Religion et liberté de conscience

vendredi 6 novembre 2020.
 

Après l’affreuse séquence liée au meurtre de Samuel Paty il y a eu les trois assassinats dans la cathédrale de Nice. Je me suis exprimé sur ce drame en ouverture de mon discours à l’Assemblée nationale contre la confiance demandée par le Premier ministre Jean Castex. « Je veux en tout premier lieu exprimer au nom de tous les insoumis de France nos condoléances affligées et horrifiées aux familles des victimes. Mais aussi, et je veux le souligner, notre totale solidarité avec les catholiques de France, menacés dans la pratique de leur foi. » ai-je dit, avant de préciser : « Il est significatif qu’en France, après la liberté de savoir, ce soit la liberté du culte qui soit attaquée car je voudrais rappeler que la laïcité en France est l’héritière d’une bataille implacable pour la liberté du culte ».

Comme la phrase a surpris, j’en donne la référence historique. Les guerres de religions ont opposé en France comme dans toute l’Europe les catholiques et les protestants. Avant cela, les juifs furent persécutés de toutes les façons possibles sans que cela ne provoque d’émotion particulière. Aucun pays n’a trouvé le moyen de concilier les croyances qui partageait sa population. Cela parce que le pouvoir monarchique ou princier prétendait tirer sa légitimité de Dieu lui-même. Cela ne pouvait coïncider avec le doute sur sa nature ou les rites à lui rendre.

Après bien des tentatives de régler cela par des massacres, chacun trouva son point d’équilibre armé dans une règle simple : « les sujets ont la religion de leur prince » (ejus regio cujus religio). Dans les États allemands, l’ajustement se fit par le déménagement des uns et des autres dans la principauté correspondant à sa foi. En Espagne par le massacre méthodique des noyaux de réformés. Mais en France tout échoua. Le meurtre de masse commencé avec la Saint-Barthelemy (1572) même imité dans bien des villes ne résolut rien. L’Édit de Nantes signé par le roi Henri IV permit une pause. Il s’en fallu de peu qu’il ne soit pas roi puisqu’il était d’abord protestant avant de se convertir (« Paris vaut bien une messe »). Comme avant lui le roi Henri III, il le paya de sa vie sous le couteau d’un fanatique.

Mais la trêve fut assez vite rompue par le roi Louis XIII et la reconquête des « places de sûreté » concédées aux protestants comme La Rochelle. Pour autant, ni lui ni Richelieu ne songèrent à abolir l’Édit de Nantes. C’est le roi louis XIV qui l’a fait. Il s’est alors lancé dans une croisade ouverte contre les protestants dont l’épisode le plus douloureux est sans doute la conversion forcée des protestants cévenols. On voit toujours la statue équestre du roi à Montpelier tournée vers les Cévennes, monument à la gloire de cette abominable croisade. Pour autant ceux-ci ne cédèrent point. Les femmes cévenoles arrêtées et « emmurées » à Aix sont le symbole de cette résistance acharnée. Elles ne furent graciées qu’en fin de vie et par pitié.

Si la lutte était aussi implacable c’est parce que le roi de France prétendait l’être par « la grâce de Dieu ». Comme le sont tous les pouvoirs sans légitimité populaire. Francisco Franco aussi, se disait « caudillo de España pour la gracia de Dios » sur chaque pièce de monnaie. La revendication de la liberté du culte ne pouvait se résoudre dans le cadre de la référence religieuse dogmatique de la religion dominante.

De cette contradiction absolue est née le concept de liberté de conscience comme droit fondamental de la personne humaine. Cette idée est absolument spécifique. Elle ne se confond pas totalement avec l’idée du « libre arbitre » reconnue par certaines religions. En effet cette dernière ne concerne que la capacité de choisir entre le bien et le mal. Mais elle ne dit pas comment reconnaitre l’un et l’autre autrement qu’en se référant à la loi religieuse. Oui mais laquelle ? L’affaire tourne en rond. Les philosophes des lumières puis la révolution de 1789 ont opté que la liberté de conscience était la seule source de la légitimité des croyances au sens large du terme et la loi est la seule borne du bien et du mal dans l’ordre civil. En ce sens, la liberté du culte est à la racine de la lutte pour la liberté de conscience et de la victoire de cette idée.


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