LPR : Une loi livrant la Recherche au modèle libéral

dimanche 4 octobre 2020.
 

par Clément Fradin

La « Loi de programmation de la recherche » (LPR) commence son parcours parlementaire. La ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche (ESR), Frédérique Vidal, aura beau avoir chanté tout l’été les louanges de cette loi « historique », avançant le chiffre mirifique des 25 milliards investis en 10 ans, elle n’en rencontre pas moins de franches oppositions. Ce texte, longtemps tenu secret, avait suscité un tir de barrage de la communauté scientifique française à l’automne 2019 quand avaient été envoyés les premiers ballons d’essai, plus provocants les uns que les autres. Ainsi, à l’occasion des 80 ans du CNRS, institution-phare de l’excellence française en recherche, aujourd’hui malmenée, le Président Macron avait formé le souhait que l’évaluation des chercheurs aboutisse à une « différenciation » entre bons et « mauvais », ces derniers devant en « assum[er] les conséquences » mais c’est surtout une tribune volontairement polémique du PDG du CNRS, Antoine Petit, qui avait mis le feu aux poudres puisqu’il affirmait vouloir une « loi ambitieuse, inégalitaire – oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne ».

Ces annonces avaient pour but d’attirer une opinion sensible à une société libérale où les talents individuels (grands scientifiques) sont corrélés aux réussites sociales ou institutionnelles (direction de laboratoires ou d’institutions de recherche, financements généreux censés avoir été gagnés à la loyale dans une concurrence « libre et non faussée », etc.), elles-mêmes décidant de la créativité ou de la productivité d’un chercheur. Mais la science, entendue comme la communauté des scientifiques, avance au contraire dans un esprit d’égalité et de discussion (parfois violente) entre pairs, de liberté.

Les syndicats ont été écartés lors de l’écriture du texte en 2019 et les rares voix critiques présentes dans les groupes de travail ont été méprisées. Il en est allé de même des avis des instances paritaires, cet été, une fois le texte de loi connu. Le Conseil économique social et environnemental a critiqué la trajectoire budgétaire envisagée, qui maintient pour 2021 et 2022 un niveau d’investissement quasi-constant. Il s’est demandé si « on peut soigner un système avec les outils qui l’ont rendu malade », c’est-à-dire sans recruter plus de statutaires, et a estimé que la mise en avant de la recherche privée dans ce texte manquait « de vision offensive et stratégique ». Pour ces experts, les mesures envisagées, en perpétuant le Crédit impôt recherche, permettent avant tout aux grandes entreprises une défiscalisation improductive scientifiquement. Mieux, le Conseil d’État a pointé pour sa part l’incohérence d’une loi de programmation annoncée pour les années « 2021 à 2030 » dont les volets de financement les plus importants sont prévus pour les dernières années.

Contre statuts et libertés académiques

Cette loi est dans le droit fil des réformes engagées par les gouvernements de droite et PS en particulier depuis 2007 avec le passage à « l’autonomie » des universités (lois Pécresse, dites « LRU »), puis l’atteinte à la démocratie dans les universités (lois Fioraso en 2013) et l’« Orientation pour la réussite des étudiants » (2018) qui a introduit une sélection à l’entrée de l’université avec Parcoursup et continue surtout de différencier les universités entre rétention et universités de recherche ou d’excellence. Cette LPR attaque les statuts et les libertés académiques.

Ainsi, les « CDI de mission scientifique » et les « Chaires de professeur junior », prévus dans la loi, contribuent à la contractualisation galopante dans l’ESR et accompagnent la précarisation des parcours dans un milieu très lourdement frappé par une baisse des recrutements. Les premiers permettent de contourner la cédéisation obligatoire des contrats précaires de plus de six ans en créant des conditions de rupture particulièrement souples et favorables aux employeurs (les grandes institutions de recherche). Les seconds créent des CDD de 3 ou 6 ans ouvrant à une titularisation dans le corps des directeurs de recherche ou de professeurs des universités, contournent le principe du recrutement sur concours dans la fonction publique en évitant aussi le passage devant l’instance nationale paritaire garante de la qualité des travaux produits (le Conseil national des universités). Ils accroissent également la période d’emploi non permanent des docteurs.

En dérogeant au recrutement statutaire ces dispositifs renforcent la précarité dans l’ESR, multipliant les statuts et créent des concurrences, néfastes sur le plan humain et de la recherche. Dans un contexte marqué depuis plusieurs années par la pénurie de moyens humains (recherche et enseignement) et financiers, la LPR aggrave les inégalités dans les dotations aux laboratoires et aux chercheurs à travers deux dispositifs, l’un d’évaluation, avec une importance accrue accordée au Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur et l’autre d’arbitrage budgétaire, l’Agence nationale de la recherche qui juge les projets et attribue les crédits afférents. Plutôt que de donner à chacun les moyens de sa recherche, ces mesures renforcent donc la bureaucratisation et les inégalités entre unités et chercheurs, introduisant un modèle concurrentiel fondé sur l’évaluation bibliométrique (le nombre de publications par chercheur) qui va à l’encontre de l’idée française de recherche publique de très haute qualité née après-guerre.

Et maintenant ? Sortir du défensif

Tous ces éléments dressent un sombre tableau l’avenir de la Recherche. À cela il faudrait ajouter les oublis de la LPR sur la situation des femmes dans l’ESR et l’absence de réflexion sur la vie étudiante. La situation de l’ESR à l’horizon 2022 invite donc au pessimisme. Heureusement, les signaux de résistance envoyés par la communauté scientifique et universitaire montrent une conscientisation qui progresse, même s’il est indéniable que de nombreux chercheurs et enseignants-chercheurs sont tout à fait en accord avec le modèle d’organisation de l’ESR promu par la LPR et les lois qui l’ont précédée. Les appuis ne manquent pas, les oppositions non plus, il faut cependant proposer une issue alternative crédible qui ne soit pas un simple retour en arrière.

Si les questions d’emploi et de statuts font consensus dans notre camp, une politique progressiste et humaniste des sciences ne devra pas seulement garantir les libertés académiques dans leurs formes préexistantes. Elle devra imposer une réelle démocratisation des institutions de recherche en veillant à y associer les citoyens alors même que le défi écologique, complètement absent des motifs de la LPR, assigne aux scientifiques, toutes disciplines confondues, une tâche que seul le temps long d’une recherche ouverte et intègre, délivrée de la pression utilitariste de l’idéologie de « l’innovation », permettra d’accomplir sereinement. Cela passera nécessairement par une large éducation populaire à une réelle culture scientifique, donc par une ouverture toujours plus grande des universités, aujourd’hui asphyxiées, à toutes et tous.

Clément Fradin


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