Pour éviter un nouveau fiasco, l’exécutif prépare un report des élections régionales et départementales

samedi 21 novembre 2020.
 

Chargé par le gouvernement d’étudier les conditions d’un maintien des élections régionales et départementales, prévues en mars 2021, Jean-Louis Debré préconise leur report fin juin. Une décision qui fait globalement consensus, mais qui perturbe les stratégies présidentielles.

Une fois, pas deux. C’est en substance ce que s’est dit Emmanuel Macron lorsqu’il s’est retrouvé confronté à la question du maintien ou non des élections régionales et départementales, initialement prévues en mars 2021. Après le fiasco démocratique des municipales, dont le premier tour s’était tenu le 15 mars, au plus fort de la première vague de l’épidémie, l’exécutif a cherché un moyen de diluer les responsabilités dans la perspective des prochaines échéances électorales. « Tout le monde pense que ça va être difficile de tenir ces élections au printemps, mais tant que l’opposition ne l’a pas demandé gentiment et clairement, on ne bouge pas », résumait récemment un responsable de la majorité.

Pour mettre ce « tout le monde » d’accord et contraindre chacun à prendre officiellement position, le premier ministre avait donc chargé, fin octobre, l’ancien président du Conseil constitutionnel Jean-Louis Debré de conduire un certain nombre de concertations avec les différentes forces politiques, mais aussi les membres du Conseil scientifique présidé par Jean-François Delfraissy – en tout, une soixantaine de personnalités ont été consultées, explique Matignon. Sa mission : étudier les conditions dans lesquelles ces deux scrutins pourraient se tenir en mars prochain, mais aussi l’éventualité d’un report, compte tenu du contexte sanitaire et de l’absence de perspectives.

L’ancien ministre de Jacques Chirac a rendu sa copie au chef du gouvernement, vendredi 13 novembre. Selon Matignon, son rapport indique que le scénario d’un report des régionales et des départementales à la fin du mois de juin 2021, assorti d’une « clause de revoyure » aux alentours d’avril, « est celui qui est susceptible de répondre au mieux aux contraintes sanitaires et de recueillir le plus large assentiment possible parmi les forces politiques du pays ». « L’enjeu n’est pas tant de savoir si oui ou non on va pouvoir tenir les deux tours d’élections en juin, que de savoir si on pourra faire campagne dans des conditions par trop dégradées », explique la rue de Varenne. Au premier trimestre 2020, la campagne des municipales avait été marquée par de nombreuses contaminations.

Après avoir lourdement pesé sur la décision du mois de mars, et après se l’être aussi lourdement vu reprocher, la droite de Les Républicains (LR) s’est cette fois-ci ralliée à la position du gouvernement. Les responsables de la rue de Vaugirard restent néanmoins sur leurs gardes quant aux intentions réelles de l’exécutif. « Nous, on dit “juin, dernier délai”, tranche le patron des députés LR, Damien Abad. On ne peut pas mettre la démocratie entre parenthèses ad vitam æternam. » Comme beaucoup de ses collègues, l’élu craint que le gouvernement ne soit finalement tenté de retenir, au printemps, l’hypothèse d’un report post-présidentielle.

Cette hypothèse a été évoquée explicitement par Jean-Louis Debré, rapportent plusieurs personnalités consultées par ce dernier. « Debré nous a dit clairement qu’il ressentait une pression de La République en marche [LREM – ndlr] pour reporter les régionales et les départementales après la présidentielle, mais qu’il n’y était pas favorable pour des raisons constitutionnelles », affirme un élu de gauche. « Si jamais ils font cette folie, on va être quelques-uns à les cogner fort, prévient le député Aurélien Pradié, secrétaire général du parti. Utiliser la crise sanitaire pour tripatouiller les rendez-vous électoraux, ça serait très grave. Je les mets en garde en leur disant : il y a une limite au-delà de laquelle vous n’êtes plus des démocrates. Je le dis avec gravité. »

À gauche, la perspective d’un report en juin est accueillie avec une certaine compréhension. Et un maître mot : adaptation. « On est favorables à la solution du mois de juin si elle permet de faire une vraie campagne », indique Ian Brossat, élu parisien du Parti communiste français (PCF). « On ne va pas s’opposer à reporter le vote si c’est nécessaire sur le plan sanitaire, assure également Julien Bayou, le patron d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), tête de liste en Île-de-France. L’urgence serait quand même de remplacer les équipes qui ont failli sur la gestion de la crise sanitaire. Les présidents de région ont une responsabilité dans la désorganisation actuelle : je viens de visiter un lycée si vétuste qu’on ne peut pas ouvrir les fenêtres dans la moitié des salles de classe, ce qui est très problématique pour lutter contre le Covid ! »

À La France insoumise (LFI), qui verrait d’un bon œil le report des élections puisque le mouvement risque de n’emporter aucune région – un mauvais signe à quelques mois de la présidentielle –, on élude la question par un mot d’ordre : « Pas d’élection sans campagne. » Quant au premier secrétaire du Parti socialiste (PS) Olivier Faure, il ne voit, lui non plus, « pas de problème à un report en juin ». Pour autant, dans ses rangs, certains sont persuadés que tout cela « est cousu de fil blanc ». « Macron veut repousser le scrutin le plus tard possible pour barrer la route des présidentiables de droite, Valérie Pécresse [la présidente de la région Île-de-France – ndlr] ou Xavier Bertrand [le président de la région Hauts-de-France – ndlr]. Il va tenter de faire passer les partis qui y trouvent à redire pour des politiciens irresponsables qui préfèrent leur chapelle à la santé des Français », veut croire un cadre du parti.

Outre les questions de calendrier, Jean-Louis Debré a formulé un certain nombre de recommandations telles qu’une majoration de 20 % du plafond des dépenses de campagne, un remboursement plus rapide de ces dernières, ou encore un doublement du format des professions de foi, afin de limiter les rassemblements publics. Des recommandations parmi lesquelles le gouvernement se réserve désormais le choix de piocher. Après avoir adressé le rapport aux différentes forces politiques, Jean Castex « engagera », selon son entourage, « l’écriture d’un projet de loi », qui devrait passer en conseil des ministres dans le courant du mois de décembre, avant d’être soumis au Parlement dans la foulée.

La question des frais de campagne, dont la prise en compte débute six mois avant la tenue du scrutin, est d’autant plus épineuse que certains candidats se sont lancés dans la course dès le mois de septembre. L’élection reportée de trois mois, la puissance publique pourra-t-elle rembourser les frais sur neuf mois au lieu de six ? « J’ai fait part de cette inquiétude à Debré quand je l’ai vu, mais je n’ai pas encore eu de réponse », souligne le secrétaire national d’EELV Julien Bayou.

Du côté de Matignon, on précise qu’il faudra effectivement travailler à « une articulation des délais », notamment pour éviter que les dépenses électorales s’entrecroisent pour ceux qui seraient éventuellement candidats et aux régionales et à la présidentielle – ce pourrait être le cas de Xavier Bertrand, qui avait déclaré cet été dans Corse-Matin : « Ma primaire, ça sera le scrutin régional des Hauts-de-France. » « En avril, s’ouvrent les comptes de campagne de l’élection présidentielle. Cela pourrait créer des imbroglios », avait prévenu le chef de file de LFI Jean-Luc Mélenchon, fin octobre.

Le rapport de Jean-Louis Debré aborde aussi un autre sujet, grand habitué du débat public, qui a ressurgi ces derniers jours : le vote par correspondance. Fortes du succès de la présidentielle américaine et de son taux de participation record malgré la crise sanitaire – des dizaines de millions de bulletins ont été envoyées par correspondance –, plusieurs voix se sont élevées pour demander la réintroduction de ce processus supprimé en France en 1975, en raison de fraudes massives. Le groupe MoDem à l’Assemblée nationale, principal allié de LREM au sein de la majorité, a même déposé le 2 juin une proposition de loi visant à le rétablir.

Mais le gouvernement reste, lui, très réticent. Interrogé sur le sujet le 10 novembre, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a indiqué qu’il n’était pas possible « aujourd’hui, de s’assurer que le vote à distance par voie postale, comme d’ailleurs par voie électronique, soit entièrement incontestable ». « Quand un électeur vote dans l’isoloir, personne ne regarde par-dessus son épaule. C’est une garantie pour que son vote soit libre », ajoute Matignon. S’il recommande d’« envisager » la possibilité du vote par correspondance, Jean-Louis Debré lui-même ne semble guère convaincu. Il faudrait le faire, dit-il, « dans des conditions assurant sa fiabilité technique et matérielle afin d’assurer la sincérité du scrutin ». En réalité, les « si » sont encore trop nombreux pour « envisager » quoi que ce soit.

Du côté de LR, famille politique dont est issu l’ancien président du Conseil constitutionnel, le vote par correspondance ne fait pas non plus beaucoup d’émules. « Il faut qu’on ait des garanties. Il est hors de question qu’on puisse avoir un soupçon. On ne peut pas se permettre l’aventure sur ce genre de sujet », affirme Damien Abad, qui met en avant son attachement au bureau de vote et son amour d’une « démocratie vivante, de terrain, de proximité ». À gauche de l’échiquier politique, le PS est en revanche très favorable au vote par correspondance, contrairement aux écologistes, qui soulignent eux aussi le risque de « fraudes ».

Logiquement, le changement de calendrier a des répercussions sur les stratégies des uns et des autres pour la présidentielle. Pour les Verts, qui souhaitaient utiliser les régionales comme marchepied, en organisant leur primaire dans la foulée, le report du « top départ » vers 2022 n’a rien d’anodin. Une primaire organisée dans la torpeur de l’été et une campagne présidentielle écourtée… Moins simple, dans ces conditions, d’imposer une candidature écolo, alors que Jean-Luc Mélenchon a choisi de prendre de l’avance, en officialisant sa candidature dimanche 8 novembre.

« La présidentielle n’est pas encore dans la tête des gens », se rassure Eva Sas, porte-parole d’EELV. « Et puis, installer une candidature, ce n’est pas trop notre problème, puisque ce qui mobilise, c’est notre projet écologique », ajoute le patron du parti, Julien Bayou. Au PS, on fait valoir que le lancement d’une candidature – si possible commune avec les écologistes – ne pourra se faire sans un travail de fond sur le programme. Alors, autant profiter du laps de temps qui reste jusqu’aux prochains scrutins locaux pour travailler, explique un socialiste.

De son côté, LREM continue elle aussi à plancher, mais préfère ne pas communiquer tout de suite sur le sujet. « Ce n’est pas la priorité du moment. Nous sommes concentrés sur la gestion de la crise sanitaire », répètent en boucle les responsables du parti présidentiel, qui ne sont pourtant pas associés aux décisions prises par un noyau resserré de personnes en conseil de défense. Mais qu’importe : chez les Marcheurs, tout est affaire de communication. Selon nos informations, l’ensemble des chefs de file pour les régionales sont déjà choisis. Et les noms de plusieurs ministres, encouragés par Emmanuel Macron à se lancer dans la course, circulent.

Le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui a accepté de piloter le projet de LREM pour les élections en Île-de-France, devrait être tête de liste dans cette région. La ministre déléguée auprès de la ministre des armées, Geneviève Darrieussecq, le sera quant à elle en Nouvelle-Aquitaine. Et Marc Fesneau, le ministre chargé des relations avec le Parlement, envisage de porter les couleurs du MoDem – et donc de la majorité présidentielle – dans le Centre-Val de Loire. Quoi qu’il arrive, le scrutin devrait donc déboucher sur un nouveau remaniement à l’été 2021.

À droite toujours, mais cette fois-ci chez LR, les régionales pourraient faire office de primaire anticipée. Ce pourrait même être la seule si un des « présidentiables » du parti dirigé par Christian Jacob tire une légitimité suffisante de son résultat électoral. Ils sont trois à rêver de l’Élysée parmi les sept présidents sortants que compte la droite dans son spectre le plus large : Xavier Bertrand, donc, dans les Hauts-de-France ; Valérie Pécresse en Île-de-France ; et Laurent Wauquiez en Auvergne-Rhône-Alpes.

e premier est le mieux placé. Bien qu’il ait quitté le parti, Xavier Bertrand est pour beaucoup de ses anciens compagnons de route le meilleur candidat pour battre Emmanuel Macron en 2022. Aux régionales, la tâche s’annonce tout de même plus ardue qu’en 2015, puisque cette fois-ci, la gauche n’a pas l’intention de se désister automatiquement au second tour en cas de qualification du Rassemblement national (RN).

Début septembre, le conseil stratégique de la rue de Vaugirard avait acté qu’un « mode de départage » ne serait défini qu’au « lendemain des élections régionales ». Si le président de la région Hauts-de-France perd, le parti repartira de zéro ou presque. À moins d’un an de la présidentielle, il devra se mettre d’accord sur une nouvelle méthode de désignation, convoquer un congrès pour la figer dans les statuts et mettre en œuvre la dite méthode pour trouver son introuvable champion. Tellement introuvable que certains se prennent même à rêver d’un retour de Nicolas Sarkozy.


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