Crise immobilière : L’ univers impitoyable du Subprime mortgage, par Vincent Présumey

samedi 18 août 2007.
 

Comme on le sait maintenant de plus en plus, ce terme désigne des prêts hypothécaires censés permettre à de petits salariés, voire chômeurs, de devenir propriétaires, remboursables avec des taux variables sur des durées trés longues pouvant atteindre 50 ans ou plus.

L’expression anglaise, ou plutôt américaine, combine deux termes.

Subprime est un terme bancaire : banques et assurances classent leurs clients en non-prime, prime et subprime selon les risques estimés de défaillance de l’emprunteur, les subprime sont les plus potentiellement défaillants (en France ce système n’existe pas officiellement mais les variations des taux d’assurance agissent en réalité sur le montant total de l’intérêt).

Mortgage signifie hypothèque, mais comme on le voit ce n’est pas, à l’origine un mot anglais, mais du vieux français. Guillaume le Conquérant ayant fondé, en 1066, la monarchie féodale anglaise, son aristocratie parla un certain temps un dialecte franco-normand, ce pour quoi la viande dans l’assiette du noble se dit beef comme "boeuf", mot français, alors que le serf anglo-saxon appelait toujours l’animal sur pied cow ... Et ainsi donc un mortgage, en vieux français, c’est une servitude féodale, par laquelle le seigneur ou l’usurier contraint le vil paysan à un endettement quasi perpétuel.

M.M. Reagan et Bush ont, comme on le sait aussi, voulu faire des Etats-Unis une "nation de propriétaires" et, dans une certaine mesure, ils l’ont fait. Voila donc le résultat. Au fait, en France aussi, Sarkozy veut faire de nous une "nation de propriétaires" ...

La transformation de millions de petits salariés en "propriétaires" passa donc par leur endettement via les subprime mortage, depuis des années. Au début ce système servait à acheter des taudis, voire des caravanes, puis il s’est étendu aux maisons et appartements. Or ces derniers temps, et plus fortement dans l’année écoulée, trois tendances se sont conjuguées : la stagnation ou la baisse des salaires réels, la baisse des prix des terrains et des immeubles et la hausse des taux d’intérêts.

La stagnation ou la baisse des salaires réels est un fait aux Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001, qui a stoppé un début de remontée des salaires imposé par les luttes ouvrières depuis la victoire de la grève d’UPS en 1997. Malgré des tensions sur le marché du travail depuis 2005 qui tendait à les faire repartir à la hausse, c’est le fait dominant de toutes ces années, tout du moins pour les couches du salariat les plus concernées par les prêts hypothécaires à taux variables ... Les emprunteurs ont donc des revenus qui stagnent ou baissent, lourdement amputés de plus par leur endettement.

La baisse des prix immobiliers et fonciers pourrait sembler ne pas devoir les désavantager, mais c’est là une illusion. En effet, beaucoup d’entre eux cherchent à un moment ou à un autre à se débarasser de tout ou partie de leur dette en revendant leur "bien", mais avec cette baisse cela est de moins en moins utile pour eux et ils gardent donc sur les bras des bâtiments pour lesquels ils se saignent sans pouvoir s’en délivrer, ou alors ils en sont "délivrés" ... par expulsions, leur maison hypothéquée étant confisquée, ce qui ne les exempte pas de continuer à payer le capital plus les intérêts que celle-ci, dont le prix a baissé, n’a pas complétement remboursé loin de là ... Seuls les "pauvres" désirant acheter sont donc, en théorie, intéressés par la baisse des prix fonciers et immobiliers ; mais les pauvres n’achétent pas, ils empruntent, et les taux sont maintenant beaucoup trop élevés.

Hausse des taux et prix des terrains et des bâtiments sont liés par une relation qui est l’un des rapports sociaux les plus irrationnels du mode de production capitaliste : le prix foncier est formé par capitalisation de la rente foncière, c’est-à-dire que le loyer moyen (ou, pour des terres agricoles, le fermage) est considéré comme l’intérêt d’un capital qui est le prix du terrain. Mathématiquement, si les taux d’intérêt montent les prix fonciers baissent, et inversement. Etrangement, mais ce rapport social fonctionne bel et bien, cela veut dire en partie que moins c’est cher, plus vous payez ! (c’est là la clef pour analyser le lien étrange entre loyers et prix immobiliers, abordé dans l’article Bulle immobilière : le krach menace, www.legrandsoir.info/article.php3 ?id_article=2927 ).

Et en l’occurence l’acheteur-emprunteur paye deux fois. Car si le prix foncier est formé par capitalisation de la rente foncière, et qu’il le paye, ce n’est pas pour percevoir la dite rente mais pour se loger : il peut, il est vrai, louer la maison qu’il paye (quitte à coucher dans sa voiture sur le trottoir d’en face : cela existe, et pas marginalement ! ) et dans ce cas il cherchera à aligner le montant du loyer sur celui des intérêts.

Or, les taux d’intérêts ont nettement remonté aux Etats-Unis depuis un an et demi, malgré la Fed qui s’est alignée sur cette tendance et ne l’a pas suscitée -cette perte de contrôle partielle de la Fed sur les taux US est d’ailleurs un fait économiquement et politiquement nouveau.

Ce renchérissement de ce qu’il est convenu d’appeler le "loyer de l’argent" est en effet, au fond, une réaction à la baisse comparative du dollar par rapport aux autres monnaies, surtout l’euro, et en partie une réaction à la difficulté relative croissante de placer des bonds du trésor US à l’étranger, où des quantités énormes se trouvent déjà, la plus grande concentration se situant ... en Chine.

Les officines de subprime mortgage, à leur tour empruntent à des banques et à des fonds d’investissements et sont des sociétés par action. Pour les banques et les fonds d’investissements (caisses de retraites, etc.), les branches consacrées à ce type de prêts sont réputés trés lucratifs, et l’on voit aujourd’hui que la pyramide s’était fortement ramifiée en Europe, France comprise. Ainsi s’est formée toute une pyramide, à l’effondrement de laquelle on assiste à présent.

Le capitalisme en général, et le capitalisme nord-américain en particulier, est certes loin de s’y réduire : ce n’est qu’un "segment", comme disent les analystes qui se veulent rassurants. Certes, mais ce segment pourri est au coeur du système, dont il n’est pas le seul segment pourri. La transformation de la nation de salariés que sont en réalité les Etats-Unis en nation fictive de propriétaires aboutit à une forme particulièrement sophistiquée, et donc en même temps particulilèrement régressive, de parasitisme capitaliste. Sont en effet mobilisés ici des rapports sociaux caractéristiques de la finance -le prêt à intérêt- en combinaison avec le rapport foncier-rentier, dans une arnaque totale et absolue envers celui qui est proclamé "propriétaire" et qui se fait en réalité voler son salaire, le prix de sa force de travail, et réduire au paupérisme. Au bout du réve américain, revoila donc le paupérisme. Avec des spectres de servage et d’esclavage pour dettes ...

Les travaux de Marx sur la rente foncière sont focalisés sur l’agriculture et n’aboutissent qu’à une théorie trés partielle, car il n’a pas eu le temps de les conduire à terme. Mais son point de départ, méconnu, doit ici être rappelé : sans la propriété foncière, "Une condition de production tout à fait essentielle, et -à part l’homme et son travail- la seule condition de production originelle, ne pourrait pas être cédée, ne pourrait pas être appropriée et, partant, elle ne pourrait faire face à l’ouvrier comme propriété d’autrui ni faire de lui un salarié. (...) De fait, la production capitaliste en général aurait cessé d’exister." (Marx, Théorie sur la plus-value). La propriété foncière, est en fait l’expropriation des travailleurs de la terre et de leur propre habitat).

Avec les subprime mortgage, la boucle est bouclée : la transformation des salariés en "propriétaires" aboutit à leur expropriation encore un peu plus achevée, leur propre salaire leur étant repris sous forme de prix fonciers (rente) et d’intérêts à payer pour l’éternité. C’est au moment même de la proclamation du salarié comme propriétaire que s’achève en fait son expropriation et qu’il devient un pauper.

Ce retournement de l’idéal américain est un phénomène de trés grande portée, qui ne touche certes pas tous les travailleurs américain, mais qui a atteint une échelle de masse. De plus, il est lié à une évolution des taux d’intérêts qui elle-même est due en fin de compte à l’affaiblissement relatif de l’impérialisme nord-américain dans des relations mondiales qu’il domine pourtant.


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