Les examens scolaires, cette escroquerie méritocratique

vendredi 11 septembre 2020.
 

Au Royaume-Uni, les vacances estivales ont été marquées par un fiasco lié aux résultats du bac, revus à la baisse par un algorithme pour les adolescents les moins favorisés. Selon ce journaliste conservateur, il est temps de retirer leur importance aux notes, qui en disent moins sur les compétences que sur le milieu social des élèves.

Nous vivons dans une société malade des examens. Comme l’a si bien démontré le récent scandale des notes du baccalauréat britannique [annulé à cause de la pandémie, mais dont les résultats ont été tout de même donnés, déterminés par un algorithme qui a pénalisé les élèves des zones les moins favorisées], les examens sont devenus une obsession nationale et malsaine. Car dans une société méritocratique telle que la nôtre, les examens revêtent un caractère presque sacré. Nous avons besoin de croire que notre système est juste et qu’il permet de récompenser les étudiants les plus brillants. Les examens, qui gratifient d’un A les plus intelligents d’entre nous et d’un E les plus médiocres, nous permettent de continuer à croire en cette illusion si rassurante.

Le système moderne occidental, dit méritocratique, fondé sur les examens, est une réponse insatisfaisante au précédent système de promotion sociale fondé sur la richesse et les relations personnelles. Dans les années précédent la Seconde Guerre mondiale, l’université Yale admettait 90 % des candidats qui souhaitaient s’y inscrire. Si vous étiez issu du bon milieu social et que vous sortiez de la bonne école, votre place était quasiment assurée. À la fin des années 1950, un ancien élève d’une école privée prestigieuse expliquait que “tous nos camarades de notre classe ont reçu une réponse positive à leur premier choix d’université, à l’exception d’un que l’on soupçonne d’être atteint de retard mental”.

Des millions de dollars dans l’éducation des rejetons

Après la guerre, le système éducatif a été réformé de manière à récompenser les étudiants les plus intelligents, et non les plus riches. Les bourses d’Oxford réservées à quelques élèves issus de certaines écoles privées ont été supprimées. Au lieu d’accepter les candidats les plus fortunés, les universités accepteraient désormais les plus capables. Et la manière la plus pratique de mesurer leurs mérites était les résultats aux examens. La concurrence devint incroyablement rude pour les places dans les meilleures universités britanniques et américaines. Aujourd’hui, seuls 6,3 % des dossiers de candidature sont acceptés à Yale et 17,5 % à Oxford

Toutefois, ainsi que l’explique Daniel Markovits, professeur à Yale, dans son livre The Meritocracy Trap [“Le piège de la méritocratie”, non traduit], ce système a créé un nouveau problème. Une élite de familles riches et éduquées a commencé à consacrer des millions de dollars à l’éducation de ses rejetons : l’accès à des cours privés, la possibilité de payer des frais de scolarité élevés et le soutien scolaire indéfectible des parents augmente grandement les chances de succès des enfants aux examens. C’est pourquoi, ainsi que l’a inopinément montré l’algorithme de notation britannique, vos résultats aux examens en disent à peu près autant sur votre classe sociale que sur votre niveau d’intelligence.

Les élites se rassurent sur leur intelligence supérieure

Sauf qu’à la différence des anciennes élites, qui savaient devoir leur place privilégiée à leur rang social et à leur naissance, les “méritocrates” d’aujourd’hui se rassurent en se disant qu’ils ne doivent leur position élevée qu’à leur intelligence supérieure. Après tout, leurs notes le prouvent.

En réalité, les fractures sociales liées à la méritocratie des examens sont visibles à tous les niveaux. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, votre niveau d’éducation est un indice extrêmement fiable pour prévoir pour quel parti vous allez voter et l’éducation elle-même est un enjeu politique. L’alliance d’une bonne éducation et d’un libéralisme prospère a conduit de nombreux Britanniques de la classe ouvrière à rejeter l’autorité des experts et des élites et à voter pour le Brexit. Tandis que les opposants au Brexit, plutôt citadins, ont quelque peu tendance à croire que leurs diplômes leur confèrent une forme de supériorité intellectuelle, voire morale.

Une évaluation à un instant précis devient un jugement définitif

La note – bonne ou mauvaise – apposée sur un document officiel délivré par un jury d’examen financé par le gouvernement crée en nous une fausse certitude. Pour la plupart d’entre nous, c’est l’une des rares occasions dans notre vie où notre personnalité fait l’objet d’un jugement officiel. C’est pour cette raison que nous avons tendance à exagérer sa signification. Un résultat d’examen – qui mesure un aspect particulier de notre intelligence à un moment donné – devient un jugement de notre intelligence globale, voire de notre valeur en tant que personne.

L’idée est séduisante quand vous avez passé votre vie à réussir aux examens, comme c’est le cas de la plupart des personnes aujourd’hui aux commandes de la société. L’inflation galopante des notes à l’école et à l’université semble au moins en partie motivée par la croyance que l’obtention de la bonne combinaison de lettres et de chiffres transformera votre CV en véritable sésame et que tout se passera bien pour vous.

Des diplômes de moins en moins utiles

Naturellement, les écoles ont remarqué cette récente obsession pour les notes et nombre d’entre elles se sont converties en usines à bachotage. Le quotidien des familles de la classe moyenne est centré sur la réussite aux examens ; les parents éduqués consacrent deux fois plus de temps à encourager l’éducation de leurs enfants que dans les années 1960 ou 70. Le problème étant que les examens sur lesquels se concentrent les écoles et les familles ont de moins en moins de pertinence pour la vie réelle.

Les employeurs se plaignent régulièrement de l’inutilité de compétences comme le par cœur, qui sont inculquées à des enfants dressés à réussir aux examens. Résultat : l’intérêt d’avoir un diplôme s’est drastiquement réduit pour 19 % des étudiants nés en 1970 et pour 11 % de ceux nés en 1990. Quant aux matières littéraires, censées avoir quelques résonances existentielles, elles ont fait l’objet d’une professionnalisation frôlant le charlatanisme. Pour nombre d’enfants, cette obsession du rituel quasi ésotérique des examens n’a fait que rendre l’école et leur existence plus étouffantes et ennuyeuses.

À moins d’en revenir à l’attribution des places d’université en fonction du rang aristocratique, les examens ne sont pas près de disparaître. Ils constituent une réalité de la vie moderne. Mais il n’est pas nécessaire d’en faire un élément aussi central. Les notes attribuées aux étudiants britanniques seront arbitraires et injustes, qu’elles soient décidées par un algorithme ou non.

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James Marriott


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