Michel Larive (LFI) : « Jean-Michel Blanquer doit démissionner »

dimanche 29 novembre 2020.
 

Le ministre de l’Éducation nationale est empêtré dans une affaire de syndicat lycéen. On en a causé avec l’insoumis Michel Larive, qui demande une commission d’enquête. On a aussi parlé dérive autoritaire, voire totalitaire, du pouvoir en place et mise sous cloche de la culture pour cause de Covid.

Michel Larive est député La France insoumise, membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation à l’Assemblée nationale.

Regards. Grâce au travail des rédactions de Libération et Mediapart, on a appris que le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, avait créé le syndicat Avenir Lycéen, dans le seul but de défendre sa politique. Un syndicat grassement subventionné par le ministère. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Michel Larive. Les faits sont les suivants : Jean-Michel Blanquer a créé un syndicat de toute pièce, de manière à porter la bonne parole. C’est un organe de propagande à la solde du pouvoir. Pour se justifier, il explique que ces méthodes ne sont pas les siennes, mais celles de l’UNEF et de LFI. L’UNEF ayant été créée en 1907, a priori, nous n’y sommes pas pour grand-chose… Que l’UNEF soit proche des idées que nous défendons, oui, mais c’est tout autre chose ! Même les gens du syndicat Avenir Lycéen l’ont dit : ils se sont sentis absolument manipulés. C’est ça le point le plus grave. Et Jean-Michel Blanquer fait comme s’il n’était au courant de rien. Mais il savait, puisque le 25 juillet le ministère de l’Éducation national a reçu un mail lui disant que l’argent versé au syndicat était en train d’être dépensé pour des fêtes – on parle quand même de 95.000 euros, dont quelques dizaines de milliers affectés au champagne, aux hôtels de luxe, etc. Quand on est ministre de l’Éducation, on est à la tête du ministère de l’Éducation, non ? Jean-Michel Blanquer annonce alors le lancement d’une enquête administrative diligentée par la direction générale de l’enseignement scolaire, cette même direction qui organise la création du syndicat. C’est ce qu’on appelle être juge et partie. Tout cela n’est pas normal. C’est une affaire d’État : le ministre manipule et instrumentalise des jeunes gens, des enfants. Ce n’est pas du simple prosélytisme politique qui viserait à convaincre par la diffusion de ses idées. Le ministre doit démissionner. Mais non. Pour lui, il n’a commis aucune erreur.

Après avoir joué la carte du déni, la contre-attaque des « Blanqueristes » a été extrêmement virulente : dans Atlantico, une poignée de députés LREM évoquent des « méthodes des fascistes » pour qualifier « MM. Mélenchon et Plenel », quand le ministre lui-même a qualifié ces médias d’« organisations liées à l’extrême gauche ». Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez eux ?

Les journalistes de Libération et de Mediapart sont des gens sérieux. Quand ils écrivent quelque chose, ça n’est pas du complotisme. Les marcheurs devraient se regarder… Ils ne s’encombrent pas de fioriture : on serait fasciste ? C’est immonde. Mais cela fait bien longtemps que Jean-Michel Blanquer – mais Gérald Darmanin aussi – ne nous a pas répondu soit par l’insulte, l’invective ou la stigmatisation. Le rôle du parlementaire est quand même de « contrôle[r] l’action du Gouvernement » [1]. Mais si le ministre ne l’accepte pas, il faut qu’il parte ! Nous, notre responsabilité, c’est d’apaiser la situation, de descendre d’un cran.

« Il y a une dérive autoritaire et autocratique de ce pouvoir qui fait qu’ils se sentent au-dessus de tout, des lois, de la Constitution. Ils s’en sont pris aux musulmans, ils s’en prennent à nous, puis aux universitaires, maintenant aux journalistes. Est-ce que ça ne vous fait pas penser à l’installation d’un pouvoir comme celui du Chili de Pinochet ? Jusqu’où va-t-on aller ? »

Vous avez réclamé la création d’une commission d’enquête afin que le ministre vienne « s’expliquer devant la représentation nationale ». Est-ce que cela va se faire ? Quand ? Et pourquoi est-ce essentiel ?

La représentation nationale est en droit d’attendre des explications du ministre. Des socialistes et des communistes sont co-signataires de cette demande de commission d’enquête. Il a déjà déclaré que ça ne lui faisait rien, qu’il aimait bien les commissions d’enquête. Qu’il l’accepte alors, qu’il la soutienne ! Mais, au-delà de la commission d’enquête, cette affaire peut aller plus loin. Il y a des qualifications à ce genre d’agissements.

Pourquoi est-ce qu’une telle affaire ne devient-elle pas une affaire d’État ? Pour l’heure, c’est comme si le ministre était intouchable...

Je pense que la réponse est dans votre question. Ils se sentent agir en toute impunité. Il y a une dérive autoritaire et autocratique de ce pouvoir qui fait qu’ils se sentent au-dessus de tout, des lois, de la Constitution. Vous avez entendu Yaël Braun-Pivet, députée LREM et présidente de la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale, qui disait qu’il faudrait voir si on ne peut pas faire quelque chose pour ne pas avoir à accepter tout ce que dit le Conseil constitutionnel. Ils disent des anneries tellement grosses qu’au bout d’un moment, une bêtise un peu moins importante devient à peu près concevable. C’est le système de la fenêtre d’Overton. Le danger, il est là. Si la normalité devient l’installation d’un régime autoritaire, la République française a un énorme problème. Pour moi, la normalité, c’est la démocratie, l’universalisme, la République des Lumière, humaniste. On peut nous traiter d’islamo-gauchistes – comme il fut un temps où on nous traitait de judéo-bolchéviques. Ils s’en sont pris aux musulmans, ils s’en prennent à nous, puis aux universitaires, maintenant aux journalistes. Est-ce que ça ne vous fait pas penser à l’installation d’un pouvoir comme celui du Chili de Pinochet ? Jusqu’où va-t-on aller ?

Au-delà de cette affaire de syndicat, quel regard posez-vous de la politique impulsée par Jean-Michel Blanquer ? De son « école de la confiance » – aux relents identitaires et allant dans le sens de la privatisation de l’enseignement – à ses positions sur la laïcité – comprendre « contre les musulmans » – en passant par son déni face au Covid-19…

Jean-Michel Blanquer commence à avoir quelques casseroles. Il stigmatise l’université, explique que l’enseignement des sciences sociales dérive vers une idéologie terroriste, fait la promotion de l’école privée, etc. Après la mort de Samuel Paty, il utilise la même sémantique, la même rhétorique que l’extrême droite. C’est assez grave venant d’un ministre de l’Éducation nationale. On n’en a jamais eu des comme ça, on en a eu des mauvais, mais quand même républicains ! Jean-Michel Blanquer est un démocrate, un républicain, non-pratiquant. Il est dans une situation où il fait ce qu’il veut, et presque pourrait nous répondre « je vous emm**** ! ». Je suis très inquiet, parce que cette affaire Blanquer n’est pas une chose isolée. Elle s’ajoute à ce qu’il s’est passé hier à République, à la loi Asile et immigration, à la loi Sécurité globale, etc, etc. Et notre État devient de plus en plus un État de non-droit. Quand on donne plus de moyens à la répression policière qu’aux soins ou à l’éducation, on fait un choix. À cet instant, l’écologie, la démocratie, les bases républicaines, la laïcité, tout est remis en question. Il n’y a plus qu’un objectif : la compétitivité, quelle qu’elle soit. Quand les populations atteignent leur limite d’acceptation de ces dérives, de ce modèle de société qu’ils tentent de passer en force, ils n’ont plus que la solution de l’autoritarisme. Vu l’état insurrectionnel dans lequel nous sommes, il suffirait d’une toute petite étincelle pour que ça parte en live complet. Et si demain un régime réellement totalitaire voulait s’installer en France, il aurait déjà l’arsenal législatif qui lui conviendrait. Rappelez-vous en 2017 tous ces gens qui ont voté Macron pour faire barrage à Le Pen et au régime totalitaire qu’elle porte. Maintenant, je dis qu’il faut voter contre les deux, puisque les deux nous amènent un régime totalitaire ! Macron a fait ce que Le Pen aurait fait si elle avait été élue, peut-être même ce qu’elle n’aurait pas osé faire. Il y a même des députés LREM qui nous disent que la limite a été atteinte.

Vous êtes le monsieur Culture de la France insoumise. Que dites-vous de la place accordée à la culture en cette année 2020 covidée ?

On peut aller à la messe, mais on ne peut pas aller au spectacle. On peut aller faire ses courses dans les grandes surfaces, mais pas pour y acheter un livre. Voilà qui résume la situation. Il y a un problème. C’est là qu’on voit la dérive complète : une société sans culture, c’est une société sans liberté, sans émancipation et sans avenir. Empêcher la culture, c’est permettre l’installation de l’obscurantisme, de pseudo-pensées, de dérives complotistes. Comment voulez-vous que les gens aient cette capacité de discernement sans avoir accès à la culture ?

Propos recueillis par Loïc Le Clerc


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