Enquête libyenne validée : le temps des tempêtes pour le clan Sarkozy

mardi 29 septembre 2020.
 

La cour d’appel de Paris a validé, jeudi 24 septembre, la procédure des financements libyens. Les juges ont désormais le champ libre pour poursuivre leurs investigations dans une affaire d’État hors norme, qui vaut déjà à Nicolas Sarkozy et deux de ses anciens ministres d’être mis en examen.

C’est une mauvaise nouvelle judiciaire – une de plus – pour le clan Sarkozy. En validant, jeudi 24 septembre, la procédure du dossier des financements libyens, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris laisse désormais aux juges Aude Buresi et Marc Sommerer le champ libre pour poursuivre leurs investigations dans une affaire d’État hors norme, qui vaut déjà à l’ancien président de la République et deux de ses ministres d’être mis en examen.

La plupart des mis en cause, dont l’ex-chef de l’État Nicolas Sarkozy ou l’ancien ministre de l’intérieur Claude Guéant, tous deux mis en examen notamment pour « corruption », contestaient devant la cour d’appel la validité de l’enquête judiciaire, excipant d’innombrables arguments de forme et de vices de procédure.

Suivant les réquisitions de l’avocat général Serge Mackowiak, la chambre de l’instruction, organe de contrôle des enquêtes menées par des juges d’instruction, a fait litière des principaux arguments avancés par l’ancien président et son premier cercle, qui demandaient par exemple que les magistrats soient dessaisis du dossier au profit de la Cour de justice de la République (CJR) ou que tous les actes reprochés à Nicolas Sarkozy après 2007 soient annulés pour cause d’immunité présidentielle.

« On voit bien que le corporatisme judiciaire existe parce que dans un dossier ni fait ni à faire qui est un scandale […] la chambre de l’instruction vient de couvrir des nullités de procédures qui montrent qu’il n’y a plus de code de procédure pénale en France », s’est ému à la sortie de l’audience Me Francis Szpiner, avocat de l’intermédiaire sarkozyste Alexandre Djouhri, qui contestait de son côté la validité d’un mandat d’arrêt qui l’a visé pendant des années.

Désormais maire LR du XVIe arrondissement de Paris, Me Szpiner s’est lui-même retrouvé au cœur d’un conflit d’intérêts en marge du dossier libyen, obligeant l’Ordre des avocats de Paris à intervenir.

D’après plusieurs sources concordantes, la cour d’appel a seulement annulé l’un des motifs de l’une des trois mises en examen de Nicolas Sarkozy – le financement illicite de campagne – en lien avec une disposition particulière du code électoral (l’article 52-7-1). Les conséquences de cette seule décision de la cour d’appel favorable à l’ancien président sont encore très floues, mais apparaissent comme « tout à fait mineures », d’après une source judiciaire.

Cette (toute petite) victoire procédurale de l’ancien président ne devrait pas avoir pour conséquence l’annulation de sa mise en examen pour « financement illicite de campagne électorale », mais simplement l’impossibilité pour les juges de faire mention en procédure de l’un des articles du code électoral constitutifs (avec d’autres) de l’infraction présumée.

Nicolas Sarkozy, qui dénonce régulièrement un « complot » derrière cette enquête, est par ailleurs mis en examen pour « corruption » et « recel de détournement de fonds publics libyens » dans cette même affaire.

L’enquête des juges parisiens Aude Buresi et Marc Sommerer – et, avant eux, Serge Tournaire, parti au tribunal de Nanterre – ressort totalement confortée par cette décision de la cour d’appel, qui vient doucher les espoirs de la Sarkozie de mettre un coup de frein, si ce n’est un terme aux investigations. Les mis en cause ont toujours la possibilité de saisir la Cour de cassation.

Nicolas Sarkozy profitait depuis des mois de sa requête devant la cour d’appel de Paris pour refuser de répondre aux questions des juges qui, deux ans après sa triple mise en examen consécutives à deux jours de garde à vue dans les locaux de la police anticorruption, n’ont toujours pas pu l’interroger comme bon leur semble.

Par le passé, Nicolas Sarkozy avait déjà tenté de discréditer l’affaire libyenne en accusant Mediapart d’avoir publié un faux document issu des archives du régime Kadhafi. La justice lui a donné tort à trois reprises, jusque devant la Cour de cassation.

Désormais, l’ancien président va avoir beaucoup plus de mal pour se dérober et ne pourra plus faire comme les trois singes qui se cachent les yeux, les oreilles et la bouche. D’autant que ce qui pouvait ressembler à des manœuvres dilatoires de l’ancien président et de ses proches pour gagner du temps et ne pas répondre aux juges risque d’apparaître comme contre-productif au final. De fait, le temps gagné par le clan Sarkozy n’a pas été perdu pour les enquêteurs.

Outre tous les faisceaux d’indices recueillis depuis sept ans, l’enquête a ainsi permis d’établir ces derniers mois qu’un intime de Nicolas Sarkozy, son ancien collaborateur Thierry Gaubert, avait perçu en février 2006 près d’un demi-million d’euros d’argent libyen sur un compte secret logé aux Bahamas. L’argent a transité par une société offshore de l’intermédiaire Ziad Takieddine, très proche de la Sarkozie depuis le milieu des années 1990 et du gouvernement d’Édouard Balladur (voir ici).

Thierry Gaubert a par la suite retiré, en France, au moins 200 000 euros en cash.

À la suite de ces découvertes, Thierry Gaubert et Nicolas Sarkozy avaient fait savoir par l’intermédiaire du Journal du dimanche qu’ils n’avaient plus « le moindre contact depuis 1996 ». En perquisitionnant début 2020 l’appartement de Thierry Gaubert à Neuilly-sur-Seine, les policiers ont découvert les preuves (lettres, invitations, cadeaux, etc.) que les deux hommes n’avaient en réalité jamais cessé d’échanger.

Interpellé et placé en garde à vue, Thierry Gaubert a été mis en examen pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation de délits punis de dix années d’emprisonnement et notamment ceux de détournements de fonds publics ainsi que de corruptions active et passive d’un agent public ». Placé sous contrôle judiciaire, il a interdiction d’entrer en contact avec « les coauteurs ou complices de l’infraction », au premier rang desquels se trouve Nicolas Sarkozy, selon un document judiciaire consulté par Mediapart.

Ce récent volet de l’affaire libyenne, qui laisse entrevoir une possible nouvelle mise en cause pour Nicolas Sarkozy, vient s’ajouter à tous ceux qui dessinent déjà les contours d’une affaire d’État hors du commun, avec des présumés flux d’argent occulte consentis par le régime Kadhafi au profit – politique et personnel – du clan Sarkozy avant et après l’élection présidentielle de 2007 (voir notre dossier complet).

En contrepartie, Nicolas Sarkozy est soupçonné d’avoir servi les intérêts de la dictature libyenne contre toute rationalité étatique, d’abord au ministère de l’intérieur puis à l’Élysée.

Ces contreparties envisagées par l’enquête sont de cinq ordres : 1) vente d’un système d’espionnage via une société proche du cabinet Sarkozy à la dictature libyenne ; 2) tentative de blanchiment judiciaire d’Abdallah Senoussi, chef des services secrets libyens condamné comme commanditaire de l’attentat contre le DC-10 d’UTA, que Brice Hortefeux et Claude Guéant ont rencontré secrètement à Tripoli en dépit d’un mandat d’arrêt international ; 3) la somptueuse visite offerte à Paris par Nicolas Sarkozy au tyran de Tripoli en décembre 2007 ; 4) des livraisons d’armes pour la Libye ; et 5) des promesses de nucléaire contre l’avis du géant français Areva.

Nicolas Sarkozy, comme tous les autres mis en examen, conteste toute malversation.

L’affaire libyenne n’est pas la seule plaie judiciaire pour l’ancien chef de l’État. Il doit être jugé en novembre prochain, pour « corruption » notamment, dans l’affaire « Bismuth ». Un autre procès d’ampleur l’attend en mars et avril 2021 s’agissant du financement de sa campagne de 2012 dans le scandale Bygmalion.

Nicolas Sarkozy n’aborde aucune de ces affaires dans son dernier ouvrage, qui a pour titre : Le Temps des tempêtes (Édition L’Observatoire).


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