, au cours de ces dernières semaines, des cours des titres des emprunts immobiliers. Mercredi [le 11 juillet], les agences de notations ont fini par bouger et elles ont réduit les notes d’obligations pour une valeur totale de plus de 12 milliards de dollars. Cela a forcé les "pourceaux" mentionnés ci-dessus à vendre leurs obligations sur un marché qui était déjà nerveux à cause d’une plus grande faiblesse de l’économie américaine.

Evidemment, le résultat a été un véritable carnage. Incapables de vendre tous les titres qu’ils détenaient, de nombreux investisseurs ont dû vendre d’autres titres, y compris des obligations d’entreprises, qui, jusqu’à présent, n’étaient pas affectées par les changements de notation.

La question immédiate soulevée par l’action des agences de notation concerne essentiellement le timing. Pourquoi ont-elles baissé leurs notations cette semaine, sur la base de l’information qui était disponible depuis février ? La raison, évidemment, remonte au conflit d’intérêt - si les agences de notation avaient admis que leurs critères de notations étaient mauvais, elles auraient perdu beaucoup d’affaires. Il est vrai que les journaux financiers ont indiqué, ces dernières semaines, que les investisseurs malins, tels que les fonds spéculatifs, ont été "courts" sur les actions des agences de notation (ou de leurs holdings) pour, précisément, cette raison.

Ainsi qu’il est fait allusion ci-dessus, nous pouvons voir que ce temps supplémentaire a donné aux grandes banques d’investissement l’occasion de se débarrasser de leurs positions existantes, le plus souvent en vendant aux grandes banques centrales partout dans le monde. Nous ne saurons combien ces banques ont perdu, en particulier en Asie, que dans les prochaines années, plutôt que dans les prochaines semaines.

Prochaines étapes

Cette peau de banane "subprime"[3] a donc fait un grand nombre de victimes, parmi lesquelles les banques centrales asiatiques, qui sont obligées de détenir des titres libellés en dollars - pour des milliards - parce que la manipulation qu’elles exercent sur leurs devises fait monter leurs réserves. Cela semble être presque une justice romantique que les manipulateurs enregistrent des pertes à cause de ceux-là mêmes qu’ils pensent aider, c’est à dire les Américains sur-consommateurs.

Je pense que la liquation forcée de nombreux portefeuilles en Asie créera de plus grandes pertes, mais, pour l’essentiel, les emprunteurs américains sortiront indemnes de tout cela. Les détenteurs de titres de prêts immobiliers n’ont aucune prétention sur les actifs sous-jacents, seulement sur les sociétés intermédiaires, qui se mettront évidemment en faillite, laissant ainsi des étagères vides aux prêteurs pour les poursuivre en justice. Contrairement aux crises précédentes, comme celle qui a impliqué le secteur des télécommunications en 2002, la plupart des pertes seront absorbées par les banques centrales dans le monde entier plutôt que par les banques d’investissement nord-américaines ou européennes.

C’est l’un des plus grands vols de notre époque et, pour l’essentiel, il ne sera pas rapporté. Les épargnants asiatiques qui travaillent dur verront leurs banques centrales afficher, dans les prochaines années, des milliards de dollars de pertes à cause de la crise des emprunts immobiliers aux Etats-Unis, mais on ne pourra rien y faire, étant donné le manque général de responsabilité dans toute l’Asie.

Une stratégie plus défendable à long-terme pour ces banques centrales consisterait à réduire leurs stocks en laissant flotter leurs devises vis-à-vis du dollar et à investir dans leurs propres pays plutôt que chez quelque emprunteur distant défaillant. L’argument que j’ai développé dans "chats échaudés" [4] reste valable : les Asiatiques ne tiennent tout simplement pas leurs gouvernements et leurs banques centrales pour responsables des résultats. Cela permet à toutes sortes d’excès de s’infiltrer dans les économies, au nom de la politique nationale.

Avec plus de 3.000 milliards de dollars dans les réserves asiatiques, investis (gaspillés) dans des titres américains et européens à faible rendement, il est peut-être temps que les citoyens de toute l’Asie soulèvent cette question avec leurs banques centrales : Pour qui travaillez-vous au juste, pour vos citoyens ou pour les propriétaires immobiliers américains ? copyright 2007 : Asia Times On Line / Traduction : JFG-QuestionsCritiques.

Notes : ________________________

[1] Voir la définition de la titrisation sur Wikipédia.

[2] Parmi les banques centrales les plus secrètes, il y a invariablement les plus grandes banques centrales asiatiques. Aucunes d’entre elles, à l’exception de celle de Hong Kong, ne soumettent leurs comptes à l’inspection publique.

[3] Les crédits subprime sont tous ces crédits que certains organismes américains peu scrupuleux accordaient depuis des années aux ménages qui n’en avaient pas les moyens : ceux qui n’avaient pas accès au "prime market" - c’est-à-dire aux crédits accordés avec des critères plus stricts par les grosses banques. Bien évidemment, en contre partie du risque, les taux sont (anormalement) élevés et le crédit est bien souvent garanti par la maison de l’emprunteur.

Tout ça est très juteux pour les prêteurs et très risqué pour les emprunteurs, lesquels finissent en général par ne plus pouvoir rembourser et se retrouvent à devoir vendre leur maison. Tant que le marché immobilier américain était en hausse, ce n’était qu’à moitié grave, puisque l’emprunteur faisait une plus value sur la revente de sa maison et pouvait rembourser le prêteur - et, éventuellement, s’en sortir avec ce qui lui restait. Le problème, c’est que maintenant que le marché immobilier américain est en crise, lorsque l’emprunteur revend sa maison il n’en tire souvent plus assez pour rembourser le prêteur. Faillite personnelle et celle du prêteur... qui a des milliers de clients dans le même cas.

[4] article en anglais (traduction en cours)

De : Chan Akya


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