Unité à gauche : appels à la pelle

lundi 8 juin 2020.
 

Avant de s’entretuer pour le deuxième tour des municipales, les chevaux légers des partis de la gauche traditionnelle ont privilégié les appels unitaires. Pour l’essentiel, ils regroupent les anciennes factions de la gauche gouvernementale et unissent des groupes et personnalités qui en sont issues. Elles se constituent en vue de formuler un « projet commun » et disent vouloir un candidat commun comme « seul moyen d’éviter la menace d’un nouveau duel Macron Le Pen en 2022 ». Elles comptent pour cela sur une addition des électorats sauf celui des insoumis. Elles espèrent aussi l’apparition d’un « leadership naturel » comme dit Éric Piolle, le maire de Grenoble qui a déclaré assumer ce rôle.

À coup d’un appel unitaire ou deux par semaine, les occasions de s’unir ne manquent pas. C’est bien leur droit. Mais pourquoi les rubricards exagèrent-ils parfois comme ils l’ont fait a propos de l’appel dit « des 150 » en rajoutant ou bien des personnalités ou bien des partis qui ne signent pourtant pas ? Pourquoi oubliaient-ils de demander pourquoi les absents se refusaient ou bien pourquoi ils signaient un appel et pas l’autre ? Ni pourquoi et comment des macronistes de la semaine dernière ou des sarkozystes d’il y a dix ans peuvent se sentir aussi à l’aise au milieu de révolutionnaires affirmés comme Olivier Faure ? Comme on ne peut pas soupçonner ces rubricards d’être de parti-pris, ni eux-mêmes militants, il nous reste hélas la pire des causes : la flemme. Recopier le titre, sélectionner les signataires aguichants. Mais la chefferie de la rédaction pourrait trouver ça trop fade. Elle pourrait commander un travail à faire réellement.

Du coup, pour que le plat ne soit pas insipide il faut le pimenter. Chacun de ces messieurs-dames les indolents n’oublie donc jamais de donner le frisson d’excitation qui animera le dîner en ville : souligner notre « absence », « bande à part » et ainsi de suite. Certains vont même jusqu’au point de m’attribuer aussi les refus de signer comme le fait un de ces journaux sur la foi d’un témoin… anonyme bien sûr. Mais il faut dire que la pige pour celui-là était bien payée comme il en fit l’aveu. « Sauf-LFI » ayant fait déjà à deux reprises des offres de « front populaire » puis de « fédération populaire », comment expliquer que les divers groupes d’unitaires pourtant divisés s’accordent à ne jamais en mentionner l’existence ni donner un avis sur le sujet ? Toute la comédie de l’unité est dans cette amnésie de commande.

Pourtant, les factions unitaires concurrentes ont chacune leurs charmes. Et il reste en moi quelque chose des émotions venues du monde où je les ai connus autrefois. Quelle joie pour moi de les voir se mobiliser avec toute cette énergie pour une stratégie du « Rouge-Rose-Vert » que j’ai défendue il y a quand même déjà 25 ans avec Julien Dray, Marie Noëlle Lienemann et « la gauche socialiste » au PS. Et qui a rendu possible la victoire de Lionel Jospin en 1997. Évidemment à l’époque, leurs parrains politiques et parfois eux-mêmes votaient contre cette unité, à pleine urnes bourrées. À cause d’eux on a perdu un quart de siècle, une génération… Mais ça reste un plaisir rare de les voir réciter mes textes, ceux de Julien et Marie-No avec la mine de gens qui viennent de découvrir le fil à couper le beurre…Mais même si tardive, cette revanche intellectuelle m’amuse. Rendez-vous dans une génération pour les entendre vanter la 6ème République, le référendum révocatoire et la planification écologique.

Pour l’heure, les feuilles mortes se sont accumulées, brûlées par le soleil du déconfinement. Tous ces appels sont morts pas seulement d’indifférence mais surtout d’inconstance. Leurs propres signataires les ont oubliés à peine signés. Et puis le deuxième tour des municipales a imposé ses compétitions. On cherchera en vain un seul de ces grands unitaires critiquant les divisions que provoquent leurs proches amis. Les socialistes tuent tout ce qu’ils peuvent autour d’eux et les Verts en font autant. Tous sont merveilleusement d’accord cependant dès qu’il s’agit d’expulser une liste ou une candidature insoumise. Parfois cela échoue. On peut compter sur la presse pour invisibiliser les nôtres. Ce qui nous convient parfaitement, avouons-le.

Mais la saison des appels aussi aura été fructueuse sans bouger beaucoup. Il aura suffi d’attendre pour voir les meilleurs éléments comprendre dans quelles assemblées de pavés autobloquant ils avaient été aspirés. D’aucuns ont donc ouvert la discussion avec les insoumis. Car beaucoup ne voulaient d’abord pas croire que toutes ces coteries avaient bien une cible essentielle. Tous ou presque se vantaient de vivre sans nous. « Sauf LFI » était le refrain. Et l’objectif. Rien ne pouvait mieux nous convenir. Les rubricards appartenant intellectuellement aux mêmes couches géologiques que bien des signataires d’appel unitaire, le monde réel de l’après 2017 leur échappe tout autant. Au point d’inventer des communiqués signés par tous « sauf LFI », même quand il n’y avait pas de communiqué. Ce fut notre dessert.

Mais le mieux fut le dernier à paraitre, « l’appel des 150 ». Monté sur le mode du coup de force par surprise contre les autres groupements unitaires, il avait réussi à saturer la scène médiatique selon la loi bien connue d’après laquelle la valise éclate pour une chaussette de trop. Cependant, le moindre connaisseur voyait bien comment cette initiative ne réunissait qu’un secteur étroit de la population unitaire possible. L’absence des autres aurait dû alerter. Voir des communistes signer sans leur secrétaire général ni les unitaires de leur parti aurait dû intriguer. Nenni ! Volens nolens, Fabien Roussel se trouva montré en photo entre Faure et Bayou. Les rubricards comme je l’ai dit s’en tinrent à l’essentiel dès la première ligne : « sauf LFI ». Un délice.

Évidemment l’affaire tourna court, comme d’habitude, avant de se révéler être une bombe à fragmentation interne. Elle accentua gravement les divisions entre unitaires du dedans et ceux restés dehors. Car les unitaires resté dehors n’ont pas aimé se faire assimiler à un texte sans contenu ni arête dont le seul résultat serait « sauf LFI ». Ceux-là sont en vérité sur la même longueur d’ondes que nous : pas de leçon du passé réellement tirée sans clarté totale sur les objectifs et les questions qui ont fâché. Avec cette aile des unitaires notre divergence n’est pas décisive. Elle se résume facilement : nous n’y croyons pas/ils veulent essayer.

Quant aux autres, contentons-nous de dire l’essentiel : nous ne sommes pas sur la même ligne du tout. Mais surtout, disons que ça ne sert à rien de faire semblant. Car, rappelons-le, une campagne électorale n’est pas un congrès de synthèse. Elle consiste à convaincre des personnes d’aller voter et de le faire avec nous. Or, les unités de façade, les auberges espagnoles coutumières ne convainquent personne et désespèrent tout le monde, de tous les côtés à la fois. Car le grand nombre n’est plus disponible pour les vieux tours de passe-passe dont une partie des signataires ont été partie prenante dans un passé récent. Prenons un exemple. Najat Vallaud-Belkacem, signataire de l’appel des 150. C’est sans aucun doute une femme brillante. Mais elle a été porte-parole des gouvernements Hollande et une ministre de l’Éducation assez controversée. Un mot de bilan et de regrets de sa part n’aurait pas été de trop avant de reprendre un tour de manège. Elle n’en fit rien et personne ne lui demanda rien. Carole Delga, signataire avancée pour l’unité fait capoter l’union à Toulouse et s’affiche avec Moudenc. Et ainsi de suite.

En résumé : pour nous, la clarté mobilise davantage qu’elle ne clive. Or la méthode de bien des « unitaires » est à l’inverse : c’est celle où le moins disant a forcément le dernier mot. En effet sa présence est le symbole de la diversité de l’attelage. Donc par crainte de son départ, ces unitaires lui donneront toujours raison. Comme le système des primaires, ce type de physique ramène toujours la bille là où les forces s’annulent. La seule dynamique que cela créé est celle de l’effondrement. C’est une machine à fabriquer des « trous noirs », comme dans l’univers, dont aucune énergie ne parvient jamais à ressortir. Il faut donc s’en tenir éloigné et résister à l’attraction qu’elle exerce sur les éléments les plus volatils.

Heureusement, il y a aussi des points d’appui sérieux. Vous vous souvenez ? C’était en plein confinement une tribune intitulée « Plus jamais ça » signée par vingtaine de syndicats et ONG. La France Insoumise, le NPA et Génération·s avaient immédiatement répondu favorablement. Nous avons organisé quatre « manifs en ligne » sous le timbre « Plus jamais ça » qui furent, les quatre, des succès notoires. Pour les Insoumis, l’existence de ce cadre d’action réalise à sa façon la « fédération populaire » qui est au centre de sa stratégie pour mobiliser la société en rompant les cloisonnements entre syndicats, partis et associations. L’organisation des « marées populaires » avaient été en 2018 une forme confirmant la valeur de cette démarche.

À nos yeux, « Plus jamais ça » prend le problème par le bon bout. D’abord en posant correctement le sujet. Le problème central, deux ans avant l’élection présidentielle qui affole, ce n’est pas « la gauche » c’est le gouvernement libéral, sa politique, sa répression. Le devoir est donc d’accompagner les mouvements de la société, de les fortifier de les aider à vaincre ou du moins à desserrer l’étau. C’est pourquoi il faut débarrasser ce travail des intrigues et manœuvres liées au calendrier électoral.

Une réunion à l’invitation de l’appel des 18 de « Plus jamais ça » s’est tenue ce 20 mai. LFI y était représentée par Éric Coquerel, Mathilde Panot et moi-même. Nous y avons confirmé notre engagement à soutenir l’initiative aussi longtemps qu’elle proposera des actions revendicatives fédératrices. Nous avons proposé pour cela une liste de dix points d’initiatives concrètes pour cela pour commencer la discussion. Nous avons rappelé que seule l’action pourrait nous fédérer. Serait contre-productive toute implication dans une discussion électorale ou création de cadre politique commun sur le seul but du rassemblement pour le rassemblement. En effet nous croyons que le cadre de l’appel « Plus jamais ça » peut jouer un rôle très favorable pour permettre l’action commune sur des points précis. Ainsi serait favorisée la remobilisation populaire sans laquelle tout est vain. De son côté, le comité « Plus jamais ça » a publié un plan de sortie de crise. Nous l’approuvons. Nous ne le faisons pas pour de raisons diplomatiques. Ni par culte du rassemblement. Nous le faisons parce que nous sommes d’accord avec le contenu. Nous sommes d’accord parce que nous y retrouvons les points que nous avons défendus dans « L’Avenir en commun », dans notre travail parlementaire et dans nos dix propositions. Ça c’est le bon chemin droit et stable sur lequel on peut avancer sans avoir à recompter ses doigts après une poignée de main.


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