Sécessionistes et gros pollueurs, les riches sont les séparatistes de la République

vendredi 9 octobre 2020.
 

La situation sanitaire se dégrade, les plans sociaux se succèdent, les inégalités et la pauvreté augmentent, le dérèglement climatique montre chaque jour ses effets… mais Emmanuel Macron et son gouvernement préfèrent stigmatiser les immigrés et les personnes de confession musulmane, et pointer du doigt les « séparatistes ».

Or, qui sont les vrais séparatistes ? Une multitude de travaux montrent qu’aujourd’hui ce sont les très fortunés. Qui font sécession du reste de la société à la fois spatialement, fiscalement, économiquement et sur le plan écologique.

De nombreux travaux sociologiques mettent en évidence un processus de ségrégation résidentielle par le biais du prix élevé des habitations dans les quartiers favorisés, qui permet un voisinage homogène, recherché notamment pour la socialisation des enfants. Dès 2004, l’économiste Éric Maurin [1] mettait en évidence une « ghettoïsation par le haut » : les cadres supérieurs « s’accaparent désormais des pans entiers de l’espace urbain, notamment les centres-villes, les beaux quartiers et les zones les plus proches des principaux équipements ».

« Une des formes extrêmes de la ségrégation territoriale »

Les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot [2] estiment même qu’« aucun autre groupe social n’est ainsi confiné dans un ghetto, doré et volontaire », parfois véritable hameau totalement privé, comme la villa Montmorency, dans le XVIe arrondissement parisien.

Cela conduit à une perte de mixité sociale. Et même, pour l’économiste Éric Maurin, à l’« une des formes extrêmes de la ségrégation territoriale » : « Au fur et à mesure qu’elles gagnent en importance, les classes supérieures repoussent les classes moyennes vers les périphéries, des communes et des quartiers entiers perdant peu à peu leur dernier semblant de mélange social. » Les « ghettos d’immigrés » ne sont donc pas le résultat d’une volonté de ces populations ou d’une logique communautariste, mais s’expliquent par le fait que ces populations ne peuvent pas habiter ailleurs.

Ce séparatisme spatial se traduit notamment par une ségrégation scolaire, « avec un choix de plus en plus fréquent des catégories favorisées pour l’enseignement privé », selon la fondation Jean-Jaurès, qui note que, dans les écoles privées, « la proportion des enfants de familles favorisées y est désormais deux fois plus importante (36 %) que dans le public (19 %) ».

Alors qu’Éric Maurin dénonçait « l’impuissance des politiques successives à enrayer le phénomène » de ghettoïsation, Emmanuel Macron préfère faire diversion en stigmatisant les populations vivant dans les quartiers populaires. Ne serait-il pas plus efficace de s’attaquer à cette ségrégation spatiale, qui renforce les inégalités dans la mesure où elle conditionne l’accès équitable à des ressources diverses, telles que l’école, la possibilité d’avoir un emploi, d’accéder à des lieux de détente et de loisirs… ?

Les riches font sécession en échappant à l’impôt Il est largement démontré que l’évasion fiscale est un sport de riches. Ainsi l’étude menée par l’économiste Gabriel Zucman dans les pays scandinaves montre que si, en moyenne, 3 % des impôts dus ne sont pas acquittés en raison de l’évasion fiscale, plus on est riche et plus cette part augmente, jusqu’à s’élever à 30 % pour les 0,01 % des ménages les plus aisés [4] !

Alors que les discours de la macronie tentent de faire passer certaines parties de la population pour de « mauvais Français », voire des ennemis de l’intérieur, la fondation Jean-Jaurès explique que « le processus de séparatisme social […] se traduit également par le fait que le sentiment de solidarité, mais aussi de responsabilité à l’égard de l’ensemble de la société — qui incombe traditionnellement aux élites selon le principe de l’adage “Noblesse oblige” — s’étiole progressivement. De nombreux membres des catégories les plus favorisées éprouvent aujourd’hui davantage d’affinités avec les personnes d’autres pays de niveau social équivalent qu’avec leurs concitoyens plus modestes. Pour une partie de l’élite sociale, le cadre national est aujourd’hui obsolète et le lien au pays n’est plus fondamental. C’est dans ce contexte que l’on peut analyser la très forte hausse des expatriations », notamment en Suisse ou au Luxembourg.

Les riches multiplient donc les dispositifs pour échapper à l’impôt, bien aidés en cela par les banques et cabinets d’affaires. Ils peuvent aussi s’offrir des visas dorés — plus de 165 pays les proposent — ou même acquérir la citoyenneté, comme au Portugal ou à Chypre, moyennant paiement comptant ou un investissement important dans le pays.

Actuellement ce n’est pas la crise pour tout le monde Plutôt que de lutter contre cette sécession des riches, le gouvernement a multiplié les cadeaux fiscaux, en transformant l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune) en IFI (impôt sur la fortune immobilière), en instaurant la « flat tax » ou encore en supprimant l’« exit tax ». L’Insee confirme que les 5 % de Français les plus aisés sont les grands gagnants des politiques fiscales menées par le « président des riches », tandis que les plus pauvres ont vu leur pouvoir d’achat altéré par la baisse des APL (aides personnalisées au logement).

Un récent rapport d’Oxfam montre qu’actuellement ce n’est pas la crise pour tout le monde : 32 entreprises, parmi les plus grandes multinationales de la planète, devraient enregistrer en 2020 une hausse spectaculaire de leurs bénéfices, soit 109 milliards de dollars de plus que leur bénéfice moyen réalisé au cours des quatre années précédentes. Reversés à de riches actionnaires, ces bénéfices alimenteront les inégalités mondiales.

Le cas des Mulliez n’est pas des moins choquants. Alors que leur fortune familiale est estimée à 26 milliards d’euros en 2020 et que le taux de rentabilité d’Auchan, l’enseigne phare des Mulliez [5], a bondi de 79 % au premier semestre 2020, le groupe Auchan vient d’annoncer la suppression de 1.475 postes en France. Il a pourtant perçu 500 millions d’euros de crédit d’impôt compétitivité emplois (CICE) ces sept dernières années. L’entreprise a par ailleurs été épinglée dans le scandale dit des « Malta Files » : en domiciliant à Malte ses activités d’assurances, elle a fait perdre à l’État français près de 8 millions d’euros d’impôts pour l’année 2017.

« Ce modèle culturel de consommation qui imprègne toute la société et en définit la normalité » Dans Comment les riches détruisent la planète, Hervé Kempf montre comment une classe dirigeante prédatrice et cupide fait obstacle au changement de cap qui s’impose : à la fois directement, « par les puissants leviers — politiques, économiques et médiatiques — dont elle dispose et dont elle use afin de maintenir ses privilèges », mais aussi, indirectement, « par ce modèle culturel de consommation qui imprègne toute la société et en définit la normalité ». Le fondateur [et rédacteur en chef] de Reporterre dénonce ainsi « la consommation outrancière de yachts, d’avions privés, de résidences immenses, de bijoux, de montres, de voyages exotiques, d’un fatras clinquant de dilapidation somptuaire ».

Hervé Kempf explique aussi qu’en France chaque personne appartenant aux 1 % les plus riches émet plus de 160 tonnes de gaz à effet de serre par an, contre 4 par personne du groupe des 10 % les plus pauvres. Ce que confirme un récent rapport d’Oxfam, qui révèle que, entre 1990 et 2015, les 1 % les plus riches sont responsables à eux seuls de 15 % des émissions cumulées, soit deux fois plus que la moitié la plus pauvre de la population mondiale. Qui subit, outre la pauvreté, les nuisances et pollutions des usines : ni les incinérateurs ni les usines Seveso ou autres ne se trouvent dans les quartiers riches.

N’en déplaise aux islamophobes, les vrais séparatistes, ce sont les riches ! Face au projet ignoble du gouvernement, Attac va donc multiplier dans les prochaines semaines des actions pour ne pas laisser stigmatiser injustement une partie de la population et mettre en évidence là où se situe le véritable séparatisme.


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