Macron-Merkel : de quel droit ? (Intervention de Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée nationale le 19 mai)

lundi 25 mai 2020.
 

Intervention de Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée nationale le 19 mai 2020 sur la souveraineté de la France. Voici la retranscription de cette intervention. Seul le prononcé fait foi.

Les 5 minutes dont je dispose ne me permettent pas d’exposer ce que j’aurais voulu dire à mes collègues et donc je remettrai par écrit l’analyse que les insoumis se font du moment tout à fait exceptionnel que nous venons de vivre. D’ici là, nous ne participerons ni au numéro d’autoflagellation que certains d’entre vous ,en effet, ont raison de pratiquer compte tenu de leurs aveuglements passés, ni aux lettres au père Noël qui en ce moment s’expriment de tous côtés sous la forme d’un messianisme furieux à propos du monde d’après sur lequel chacun fait d’amples et vastes rêves. C’est ici et maintenant, dans le concret, que les questions qui nous sont posées continuent de se traiter et en particulier celle de la souveraineté. Il serait inouï que je m’abandonne devant vous à une dissertation générale alors même que la souveraineté de la patrie a été remise en cause aussi durement qu’elle l’a été, à mon avis, par la déclaration de madame Merkel et monsieur Macron hier, qui apparemment n’a pas semblé soulever de difficultés pour beaucoup d’observateurs, mais énormément pour moi.

Madame Merkel et monsieur Macron ont décidé que les prétendus 500 milliards d’aides européens seront attribués aux régions et aux secteurs de l’économie. En République française, la souveraineté du peuple n’est pas divisible. De quel droit certains recevraient des fonds et ensuite le peuple tout entier aurait à rembourser sans que ses représentants les aient attribués. La République française n’est pas une République fédérale, les régions françaises ne sont pas des Länder.

Madame Merkel et monsieur Macron ont autorisé la commission à émettre des emprunts. Ceux-ci seront payés par les États et leur peuple. Mais en cas de défaut d’un des pays garants ou utilisateurs de ces emprunts, le peuple français devra payer à sa place. De quel droit monsieur Macron et madame Merkel peuvent-ils les y engager sans que le peuple ou ses représentants se soient prononcés. Par ailleurs, de quel droit la France renoncerait-elle, du mois, à la souveraineté sur sa dette ? Madame Merkel et monsieur Macron ont autorisé un plan de relance dans lequel l’Allemagne bénéficiera de 57 % des aides versées aux entreprises, 1 000 milliards contre 200 milliards pour la France. C’est, permettez-moi de vous le dire avec le sourire, une grave altération du traité de Lisbonne, auquel je suis hostile, concernant la concurrence libre et non faussée comme l’a déclaré le commissaire Josep Borrell et qui est décidée sans vote ni des Parlements ni des peuples.

De même pour la règle des 3% maximum de déficit autorisé qui a été abolie pour la période, fort heureusement ! Nous sommes donc entrés, sans crier gare, dans une sortie partielle des traités européens sur des points essentiels. Je m’en réjouis. Mais cela prouve que ces règles sont inapplicables en cas de péril commun. En rejetant le traité constitutionnel européen de 2005, les peuples français et hollandais avaient donc raison, et vous venez de l’avouer ! La souveraineté de leur décision va-t-elle être désormais mise en œuvre ? Et nous sommes obligés de dire que ce qui est à l’horizon, c’est la sortie permanente des traités.

Cinquièmement, au mépris du statut de la Banque centrale européenne fixé par les traités pourtant signés par l’Allemagne elle même, la cour Constitutionnelle de Karlsruhe s’est permis d’interpeller la Banque centrale européenne pour lui demander des comptes à propos de sa politique de rachat des dettes des États dans les banques privées. Cette Cour a donc assumé, dans le silence du gouvernement allemand, le risque de provoquer une hausse des taux d’intérêts dans les pays les plus lourdement endettés et qui sont les concurrents commerciaux de l’Allemagne comme l’Italie et la France qui continuent pour leurs parts à payer par leur dette le coût de la réunification allemande. La Cour a donc mis en cause la souveraineté des Français et de leur Parlement qui a voté le statut de cette banque – mais pas moi, c’est le paradoxe de la situation. Mais elle l’a fait aussi en cherchant a provoquer la diminution des moyens d’action financier de notre peuple.

Sixièmement, en République et dans la tradition française et universelle, depuis jean Bodin au 16éme siècle, Jean-Jacques Rousseau au 18ème et la grande Révolution de 1789, la souveraineté est indivisible. Son dépositaire exclusif est le peuple et lui seul. Cette souveraineté s’exerce sur un territoire et sur un peuple. L’Union européenne n’a pas de peuple politiquement constitué.


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