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A sa sortie en 2021, le livre de Jérémie Foa, Tous ceux qui tombent. Visages du massacre de la Saint-Barthélemy, avait attiré l’attention. Et c’était légitime. Outre sa qualité d’écriture, l’historien ne nous proposait pas « une autre histoire de la Saint-Barthélemy (mais) une histoire des autres dans la Saint-Barthélemy », comprenez une histoire délaissant Catherine de Médicis, Gaspard de Coligny, le duc de Guise ou Charles IX, pour leur préférer de bien plus anonymes : Thomas Croizier, Nicolas Aubert ou Claude Chenet.
Nous sommes en 1572, et depuis une décennie, le royaume de France vit au rythme des affrontements entre élites catholiques et protestantes. Le 18 août, Paris a vu s’unir Henri III de Navarre, prince et protestant, avec la sœur du roi de France, catholique : l’heure semble à la réconciliation. Mais le 22, Coligny, « chef militaire des protestants est arquebusé ». Catherine de Médicis est-elle à l’origine de cet attentat ? Le mariage n’avait-il qu’un seul but : faire de Paris une souricière pour la noblesse protestante ? Ou bien, Catherine de Médicis s’est-elle fait doubler par les catholiques les plus radicaux ? Le 24 au matin, les chefs protestants, venus pour assister au mariage, sont liquidés et, dans la foulée, plus de 3000 protestants sont tués à Paris. Au total, plus de 10000 partisans de la « nouvelle opinion » ont ainsi été massacrés.
Jérémie Foa ne rouvre donc pas le dossier de la duplicité de Catherine de Médicis. Il s’est intéressé aux milliers de vies anonymes, celles des tueurs comme celles des victimes, passées au fil de l’épée, mutilées et jetées dans la Seine. Pour cela, il s’est plongé dans les archives notariales comme dans les registres d’écrou de la prison de la Conciergerie pour tenter de comprendre comment, au 16 siècle, un tel massacre a-t-il été techniquement possible.
A la lecture, on pense inévitablement au génocide des Tutsis rwandais. Au pays des mille-collines, le pouvoir soutenu par la France a organisé tout d’abord le pogrom des Tutsis et des opposants hutus les plus en vue, puis, il s’est appuyé sur ses relais locaux pour débusquer les « cafards » à écraser. En ce mois d’août 1572, c’est la milice parisienne, autrement dit des bourgeois qui, sans l’aval du pouvoir central mais avec l’appui de nobles haut placés, prend en mains l’épuration de la ville de ses huguenots, notamment les riches. Croizier, Aubert, Chenet font partie de ces massacreurs qui savent où se nichent les ennemis du pape. Pourquoi ? Parce que depuis une décennie, ils n’ont cessé de les arrêter, harceler, rançonner : ils connaissent leur visages aussi bien que leurs adresses ; « la persécution légale des huguenots (fut) la répétition générale de la nuit de la Saint-Barthélemy », et les protestants se sont sans doute habitués à ces vexations régulières. Jérémie Foa le rappellent plusieurs fois : « La Saint-Barthélemy est un massacre de proximité, perpétré par des voisins sur leurs voisins (…) préparé sans être prémédité ». Mais pas n’importe quel voisin : ce n’est donc pas une foule enivrée qui réclame que le sang coule, mais les bourgeois dévots de la milice qui « décide, qui oriente, qui aiguillonne le massacre ». Chacun a son quartier : c’est là où l’on tue et là où on s’accapare les biens des victimes. Le même schéma se reproduira ailleurs, à Lyon, Orléans, Bordeaux ou à Toulouse : on tue pour Dieu, évidemment, mais aussi pour l’argent ou pour accomplir une vengeance personnelle. Et le crime a payé : « tous les assassins ou presque sont morts dans leur lit, écrit Jérémie Foa, de belle mort, gâtés d’honneurs et d’argent ».
Christophe Patillon
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