Loi sur le dialogue social et le service minimum : la Cgt interpelle le Conseil Constitutionnel

mardi 14 août 2007.
 

Loi sur le dialogue social et le service minimum : la Cgt interpelle le Conseil Constitutionnel

La loi portant « sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs » soulève des questions graves en matière d’exercice du droit de grève, de conduite du dialogue social et de qualité du service rendu aux usagers. C’est pourquoi la Confédération générale du travail (Cgt), première organisation syndicale à la Sncf, à la Ratp et dans un grand nombre d’autres entreprises concernées, a décidé d’une intervention volontaire, dans le cadre du recours déposé devant le Conseil Constitutionnel par plus de soixante députés. Le texte de cette intervention est à votre disposition dans ce dossier.

Ceci complète le travail que nous avons réalisé tout au long du processus. Nous vous rappelons que la Cgt était porteuse de propositions. Elle a produit des amendements au texte, les a remis au Ministre du Travail et aux groupes parlementaires et les a rendus publics pour les citoyens en les faisant figurer sur son site Internet. Le Ministre, malgré ses engagements, n’y a répondu d’aucune façon. Malgré ses déclarations sur « les 11 heures » pendant lesquelles il aurait reçu les organisations syndicales, il n’a tenu aucun compte des remarques émises lors des ces pseudo séances de concertation.

Nous profitons donc de ce point presse pour vous préciser l’appréciation que notre organisation porte sur cette loi, à partir de ses préoccupations et de son expérience syndicale.

Pour la Cgt, une nouvelle réglementation du droit de grève ne s’imposait pas.

L’exercice du droit de grève, droit constitutionnel, est déjà très encadré par plusieurs lois. Rien n’appelait aujourd’hui au durcissement de la législation existante.

Les usagers et leurs associations demandent plutôt un service public de transport de qualité au quotidien alliant régularité, confort, fiabilité et sûreté. Or, l’écrasante majorité des perturbations quotidiennes subies par les usagers est imputable aux défaillances du matériel roulant, aux insuffisances de moyens humains, financiers et en capacité d’infrastructures qui provoquent incidents, accidents, retards, suppressions de services et de dessertes ...

Le Service public de transport n’est donc pas malade des grèves, d’autant que la conflictualité y a significativement baissé depuis dix ans, mais des dysfonctionnements dus aux politiques de déréglementation et de libéralisation successives.

Dans les détails, la loi qui vient d’être votée ne prétend pas répondre aux dysfonctionnements rencontrés par les usagers. A la SNCF, par exemple, sur 6 043 incidents ayant donné lieu à des retards en 2006, seuls 140 (2,3 %) étaient dus à des mouvements sociaux et 1 728 (28,6 %) à des défaillances de matériel.

Elle ne répond qu’imparfaitement à l’aspect information à fournir aux usagers mais fait l’impasse sur la nécessaire politique de moyens à mettre en œuvre pour remettre à niveaux les équipements ou pour maintenir les effectifs au niveau pertinent permettant de fournir un service de qualité 365 jours par an. Le gouvernement ne veut clairement pas rentrer dans la question des réductions d’effectifs, comme, par exemple, des 16 000 suppressions d’emplois à la SNCF depuis 2002.

Le texte ne répond pas non plus à l’amélioration du dialogue social, ni à la satisfaction des besoins des usagers et des salariés du transport, seuls à même de diminuer la conflictualité dans les transports. Aucune des pistes explorées dans l’avis rendu par le Conseil économique et social en novembre 2006 pour consolider le dialogue social et moderniser la démocratie sociale n’y reçoivent d’écho. Pire, le texte permet au patronat de continuer de s’exonérer de ses obligations de négocier.

Les dispositions contenues dans le texte, en particulier celles figurant dans les Articles 5 (préavis individuel du salarié 48 heures avant la grève) et 6 (consultation au delà de 8 jours de grève) vont avoir pour effet d’opposer les salariés les uns aux autres, de créer des tensions préjudiciables non seulement au déroulement d’un dialogue social propice à diminuer la conflictualité par la résolution des problèmes en amont d’éventuels conflits mais également au bon fonctionnement de l’entreprise. Ces dispositions vont notamment créer des tensions entre les personnels d’exécution et personnels d’encadrement qui vont être en charge d’interroger les salariés sur leurs intentions, d’organiser la consultation et, souvent, de faire pression sur ces mêmes salariés pour les dissuader de faire ou de continuer une grève.

Le délai imposé à l’Article 2 pour la conclusion d’accords cadre dans les entreprises ou dans les branches est totalement irréaliste et fait fi de la réalité du dialogue social. Le gouvernement et les parlementaires qui ont voté ces dispositions savent qu’il est matériellement impossible que des négociations de cette importance se déroulent dans de bonnes conditions dans un calendrier aussi serré avant le 1er janvier 2008. La façon dont l’Etat reprend la main, après cette date, démontre le mépris du gouvernement vis à vis les « partenaires sociaux », destinés à jouer un rôle de figurants, dans un scénario déjà écrit d’avance. A moins qu’il ne s’agisse d’entériner, le plus rapidement possible, un échec des négociations que souhaite le patronat (UTP et MEDEF). Le délai imposé à l’Article 5 pour la conclusion d’accords collectifs de prévisibilité dans les entreprises inspire les mêmes remarques et les mêmes craintes.

La remise en cause des accords signés à la RATP et à la SNCF mais aussi dans les autres entreprises de transports et l’obligation de les renégocier démontre que, même lorsque les organisations syndicales et le patronat ont réussi à se mettre d’accord sur des dispositifs de préventions des conflits, le gouvernement n’en prend pas acte, ignore le travail réalisé par les « partenaires sociaux » en assumant le risque de substituer à des situations en cours d’amélioration des situations redevenant plus instables et plus conflictuelles.

A l’instar de ce qui se passe actuellement pour le préavis de 5 jours, les périodes allongées (le « préavis du préavis » figurant à l’Article 2), pouvant aller jusqu’à 17 jours francs ne vont, dans la majorité des cas, pas être utilisées de manière constructive pour la résolution des conflits mais comme nous le dirons plus loin, pour dissuader les grévistes potentiels et empêcher une capacité de réaction rapide des salariés.

En revanche, les employeurs se retrouvent avec des possibilités de décisions unilatérales renforcées, notamment en cas de carence de la négociation au 1er janvier 2008. Des outils de pressions et de répressions sont mis à leur disposition, notamment les listes de grévistes établies 48 heures précédant le début des conflits. De même, les employeurs sont seuls organisateurs des conditions de la consultation au bout de 8 jours.

D’une manière globale, la stratégie gouvernementale consistant à attaquer par tous les moyens les salariés concernés et les organisations syndicales qui les représentent se traduisent dans le texte notamment à l’article 10. Celui-ci réaffirme une disposition existante dans le code du travail sur le non paiement des jours de grève en faisant croire qu’il s’agissait d’une disposition nouvelle. Cette disposition n’avait donc pas pour objet d’enrichir le texte mais de nourrir une campagne médiatique largement soutenue par l’avalanche de sondages orientés tombant fort à propos et destinée à stigmatiser les salariés qui se mettent en grève. Une telle intention n’est évidemment pas de nature à apaiser le climat sur la question du droit de grève.

Le véritable objectif de cette loi est d’apporter de nouvelles restrictions à l’exercice du droit de grève en anticipant sur les mécontentements qui pourraient naître des mesures gouvernementales actuelles et à venir. Comme la Cgt l’a affirmé depuis le début, la politique du gouvernement vise à une restriction du droit de grève de grande ampleur dans notre pays.

L’allongement des périodes de préavis (pouvant aller jusqu’à 18 jours) est, comme nous l’avons déjà dit, destinée uniquement à empêcher les salariés de déclencher un conflit sur des questions touchant soit à l’entreprise, soit à des questions plus larges, notamment inter professionnelles.

La déclaration préalable du salarié, que nous interprétons comme un véritable préavis individuel, est plus destiné à identifier les éventuels grévistes et à faire pression sur eux qu’à améliorer la prévisibilité. Elle remet en cause la possibilité pour un salarié de se déterminer à tout moment en fonction de la totalité des événements survenus au cours des grèves.

Elle rend inutiles les 2 derniers jours d’une éventuelle négociation puisque la position des salariés se retrouve figée et fait fi de toute évolution favorable ou défavorable de la situation sur la question qui est à l’origine du préavis. De plus, le déséquilibre existant entre ceux qui auront fait cette déclaration, et les autres, passibles de sanctions, risque d’avoir des effets pervers de sur-déclarations rendant inopérant une quelconque tentative de prévisibilité reposant sur ces données.

La consultation au bout de 8 jours portant sur « la poursuite de la grève », éclairée par la dernière phrase du point II de l’Article 6 (« son résultat n’affecte pas l’exercice du droit de grève »), ne peut être interprétée que comme un moyen de pression pour tenter d’arrêter un conflit en cours. C’est une attaque frontale contre le droit de grève, droit individuel s’exerçant dans un cadre collectif. De plus, cela risque d’augmenter notablement les tensions existantes dans des entreprises où, au bout de 8 jours de conflit, aucune solution négociée n’a encore été trouvée. Nous rappelons qu’après les conflits, la vie normale de l’entreprise doit retrouver ses droits. Par expérience, la sortie de conflits par des artifices et des pressions rend la reprise du travail, dans des conditions les moins dégradées possibles, très hasardeuse et peut laisser des traces indélébiles difficiles à résoudre dans le futur.L’Article 13 engage plus avant, en anticipant des mesures législatives nécessaires à la mise en œuvre d’un dispositif de continuité dans les autres modes de transports publics de voyageurs (maritime, aérien, ...), une attaque généralisée contre le droit de grève dans l’ensemble des transports d’abord puis dans les autres services publics et les autres entreprises. Nous réaffirmons donc que cette loi est hypocrite, parce qu’elle trompe les français sur ses véritables objectifs, inutile parce qu’elle ne répond aux préoccupations des usagers et des salariés , dangereuse parce qu’elle attaque le droit constitutionnel de grève.


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