Le président de la République, le juge et l’avocat : le pouvoir sur le banc des accusés

mercredi 16 décembre 2020.
 

L’ancien chef d’État Nicolas Sarkozy, son avocat Thierry Herzog et le juge à la Cour de Cassation Gilbert Azibert sont jugés pour « corruption » et « trafic d’influence ». Un procès éminemment politique, mais pas au sens que l’on croit.

Le monde politique et médiatique est en ébullition depuis plus d’une semaine : Nicolas Sarkozy est jugé pour corruption et trafic d’influence. On peut résumer l’affaire dites des écoutes comme suit : l’ancien président de la République est suspecté d’avoir essayé de soutirer des informations confidentielles à son sujet auprès d’un juge de la Cour de Cassation en échange de son intervention personnelle pour un poste prestigieux à Monaco – le tout avec un intermédiaire avocat. Quatre ans de prison dont deux fermes ont été requis contre Nicolas Sarkozy.

Trois protagonistes, Nicolas Sarkozy, Gilbert Azibert et Thierry Herzog, sont sur le banc des accusés pour un procès dont l’objet n’est pourtant pas des plus mirobolants. Mais on a jugé trois grands de la République comme de vulgaires délinquants. Comme si, un peu comme dans une fable grecque dont les acteurs auraient été ces trois symboles de notre temps, on avait voulu le faire goûter un peu de ce que c’était que la justice des pauvres, des dominés. Et ils l’ont concédé eux-même à certains moments du procès : ils ont découvert que c’était éprouvant.

Sarkozy et les écoutes : une affaire de droit commun

Politiquement, la démonstration de ce procès est exemplaire : on peut épingler un président de la République pour une affaire de droit commun. « C’est précisément parce que ce n’est pas un procès politique que ce procès est éminemment politique », surenchérit un observateur du dossier. Et force est de constater, qu’en la matière, la justice fonctionne mieux aujourd’hui qu’auparavant puisqu’un tel procès aurait été impensable à l’encontre d’un François Mitterrand ou d’un Jacques Chirac.

C’est d’ailleurs sur cette question de rapport au droit commun que le procès se distingue des autres auxquels ont pu être confrontés d’autres grands élus de la République. Ainsi de Jacques Chirac et de l’affaire des emplois fictifs de la ville de Paris ou du Rassemblement national et ses assistants parlementaires au Parlement européen : les procès intentés portaient sur des faits dont les objectifs étaient politiques et pas sur des turpitudes personnelles.

Mais ce n’est pas le seul enseignement politique que l’on doit tirer de son procès, notamment si l’on se place du point de vue des droits de la défense. En effet, c’est le ténor du barreau Henri Leclerc qui est venu le rappeler à la barre : pour sauver « la démocratie », on ne peut intercepter les conversations téléphoniques entre un avocat et son client. C’est le secret professionnel qui est ici en jeu. Pour l’avocat Hugo Partouche, il s’agit ainsi de savoir si « le droit à une défense effective doit primer sur la potentielle complicité d’un avocat. » L’avocat d’une personne mise en cause évolue presque nécessairement dans une « zone trouble », rappelle-t-il, « le simple fait de se battre follement pour une personne dont on sait parfois qu’elle est coupable est trouble ». Ce qui n’est pas sans rappeler le positionnement de certains journalistes d’investigation : la défense du secret professionnel, pour les avocats comme pour les journalistes, c’est aussi l’une des clefs de l’équilibre des pouvoirs – et de la démocratie.

La démocratie en jeu

Au delà de la défense corporatiste, le juge a tout de même le droit de décider d’enquêter sur un avocat s’il considère que celui-ci à des liens avec la criminalité. Seulement, c’est là que ça se corse : lorsque que l’on met un téléphone, comme ça a été le cas pour Nicolas Sarkozy, sur écoute, c’est toutes les discussions que l’on va devoir passer en revue pour déterminer quels extraits peuvent être utiles à l’instruction d’un dossier. L’argument n’est pas nouveau et a d’ailleurs été utilisé par la défense de Nicolas Sarkozy tout au long du procès. Mais la Cour de Cassation a décidé que ces pièces avaient toute leur place dans le dossier, instituant une jurisprudence en la matière d’écoute des échanges entre un avocat et son client.

Le procès de Nicolas Sarkozy pour l’affaire des écoutes n’est donc pas un leurre ou un procès de seconde de zone pour un personnage de la République de premier plan : il a eu l’immense vertu de replacer de grands édiles de la Nation dans le box des accusés. Et de les juger à peu près normalement, c’est-à-dire avec les couacs et surtout sans solennité. La suite aux prochains épisodes des péripéties juridiques de l’ancien chef d’État.

Pablo Pillaud-Vivien


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