Ehpad : silence, on meurt

mardi 5 mai 2020.
 

Quelle protection dans les Ehpad, pour les résidents comme pour les soignants ? Quelles conditions de travail en pleine pandémie du Covid-19 ? Comme si tout avait été abandonné à la finance, abandonné par nos politiques publiques.

La situation dans les Ehpad est toujours aussi catastrophique ! C’est honteux, la façon dont en France on ne prend pas soin de nos aînés. Nos Ehpad se transforment en mouroirs sans que le gouvernement ne réagisse. C’est toute la génération de 45, celles et ceux à qui l’on doit le programme du Conseil National de la Résistance, « les jours heureux », notre modèle de protection sociale, qu’on laisse crever. Sans même pouvoir leur tenir la main. « Le monde d’après » doit totalement repenser ses politiques à l’intention des personnes âgées dépendantes. [1]

Transmettez-moi vos témoignages, que vous soyez famille de résidents en Ehpad ou salariés intervenant en Ehpad. Aussi, je souhaite faire un article prochainement sur les aides à domicile : idem, j’ai besoin de vos témoignages !

Du fait de la sursaturation des services de réanimation des hôpitaux, comme me l’ont confirmé des syndicalistes de l’AP-HP, aucun patient issu des Ehpad n’est admis. Les protocoles ont dû prioriser : les plus âgées, les plus vulnérables, on ne tentera pas de les sauver. ce sont donc des protocoles d’accompagnement de fin de vie qui sont instaurés en Ehpad pour les plus atteints. Le droit aux soins n’est donc plus garanti pour nos anciens. La ville de Paris a initié l’organisation de tests de l’intégralité des résidents et intervenants en Ehpad, en commençant par les Ehpad du CASVP (Comité d’action sociale de la Ville de Paris). Mais cela intervient hélas tardivement et tous les Ehpad privés sont loin d’avoir été testés. Combien compterons-nous de morts du Covid-19 parmi les résidents et parmi les salariés à la fin de la pandémie ? Et combien compterons-nous de morts à domicile, toujours parmi nos aînés ? Et parmi les aides à domicile que le gouvernement n’a pas voulu considérer comme prioritaires dans l’accès aux masques et à l’ensemble du matériel de protection ? On nous évoque déjà une estimation de 9000 décès à domicile...

À Paris, une citoyenne, Marie Sophie Boulanger, a porté plainte contre l’Ehpad privé Les Parentèles de la rue Blanche, dans le 9e, l’Ehpad où réside sa maman, pour mise en danger de la vie d’autrui. Elle dénonce l’omerta qui y règne : on cache l’hécatombe aux familles. Dès février, un premier cas de Covid-19 était apparu mais la direction a dissuadé le personnel de porter des masques pour ne pas créer de panique parmi les résidents et leurs familles…. Ils ont donc ainsi laissé la maladie se propager. Dans cet Ehpad qui accueille des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, il n’y avait même pas un poste de médecin ! Un étage avait bien fini par être réservé pour isoler les résidents atteints du coronavirus, mais les aides soignantes sans masques y allaient la boule au ventre. La direction, selon des témoignages de salariés, conseillait à son équipe de ne pas prévenir de suite les familles du décès de l’un des leur, pour gagner du temps pour remettre les chambres délaissées en ordre. Les décès étaient ainsi annoncé plus de 5 heures après. On y compte 22 décès du Covid-19 sur 65 résidents. Mais ce chiffre n’était pas transmis aux familles, la direction ayant jusqu’à peu déclaré que 3 décès dus au virus. Malgré les pressions fortes de la direction, Marie Sophie Boulanger a porté plainte lundi dernier. Premier effet de sa détermination, l’établissement a engagé un médecin et renforcé les effectifs. Plus de soins et d’attention sont accordés à sa mère qui se porte mieux à présent. L’ensemble des résidents vont bénéficier de son courage. [2]

Les leçons de ce témoignage sont évidentes : il faut briser l’omerta des Ehpad. Exiger de l’Agence régionale de santé qu’elle les inspecte. Les familles ont désormais le droit de visiter leur proche, elles doivent exiger le respect de ce droit. Parce que ces contacts humains sont essentiels pour nos aînés, pour qu’ils continuent de souhaiter vivre, boire et s’alimenter, le moral est essentiel. C’est aussi essentiel pour nous-mêmes, pour notre humanité et pour savoir ce qui se passe réellement dans ces institutions.

Les personnels sont en première ligne comme dans les hôpitaux, mais avec encore moins de moyens. Ils comptent les morts dans un silence confiné opaque. Le pire pour ces travailleurs engagés, c’est de se dire que bien souvent, du fait de l’absence de décisions de protection prises par leurs directions, du manque de masques et de protections, ce sont elles et eux qui ont transmis le Covid-19 à leurs résidents comme à leur propre famille.

Le sous-effectif est structurel et de longue date dans les Ehpad. Je me souviens, il y a trois ans de ces familles de résidents de l’Ehpad municipal Alquier Debrousse dans le 20e. Elles souhaitaient que je relaie en conseil d’arrondissement la maltraitance institutionnelle potentielle infligée à leurs proches du fait de directions mettant leurs agents sous pression, sous tension en permanence. Je me souviens de la souffrance au travail racontée, vécue, subie par ces agents. Mais par crainte de représaille à l’encontre de leurs parents résidents, ces familles ne souhaitaient pas que je nomme en séance le nom de l’établissement. J’étais intervenue en Conseil de Paris en respectant l’anonymat demandé. La maire du 20e n’avait pas voulu entendre. La maire de Paris non plus. M’accusant de mensonges et de mépris vis-à-vis des agents dévoués des Ehpad. Je ne remets pas en cause ce dévouement, bien au contraire. Il est à un tel niveau que c’est leur vie même et celle de leurs proches qu’ils mettent en danger. Combien de salariés des Ehpad ont attrapé le Covid-19 sur leur lieu de travail ? Ecoutez leurs témoignages sur les conditions mêmes, inhumaines de prise en charge des décès des résidents des Ehpad pour vous en convaincre.

Les syndicalistes intervenants dans les Ehpad sont unanimes : le droit du travail peine à y être respecté, pour ce qu’il en reste. Le dialogue social y est bafoué et nombres de CSST (anciens CHSCT depuis les ordonnances Macron) n’arrivent pas à se tenir. Dans certains Ehpad, les personnels se voient imposer des 60h de travail, pour d’autres ce sont leurs congés payés qui sont rognés. Ils sont en première ligne comme dans les hôpitaux, mais avec encore moins de moyens. Ils comptent les morts dans un silence confiné opaque. Le pire pour ces travailleurs engagés, c’est de se dire que bien souvent, du fait de l’absence de décisions de protection prises par leurs directions, du manque de masques et de protections, ce sont elles et eux qui ont transmis le Covid-19 à leurs résidents comme à leur propre famille. Il est essentiel de faire reconnaître le Covid-19 comme maladie professionnelle.

À l’autre bout de la chaîne, loin de ces souffrances, il y a les directions de grands groupes, qui ont fait des Ehpad un Business, comme Korian, Domusvie, Orpéa… Le Docteur Marian, fondateur de ce dernier grand groupe, Orpea, figure dorénavant parmi les 500 plus grandes fortunes de France. Une fortune amassée sur le dos de la souffrance des résidents et des salariés. Ce groupe implanté mondialement, avec des établissements en Chine, savait la gravité de la pandémie, mais quelles mesures de protection a-t-il décidé de prendre ? Envisager immédiatement des masques et des tests pour tenter au maximum d’empêcher le virus d’entrer dans ses Ehpad et de s’y propager ? Non. Il a anticipé la chute de valeur de ses actions et les a vendues pour 456 millions d’euros.

Nos aînés ne doivent plus être abandonnés à ses vautours de la finance et devenir une priorité de nos politiques publiques.

Danielle Simonnet


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