Une chaîne humaine pour dire « que les quartiers populaires ne sont pas des laboratoires pour la police »

jeudi 14 mai 2020.
 

Ce lundi 11 mai, une chaîne humaine contre les violences policières est organisée à 18h30 au départ du pont de l’Île-Saint-Denis (93). Cet événement fait suite à la tribune « La colère des quartiers populaires est légitime ». On en a causé avec Madjid Messaoudene, élu de Saint-Denis.

Regards. Comment s’est passé cette période de confinement pour les habitants des quartiers populaires ?

Madjid Messaoudene. Les quartiers populaires l’ont vécu le moins difficilement possible, sachant qu’à la base, tous les éléments n’étaient pas réunis pour que le confinement se passe bien. On savait que ça allait mal se passer, pour plusieurs raisons. Le taux de pauvreté : la Seine-Saint-Denis étant le département le plus pauvre de France, on pouvait s’attendre à une explosion des difficultés économiques et sociales, ce qui est advenu. On a un système de santé qui est davantage fragilisé qu’ailleurs, avec trois fois moins de lits de réanimation qu’à Paris. Est-ce qu’une vie de Parisien égale trois vies de Dionysiens ? Il faudra demander à Véran… On a des habitants qui, pour un grand nombre, travaillent dans des secteurs dits essentiels (personnels de distribution, de ménage, ouvriers, etc.), qui ne pouvaient pas télétravailler. De fait, ils ont été surexposés au Covid-19. Enfin, il y a un problème de logement en Seine-Saint-Denis, avec un taux de sur-occupation des logements et un taux de logements insalubres très importants. Ce qui peut expliquer qu’une partie des gens étaient dehors, non pas parce qu’il faisait beau mais parce que c’était compliqué de rester chez soi. Mais je trouve que le confinement a été majoritairement bien respecté.

Plus précisément, concernant les violences policières, qu’en avez-vous pensé ?

Le contexte économique et social de la Seine-Saint-Denis n’a pas empêché la police de verbaliser trois fois plus en Seine-Saint-Denis qu’au niveau national… Par contre, il est difficile de dire s’il y a eu plus de violences que d’habitude. En tout cas, elles ne se sont pas arrêtées. Ce que l’on sait, c’est qu’il y a au moins huit plaintes contre la police depuis le début du confinement – à chaque fois pour des violences à l’encontre de personnes racisées, comme par hasard. Je pense que la police a profité de facteurs propices à la commission de violences, à savoir que, s’il y a moins de personnes à l’extérieur, il y a moins de personnes pour filmer et pour intervenir. Tout cela crée les conditions de l’impunité pour les violences policières. C’est pour cela qu’on demande aux gens de filmer, filmer et filmer, tout le temps, car le seul fait de filmer la police peut sauver des vies et empêcher que des contrôles violents se transforment en ratonnades.

Du coup, ce soir, pour dénoncer tout cela, vous organisez une chaîne humaine. Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus ?

Il y avait besoin de dire stop, de dire que les quartiers populaires ne sont pas des laboratoires où la police peut mettre en pratique un certain nombre de techniques d’immobilisation ou de tabassage en règle, où l’on peut proférer librement des insultes racistes. L’idée, c’est de dire que non seulement les quartiers populaires ont été en première ligne face au virus, mais ils ont toujours été en première ligne face à l’institution policière. Le 11 mai, ça ne peut pas être simplement la reprise du boulot, comme si de rien n’était. Pour les quartiers populaires, la misère continue, la violence continue. Pour dire stop à tout cela, on a estimé qu’une chaîne humaine était le meilleur moyen car on peut respecter les distances sanitaires. On démarre sur le pont de l’Île-Saint-Denis, là où a eu lieu la dernière violence policière recensée. Les mots d’ordre décidés collectivement sont la suppression de l’IGPN, la révocation du commissaire Vincent Lafon en cause dans l’affaire de l’Île-Saint-Denis, la suppression du LBD, l’interdiction des pratiques d’immobilisation mortelle comme le plaquage ventral, etc.

Une dernière chose, comment voyez-vous ce 11 mai et ce déconfinement ?

Il y a eu un métro surbondé ce matin, parce qu’il avait 40 minutes de retard, donc tout le monde est allé dessus. Par la suite, les gens faisaient le plus attention possible. Mais, en temps normal, la ligne 13 est déjà surchargé, non pas parce qu’il y a trop de monde mais parce qu’il n’y a pas assez de matériels roulant et que la RATP ne met pas tout en place pour que les voyageurs soient transportés dignement. On voit bien la différence en la ligne 13 et la ligne 1… Ce n’est pas un hasard. Ces difficultés de base sont exacerbées avec la crise. De toute façon, il y a des gens qui continuaient de prendre le métro parce qu’ils n’avaient pas le choix. À ceux-là s’ajoutent aujourd’hui ceux qui n’ont plus le choix parce que leur patron ne veulent plus qu’ils soient en télétravail. On sait bien aussi que les masques que les gens vont porter, pour beaucoup, ce ne sont que des masques de façades afin d’éviter de prendre une amende. Je ne vois pas bien comment on va pouvoir éviter la deuxième vague avec cette situation dans les transports. Ok, après de mois de confinement, tout le monde craque, ça ne peut plus durer, mais est-ce qu’il fallait reprendre le 11 mai ? Est-ce qu’on ne pouvait pas attendre de savoir où en est la circulation du virus ? Est-ce qu’on ne pouvait pas rouvrir les écoles en septembre ? Est-ce qu’on ne pouvait pas continuer le télétravail plus longtemps ? La santé des gens n’a pas primé sur le redémarrage de la machine économique.

Propos recueillis par Loïc Le Clerc


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