Présidentielles 2022 : Faut-il désespérer de la gauche ?

samedi 9 janvier 2021.
 

Nous sommes à 500 jours de l’élection présidentielle et la gauche ne semble pas à ce jour en situation de troubler le duopole Macron-Le Pen. Analyse de Rémi Lefebvre, professeur de science politique à l’université de Lille (CERAPS-CNRS).

Évidemment rien n’est joué. Les campagnes présidentielles sont devenues imprévisibles (ce qui exacerbe les ambitions individuelles). Elles concentrent désormais l’essentiel du potentiel de mobilisation et d’intérêt des électeurs pour la politique. Elles ont ainsi une capacité à susciter des dynamiques sociales et politiques qui peuvent bousculer et réordonner l’ordre politique et électoral.

Les élections intermédiaires depuis 2017 (européennes puis municipales) donnent des indications électorales et dégagent des lignes de forces (à gauche la montée d’EELV) mais qui ne sont pas forcément prédictives de tendances nationales. D’abord parce que l’abstention y a été forte. Ensuite parce qu’on observe une forme de désarticulation entre arènes politiques nationales et locales. Des forces nationales de premier plan comme La République en Marche, le Rassemblement national ou La France insoumise gardent leurs chances à la présidentielle tout en ayant failli lors de ces scrutins.

Un autre facteur d’imprévisibilité politique pour 2022 tient aux effets de la pandémie actuelle. Elle va peser sur l’agenda électoral mais en quel sens ? Va-t-elle ouvrir une fenêtre d’opportunité pour les solutions alternatives portées par la gauche (transition écologique radicale, démarchandisation…), favoriser une forme de repli régressif sur les schémas productivistes du passé ou brouiller l’image du parti au pouvoir qui s’est largement appuyé sur la dépense publique (le « quoi qu’il en coûte ») ? Il est difficile de le dire.

Mais si le scénario de 2022 n’est pas écrit, la gauche est bien en mauvaise posture. Inaudible, elle structure peu le débat public autour de ses idées et propositions. Elle n’a pas vraiment de stratégie électorale et sociale claire – à qui s’adresse-t-elle ? Quelle majorité sociale veut-elle construire ? Atomisée et fracturée, elle a surtout un problème de leadership qu’elle ne parvient pas à régler et qui n’est pas réductible à des problèmes d’ambition personnelle.

La nécessité du rassemblement

En 2022, le rassemblement au premier tour est la condition de la qualification pour le second. Le premier tour ne peut constituer une primaire à gauche. Le paysage électoral s’est, on le sait, « archipélisé » en blocs éclatés d’envergure assez proche. Face aux RN, LR, LREM, la gauche doit s’unir pour envisager de franchir l’obstacle du premier tour. La condition (nécessaire mais pas suffisante…) d’un changement politique et social d’ampleur passe par la victoire à l’élection présidentielle et la gauche est mal armée pour faire sauter ce verrou institutionnel.

Elle possède le potentiel électoral pour y parvenir. Les dernières enquêtes d’opinion le situent entre 15 et 30% (même s’il faut prendre avec beaucoup de prudence ces données car l’étiquette « de gauche » est démonétisée). Dans la huitième édition de l’enquête annuelle « Fractures françaises » (produite en partenariat avec le Cevipof, Ipsos, l’Institut Montaigne et Le Monde), le total gauche se situe à 30% des enquêtés. 12% d’entre eux se sentent proches d’EELV (en nette progression), 9% de LFI, 7,5% du PS. Alors que les dirigeants de LFI et EELV rejettent le label « de gauche », jugé « minorisant », « rétrécissant » ou peu mobilisateur, leurs sympathisants se situent clairement à gauche (les sympathisants LFI se définissent « de gauche » avant d’être « du peuple »). Au-delà d’une auto-définition « de gauche » partagée, reste que l’unification de ce camp pose problème. S’y expriment une aspiration unitaire forte (elle a joué en faveur de Jean-Luc Mélenchon en 2017) mais aussi de fortes divergences.

Si l’électorat d’EELV et du PS est proche idéologiquement, l’aversion pour le PS est puissante chez les sympathisants de LFI. Les renoncements et les désillusions induites par le quinquennat de François Hollande structurent encore puissamment les préférences à gauche. Une partie de ses électeurs ne veulent plus frayer en aucune manière avec ce parti. Le PS a perdu son hégémonie mais la question du leadership à gauche n’est pas réglée. Mais elle a peu avancé depuis 2020. Le paysage partisan à gauche s’est comme figé, ossifié. Aucune recomposition d’ampleur ne s’est opérée et aucune confrontation idéologique sur le fond ne s’est véritablement engagée. Les organisations partisanes sont fragilisées et anémiées – combien de militants ? Guère plus de 100.000 sans doute toutes formations confondues… – mais recroquevillées sur leurs intérêts d’appareils. Les réflexes de corporatisme partisans sont mortifères : ils poussent à présenter un candidat à l’élection présidentielle pour exister (au risque de « jouer » la défaite collective de la gauche), entretenir ou cultiver une identité, construire un rapport de forces, préparer les élections législatives... Le patriotisme de parti est devenu un point de blocage à gauche produisant des effets d’impasse inextricables.

La France insoumise apparaissait en 2017 comme la future colonne vertébrale de la gauche mais elle n’a pas réussi à convertir l’essai. Grâce à la tribune parlementaire, elle constitue depuis 2017 la principale force d’opposition au gouvernement à gauche mais l’image de son leader s’est abîmée et apparaît à nouveau très clivante. Jean-Luc Mélenchon reste pourtant un compétiteur crédible qui peut soulever une nouvelle dynamique autour de lui à la faveur de l’effervescence de la campagne présidentielle et de la légitimité charismatique qu’elle peut réactiver. Jean-Luc Mélenchon est toujours pris dans le même dilemme électoral : ne pas s’aliéner l’électorat de gauche traditionnel (qui reste son socle) mais ne pas s’y limiter et l’élargir en mobilisant les milieux populaires (ce qui suppose de « cliver »). Le député de Marseille voulait rayer de la carte le Parti socialiste : le scénario de l’effacement pour le parti d’Epinay a été conjuré. Sans présidentiable identifié (situation unique dans son histoire), hormis peut-être, Anne Hidalgo, le PS est déclassé mais a trouvé sa résilience dans les territoires : 5 des 10 premières villes de France (avec la prise récente de Marseille) ont un maire affilié socialiste. La légitimité fragile de son premier secrétaire s’est consolidée. Les écologistes estiment quant à eux que leur heure est venue et qu’ils ne peuvent plus être des supplétifs. Un cap a été franchi aux élections municipales (mais dans un électorat urbain très ciblé). L’écologie est devenue le récit politique dominant ou incontournable à gauche et les dirigeants d’EELV estiment être habilités à défendre publiquement et électoralement cet agenda (alors même que l’ensemble des partis à gauche se sont écologisés). EELV reste pourtant une organisation modeste, imprévisible et qui n’est toujours pas à l’aise dans l’exercice électoral de premier plan. Les lignes Piolle et Jadot renvoient à des équations idéologiques, stratégiques, sociologiques différentes.

Quelles options pour conjurer la désunion ?

Comment éviter le piège de la désunion ? Jean-Luc Mélenchon s’est déjà lancé. Il fait le pari d’une campagne longue et « positive » accréditant sa crédibilité. Rejetant toute convergence politique artificielle ou toute régulation par la primaire (qu’il pourrait pourtant peut-être remporter…), il a pris l’option de la clarté et de la lisibilité face à « la salade des logos » et l’image de pétaudière qui risque de s’installer à gauche. Ses concurrents vont sans nul doute dépenser beaucoup d’énergie à produire le rassemblement dans les mois qui viennent. Jean-Luc Mélenchon croit pouvoir faire la différence et drainer vers lui le vote utile des électeurs de gauche comme en 2017 (il a mis au second plan ses accents populistes…) tout en élargissant cette base lors de la campagne. Mais il n’est pas exclu que le mécanisme du vote utile joue cette fois en sa défaveur. Le leader de la France insoumise mise sur le soutien ou la bienveillance du PCF (ne pas apparaître trop isolé) et surtout sur l’incapacité de la gauche socialiste et écologiste à produire un candidat commun.

Ce pari est pour l’instant fondé. Un(e) candidat(e) écolo-socialiste peut-il émerger ? C’est l’inconnu politique principal à ce stade de la pré-campagne. Olivier Faure avait laissé entendre il y a quelques mois qu’il était prêt à accepter de se rallier à une candidature issue des rangs d’EELV. Il est désormais moins clair sur le sujet et l’hypothèse d’une candidature de la maire de Paris s’installe. Les écologistes qui ne renvoient pas une image de fiabilité à leur associés-rivaux socialistes ont annoncé une primaire pour septembre 2021. Même semi-ouverte, elle ne mobilisera sans doute que quelques dizaines de milliers de sympathisants et risquent d’objectiver une forme de marginalité d’EELV et ne conférer à son vainqueur qu’une faible légitimité. Le scénario d’une primaire plus ouverte et interpartisane (c’est-à-dire départageant les candidats issus de plusieurs partis) est-il crédible ?

La procédure des primaires est disqualifiée après avoir été encensée.

On lui reproche d’avoir en 2016 et 2017 fracturé les partis qui l’ont organisé, « radicalisé » les candidats investis et de ne pas avoir produit de rassemblement in fine. Il n’y pourtant pas beaucoup d’autres options pour produire le rassemblement à gauche. Ce qui ne signifie pas pour autant que ce scénario soit probable... L’organisation d’une telle primaire supposerait de se mettre d’accord sur un socle programmatique minimal pour garantir le rassemblement final, de mettre en place et de financer une organisation coûteuse (il faut ouvrir des milliers de bureaux de vote sur tout le territoire…) et de créer les conditions de sa transparence (le résultat doit être indiscutable). Or il faut des ressources partisanes importantes pour cela… La gauche va être mobilisée par les élections régionales jusque l’été. Elles seront un test essentiel : ou le scrutin est l’occasion d’expérimenter de nouvelles formes d’union (dans le sillage des élections municipales) ou d’exacerber les intérêts de boutique et de donner libre cours à la différenciation partisane. Il ne restera alors que quelques mois pour mettre en place une hypothétique primaire ou se mettre d’accord sur un candidat… Faute de quoi, une primaire par les sondages, rampante, sauvage et tardive, risque de départager (ou pas) les prétendants à gauche. « L’opinion » de gauche pourrait statuer et les sondages ratifier l’autorité politique d’un candidat « naturel » (c’est le pari de la droite).

Dans les mois à venir, la gauche partisane va ainsi mobiliser l’essentiel de ses forces dans les négociations, tractations, aventures personnelles, donnant l’image d’un camp autocentré et replié sur ses jeux et enjeux internes… alors même que la bataille culturelle et idéologique devrait requérir toute son énergie. La gauche officielle saura-t-elle donner un débouché électoral aux multiples mobilisations porteuses d’émancipation et d’espoirs qui ont scandé de diverses manières le quinquennat d’Emmanuel Macron (Gilets jaunes, anti-racisme, féminisme, luttes pour les libertés publiques et contre les violences policières…) ? La gauche est-elle condamnée à décevoir ?

Rémi Lefebvre


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