Retrait global de la loi Macron de « sécurité globale » !

dimanche 13 décembre 2020.
 

Le samedi 21 novembre, puis le 28 novembre, des centaines de milliers de manifestants ont défilé contre le projet de loi « Sécurité globale », et contre les violences policières après qu’une vidéo ait rendu public le tabassage policier (le 23 novembre) de Michel Zecler, producteur de musique parisien noir. Et de nouveau, le samedi 5 décembre, dans une centaine de villes, par milliers ou par dizaines de milliers, des manifestants ont exigé le retrait non seulement de l’article 24 du projet, mais de toute la loi.

La diffusion de cette vidéo a provoqué une véritable onde de choc, parce qu’elle montrait sans contestation possible ce qu’avait été l’action de « barbares en uniformes » selon les mots d’un des députés LREM, co-auteur de projet de loi sur « la Sécurité globale » (« Les barbares étaient de sortie, les barbares revêtus d’uniformes étaient de sortie ce soir-là. Et je ne comprends pas », dixit Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du Raid et député LREM sur Franceinfo le 27 novembre).

Et l’onde de choc a été accentuée parce qu’on avait là une preuve concrète que, sans cette vidéo, non seulement le tabassage policier n’aurait pu être prouvé mais que, du fait du faux témoignage des policiers, c’est la victime qui serait retrouvée inculpée pour rébellion. Or, l’article 24 du projet de loi visait justement à empêcher de filmer et diffuser des violences policières. « Je ne comprends pas » s’afflige JM Fauvergue qui persiste à défendre « une belle loi de 30 articles [qui] permet de mieux travailler, pour la sécurité des Français. ». (sic).

Mais les manifestants ont bien compris le lien étroit entre la globalité du projet de loi, son article 24, et les actions de « barbares en uniformes » que le projet veut dissimuler. En témoignent nombre de pancartes et banderoles brandies par les manifestants : « Votre loi c’est du floutage de gueule » ; « Police floutée justice aveugle ». L’article 24 cristallise la résistance initiale

C’est d’abord l’article 24 du projet de loi qui a cristallisé la résistance à la politique liberticide du gouvernement. Il faut dire qu’il ne donnait pas dans la finesse, remettant en cause les fondements même du droit à l’information, de la liberté d’informer : dans sa rédaction initiale du 24 novembre, cet article interdisait la diffusion d’images permettant d’identifier des policiers quand cette diffusion est effectuée « dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte » à « l’intégrité physique ou psychique » des agents. Or, dans les faits déjà, sans attendre même le vote de ce texte, des manifestants qui filment, des journalistes clairement identifiables sont pris à partie, mis en garde à vue par des policiers. Avec ce texte, il n’y a même plus de limite formelle puisqu’est inventé un nouveau délit, le délit d’intention.

C’était tellement grossier que, au niveau du gouvernement, certains s’inquiétaient de la non constitutionnalité de cet article.

Avec la diffusion de la vidéo, puis l’ampleur des manifestations, Macron dut manœuvrer en recul. Après avoir fait connaître sa honte des images diffusées, il somma le gouvernement de trouver une solution.

Il en résulta quelques jours de zizanie au sein du pouvoir : Darmanin et le Premier ministre imaginèrent d’abord l’installation d’une commission extra-parlementaire pour ré-écrire l’article 24. Ce qui provoqua les protestations du président (LREM) de l’Assemblée nationale et du président (Parti Républicain) du Sénat qui firent mine de réaffirmer les prérogatives parlementaires (pourtant bien fictives dans le cadre de la Ve République…).

Puis certains rêvèrent de transférer l’article 24 dans un autre projet de loi (celui sur le « séparatisme ») avant de sembler y renoncer le 5 décembre…

Si le gouvernement devait finalement renoncer définitivement à cet article, et non simplement le ré-écrire, cela montrerait au moins qu’il n’est pas tout puissant face aux manifestants. Mais il faudra alors qu’il affronte certaines des organisations policières. Et qu’il mette fin aux provocations du ministre de l’Intérieur qui se comporte comme le porte parole des pires « syndicats » de policiers : « Quand j’entends le mot “violences policières”, personnellement, je m’étouffe » disait ce ministre le 28 juillet, paroles faisant écho aux derniers mots de Cédric Chouviat, livreur mort asphyxié lors d’un contrôle de police le 3 janvier dernier et répétant à sept reprises : « J’étouffe. » ; ou à ceux de George Floyd aux États-Unis fin mai, mort étouffé sous le genou d’un policier :« I Can’t Breathe ».

De tels propos du ministre sont un encouragement aux violences policières et ouvrent la voie à une organisation telle le « syndicat » Alliance police nationale qui, au lendemain de la mise en détention provisoire de deux « barbares en uniformes », sort un tract protestant contre cette décision de justice : « Alliance dénonce ce traitement » : « à l’heure où l’on “vide” les prisons de certains délinquants, (…) lorsqu’il s’agit de policiers tout est permis !!!. Scandaleux !!! ». De son côté, le syndicat France Police (5e organisation de police) demande le 2 décembre que le Parquet enquête pour « rébellion » contre… la victime des policiers inculpés !

Mais, en tout état de cause, même si Macron devait complètement renoncer à cet article 24, il maintient tout le reste du projet de loi. Une loi liberticide Manifestation contre la loi de Sécurité Globale, 5 décembre 2020 - Photo de L’insurgé

La loi votée en première lecture étend ainsi les prérogatives de la police municipale, qui pourra désormais verbaliser par exemple la conduite sans permis ou sans assurance, ou l’usage de stupéfiants.D’autres articles renforcent le secteur de la sécurité privée. Et l’article 20 bis facilite pour la police l’accès aux images des caméras des halls d’immeubles. L’article 21, évoquant les (futures) caméras-piétons des policiers, autorise la transmission de leurs images en temps réel au poste de commandement. Avec les technologies de reconnaissance faciale, préfectures et policiers pourront alors connaître, en direct, le nom de chaque manifestant enregistré par ces images.

L’article 22 légalise l’usage des drones pour la surveillance de l’espace public et la traque de suspects.

L’article 23 interdira, à la demande des organisations de police, qu’un condamné à la prison puisse bénéficier d’un crédit de réduction de peine s’il est condamné pour un délit contre un policier.

Quant à l’article 25, il autorise un policier n’étant pas en service à pénétrer avec son arme dans un établissement recevant du public, par exemple dans un bar…

C’est donc à juste titre que les manifestants exigent le retrait de tout le texte de loi : retrait Global du texte « sécurité globale » !

Cette exigence s’impose d’autant plus que ce texte de loi s’articule avec le Livre blanc de la sécurité intérieure et ses inquiétants projets. Le Livre blanc de la sécurité intérieure

Publié le 16 novembre, ce texte long de 332 pages formule quelques 200 propositions [1]. Il est accompagné de 106 pages d’annexes.

On y trouve ainsi le projet de créer une « identité numérique régalienne » pour chaque individu (facultative…).

On y trouve par exemple, s’appuyant sur les nouvelles technologies, le projet d’analyse automatisée des réseaux sociaux, celui de « lecture automatisée » des plaques d’immatriculation, l’utilisation d’empreintes digitales sans contact comme moyen d’identification lors des contrôles d’identité. Il prévoit aussi des recherches sur la reconnaissance vocale (avec la création d’une base de données de voix) et la reconnaissance d’odeur et, bien sûr, la reconnaissance faciale dans l’espace public... dans l’objectif de « modernisation des outils biométriques, et notamment l’adoption des nouvelles biométries (reconnaissances du visage, de la voix et de l’odeur) ». Les seules pages 261-262 sont ainsi consacrées à « l’odorologie ». Cela implique de ficher au maximum la population : « les fichiers de police du ministère de l’Intérieur doivent évoluer, pour intégrer la multi-biométrie ».(cf 4e livret : Porter le ministère de l’Intérieur à la frontière technologique). Polices privées partout

On y trouve aussi, plus basiquement, et plus simple à réaliser, des mesures telles que le renforcement des polices privées (pages 145 à 160). On lit par exemple :

« Conforter le rôle de la sécurité privée dans la sécurisation des lieux privés et mieux intégrer ces acteurs dans la chaîne de résilience et de sécurité de la Nation…leur confier de nouvelles compétences… Étendre les possibilités d’intervention de la sécurité privée sur la voie publique…Autoriser l’armement non létal des agents de sécurité privée pour les agents agréés… Autoriser le recours à des technologies émergentes (drones, ballons, caméras-piétons) pour renforcer l’efficacité des professionnels de la sécurité privée…

Étendre de manière coordonnée avec les polices municipales, le concours de la sécurité privée à certaines missions des forces de sécurité intérieure… Prévoir une protection juridique pour les agents privés de sécurité, avec circonstances aggravantes en cas d’agression… Développer les services de sécurité des entreprises… Permettre l’extension des prérogatives des services internes de sécurité de la RATP et de la SNCF à d’autres services internes de sécurité de transporteurs terrestres ».

C’est l’ensemble de ce document qui mérite d’être décortiqué, une sorte de rêve policier de surveillance et contrôle total de la société, rêve que le gouvernement va s’appliquer à réaliser… dans la limite de ses moyens budgétaires et dans la limite des résistances politiques qui se dresseront devant lui. La seule question de l’article 24 montre l’ampleur du combat à mener contre ces projets. Tentative de domestication des journalistes

La volonté d’entraver le travail des journalistes, telle qu’elle apparaît dans l’article 24, s’inscrit dans ce cadre général. Entraver et domestiquer. C’est ce dont témoigne le nouveau schéma national de maintien de l’ordre (SNMO), publié le 17 septembre, qui prévoit d’appliquer aux journalistes le délit pénal d’attroupement : « Le délit constitué par le fait de se maintenir dans un attroupement après sommation ne comporte aucune exception, y compris au profit des journalistes ou de membres d’associations. ». Le texte prévoit aussi de confier à un « officier référent » le suivi des journalistes lors des manifestations, en les limitant aux seuls « journalistes titulaires d’une carte de presse, accrédités auprès des autorités. ». « Ce texte, il est fait pour restreindre la liberté d’informer », a dénoncé la secrétaire générale du SNJ. « On veut transformer les journalistes en propagandistes, comme les États-Unis l’ont éprouvé pendant la guerre du Golfe. ».

Le 23 novembre, une délégation de représentants d’ONG et de syndicats de journalistes a claqué la porte des discussions avec le ministre Gérald Darmanin. Le secrétaire général du Syndicat national des journalistes (SNJ) explique : « Nous avons posé comme préalable à toute discussion le retrait des articles 21, 22 et 24 et du SNMO. On a un ministre qui nous a endormis en proposant quelques améliorations par-ci, par-là, il n’en est pas question, donc nous avons décidé collectivement de quitter la réunion ».

Le 26 novembre, ces mêmes organisations ont finalement décidé de boycotter une réunion prévue avec Jean Castex, du fait notamment de l’interdiction par la préfecture de police de Paris d’une manifestation prévue samedi 28. Jean Castex a alors exprimé sa « stupéfaction » face au boycott de cette réunion.

Cette décision pose une question de méthode (pour les syndicats notamment) : on ne peut effectivement discuter d’un projet gouvernemental si on en demande, à juste titre, le retrait, et si l’on mobilise pour ce retrait. Trois décrets orwelliens

En 2008, face au tollé provoqué, le gouvernement abandonnait le fichier « EDVIGE » (qui prévoyait notamment de collecter les opinions politiques, philosophiques, religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes « susceptibles de porter atteinte à l’ordre public »).

Mais en 2009, il publiait deux décrets allant dans le même sens assortis de quelques limitations quant à leurs conditions d’utilisation.

Pour les services de police et le gouvernement, il fallait aller plus loin.

Fort discrètement, le 2 décembre 2020, trois décrets étaient publiés pour étendre les possibilités de collecte d’informations de trois fichiers existants : fichiers du renseignement territorial (PASP pour la police et GIPASP pour la gendarmerie qui ont succédé à EDVIGE) et EASP pour les enquêtes administratives.

Comme dans le projet de 2008, les renseignements concerneront les individus mais aussi les personnes morales. Ces décrets autorisent « la collecte, la conservation et le traitement de données concernant […] des opinions politiques, des convictions philosophiques, religieuses ou une appartenance syndicale », mais aussi les données de santé, les pseudos tweeters, etc.

Et désormais, il ne s’agit plus seulement de prévenir d’éventuelles activités terroristes, mais aussi des atteintes aux institutions de la République et de ses services publics, notion parfaitement élastique.

Le PASP et le GIPASP ont un champ plus large que le Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) qui vise les personnes radicalisées et concerneraient, en 2017, plus de 40 000 personnes. La politique sécuritaire de Macron pour renforcer l’État bourgeois

La politique de ce gouvernement forme un tout : son soutien quotidien aux besoins des patrons, sa politique étrangère impérialiste et sa politique liberticide intérieure sont étroitement liés. Il s’agit, avec cette dernière, de s’attaquer aux libertés démocratiques indispensables aux salariés pour s’organiser, se mobiliser, se défendre.

Sa politique d’atteinte aux droits démocratiques touche tous les domaines, par exemple l’Université avec les atteintes aux libertés académiques (liberté pour les universitaires d’exercer leur activité d’enseignement et de recherche dans les conditions d’indépendance), et la pénalisation (jusqu’à 3 ans de prison) de l’occupation des campus universitaires inscrites dans la loi LPR (loi de programmation pour la recherche).

Quant au projet de loi contre le « séparatisme » qui vise notamment à conforter les liens (financiers notamment) entre l’État et les institutions religieuses, il s’intègre dans ce dispositif anti démocratique et doit être dénoncé.

De même doit être abrogé tout texte organisant l’État d’exception sanitaire permettant au gouvernement, sous des prétextes sanitaires, de remettre en cause des libertés fondamentales comme le droit de circuler.

Dans l’immédiat, il convient d’exiger le retrait de toute la loi de Sécurité globale et de combattre pour l’unité des organisations ouvrières et démocratiques, syndicales notamment, contre ce texte.

Le 8 décembre 2020


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