"Olivier, causons, mais vite !" (lettre de José Bové parue dans Le Monde)

samedi 20 mai 2006.
 

Depuis une semaine, un débat s’approfondit sur la possibilité d’un "rassemblement anti-libéral". Pour information, nous mettons en ligne : aujourd’hui le point de vue de José Bové, demain marie Georges Buffet, après demain la direction de la LCR.

Il y a une semaine, Olivier Besancenot a proposé que nous "causions" de l’éventualité d’une candidature unitaire de la gauche "antilibérale", lors de l’élection présidentielle de 2007. Je lui réponds bien volontiers que je suis prêt à causer avec lui comme avec beaucoup d’autres, à la condition toutefois que nous parlions sans arrière-pensées et, surtout, sans préalables. L’unité est une démarche qui, pour réussir et rassembler vraiment, ne supporte pas les considérations tactiques. Elle suppose, en revanche, une volonté qui transgresse les intérêts respectables mais identitaires des formations politiques qui en seraient parties prenantes. L’enjeu, en effet, n’est pas tant une coalition qu’une dynamique électorale.

Où en sommes-nous ? Un an après la victoire du non au référendum sur la ratification du projet de Constitution européenne, et quelques semaines après la mobilisation populaire victorieuse contre le CPE, l’alternative est clairement posée. Doit-on se résigner à ce que nos gouvernants - fussent-ils de gauche - conduisent des politiques d’adaptation à la mondialisation libérale, avec tous les dégâts sociaux collatéraux que l’on connaît ? Ou peut-on, dans les urnes et dans la rue, imposer de nouvelles orientations dont le fondement soit de combattre réellement le chômage, de redonner espoir à toute une génération et d’en finir avec l’exclusion sociale ?

La campagne présidentielle qui s’ouvre est l’occasion d’en débattre pour toutes celles et tous ceux qui sont scandalisés par les parachutes dorés des patrons du CAC 40, qui refusent d’offrir comme seule perspective aux jeunes un avenir de précarité, qui imaginent une société plus solidaire et plus démocratique, bref qui souhaitent remettre le monde en mouvement. Ce débat, me semble-t-il, appelle deux démarches intimement liées. D’une part, il s’agit bien de discuter du fond des choses, autrement dit d’un projet politique qui rompe avec la logique économique libérale et productiviste de ces vingt-cinq dernières années. D’autre part, il est décisif de partager la discussion avec l’ensemble des acteurs du mouvement social et pas seulement avec les appareils politiques.

Le spectacle qu’offre le Parti socialiste, hélas, n’est pas de nature à faire oublier le 21 avril 2002 et ses tristes conséquences. L’unité retrouvée dans la bataille contre le CPE camoufle mal un grand questionnement programmatique. Les sondages les plus flatteurs ne peuvent faire office de projet de transformation sociale. Les socialistes, par exemple, sont-ils tous d’accord pour revenir au contrat unique de travail à durée indéterminée ? Sont-ils tous d’accord pour mettre en chantier une nouvelle République ? Sont-ils tous d’accord pour la régularisation de tous les sans-papiers ? Sont-ils tous d’accord pour prendre acte de la volonté populaire de construire une Europe sociale et démocratique ?

La gauche qui combat la mondialisation libérale, en revanche, paraît plus homogène sur les grands enjeux de 2007. Il faut naturellement le vérifier et le valider. Mais, de la Ligue communiste révolutionnaire jusqu’au Verts, en passant par le Parti communiste, les alternatifs et tous les acteurs des mouvements sociaux, il semble qu’il y ait un large consensus aujourd’hui sur un programme de rupture avec la logique du tout-marché, du tout-libéral. Nous sommes, en effet, à peu près tous d’accord pour proposer un plan d’urgence et d’intégration sociale pour les plus démunis, pour assortir le contrat de travail d’une sécurité sociale professionnelle tout au long de la vie, pour considérer que les salariés ne doivent plus nécessairement être la variable d’ajustement pour les actionnaires, pour réclamer la proportionnelle aux législatives et une profonde réforme des institutions, pour exiger que les prochaines élections européennes soient "constituantes", pour imposer un moratoire sur les OGM et le projet d’EPR.

Ce large consensus ne suffirait cependant pas à dynamiser une candidature unitaire qui ne serait pas portée par toutes les composantes du mouvement social. Je comprends bien que Marie-George Buffet s’imagine la mieux à même de fédérer la gauche du "non", qu’Olivier Besancenot rêve d’incarner la "gauche anticapitaliste" ou même que la gauche des Verts ait tenté de promouvoir une candidature labellisée "gauche radicale". Mais la légitimité de l’unité ne peut se passer des acteurs syndicaux, associatifs ou "mouvementistes" qui espèrent et réclament, d’une manière ou d’une autre, un autre débouché électoral aux luttes que la dispersion entre de multiples candidatures à la gauche du PS.

C’est de cela qu’il convient désormais de discuter tous ensemble. L’un des enjeux majeurs du cycle électoral qui vient, ne l’oublions pas, est de briser la spirale de l’abstention et du découragement dans les couches de la population les plus exposées à l’exclusion ou à la souffrance sociale. Il n’y aura pas de remobilisation électorale sans processus démocratique de discussion et de conviction dans les milieux populaires, à commencer par les banlieues. A nous d’imaginer le chemin d’une proposition puis d’une désignation, quel que soit notre candidat ou notre candidate, dont le point d’aboutissement ait une portée symbolique autrement plus forte que le vote des seuls adhérents d’un parti.

Voilà ce dont je suis prêt à discuter avec Olivier et beaucoup d’autres, en ayant la ferme intention d’être disponible, le cas échéant, pour soutenir de toutes mes forces la candidature unitaire qui apparaîtrait la meilleure. J’y ajoute, toutefois, deux conditions. D’abord je souhaite qu’il s’agisse bien d’une démarche collective de campagne, bousculant les règles de l’aventure individuelle et donnant la priorité au collectif plutôt qu’à la starisation. Ensuite je considère que l’ennemi principal doit bien être désigné comme la droite et l’extrême droite, et non pas, indirectement ou subrepticement, comme le Parti socialiste. Si nous sommes d’accord, il n’y a plus beaucoup de temps à perdre. Causons, mais vite !

Article paru dans l’édition du 10.05.06


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