La sale guerre américaine à Falloujah

mercredi 20 janvier 2021.
 

Le grand reporter franco-irakien Feurat Alani, lauréat du prix Albert Londres publie avec le dessinateur de presse Halim une adaptation en BD de l’enquête qui l’a amené au journalisme, après la sanglante bataille de Falloujah en 2003 et les bombardements américains à l’uranium appauvri.

BD de Feurat Alani et Halim

Editions Steinkis, 126p. noir et blanc.

La documentation sur les crimes de guerre américains en Irak s’accumule année après année et on reste surpris chaque fois de voir, vingt ans après, comme on s’est habitué à l’indicible. La grande force de la BD est de poser des images sur les évènements, à la croisée exacte entre le documentaire vidéo et l’enquête journalistique. La vision du dessinateur est par définition personnelle et graphique. Le propos du scénariste est lui tout à fait documentaire, presque autobiographique puisque Feurat Alani reprend dans cet impressionnant ouvrage la technique du vétéran du journalisme BD rugueux, l’américain Joe Sacco.

Bien plus graphiques et didactiques que ce dernier, les auteurs de Falloujah nous racontent le retour du jeune étudiant Feurat Alani dans sa ville de Falloujah, là où réside la famille de son père, là où il a passé une partie de son enfance. C’était avant la première guerre d’Irak, avant Daesh, avant les crimes de guerre, les empoisonnements, les bébés sans bras, avant que ceux qu’il connaissait changent de visage, condamnés à la violence, à la guerre et à la haine.

"Les Etats-unis ont lâché des centaines de tonnes de missiles dur Falloujah. Il y avait des explosions étranges, des couleurs improbables. Les gens disent que c’était du phosphore blanc, une arme chimique."

La seconde bataille de Falloujah fut un point culminant de la sale guerre de Georges W. Bush en Irak. Le moment où les mensonges, les contradictions entre les discours moraux de respect des règles internationales sur le nucléaire, sur les armes chimiques, les arguments qui ont poussé à l’invasion du pays se retrouvent retournés en effet boomerang devant les évidences de l’utilisation par le "pays de la liberté" des pires armes créées. La difficulté en la matière est de démêler les thèses conspirationnistes de certains anti-impérialistes de la réalité factuelle. Or dans un pays détruit peuplé de générations de jeunes mal éduqués, quasiment interdit aux journalistes, peu sont en mesure d’analyser les observations. Joe Sacco montrait cette difficulté dans son ouvrage monumental Gaza 1956 et la nécessité de revenir mille fois sur les mêmes évènements pour croiser les témoignages avec un petit espoir de parvenir à une vérité indéniable. Du travail de journaliste en somme.

La particularité de cet album, outre les très belles planches permettant des visions graphiques dantesques ou poétiques, est l’implication du journaliste Feurat Alani. Moins exigeant que son confrère Sacco il tente de croiser les témoignages irakiens et ceux de vétérans de l’armée américaine ayant participé à cette bataille. On pourra lui reprocher de peu questionner ces témoignages, faisant de son ouvrage un reportage à charge. Etant donnée la gravité des évènements et la quantité de preuves de crimes de guerre de la part de l’armée américaine on lui pardonnera de ne pas être tatillon sur la nature exacte des produits déversés sur Falloujah. Notamment sur le récit du très controversé professeur Christopher Busby concernant l’utilisation d’uranium appauvri dans les bombardements américains. Les guerres de l’Empire ont été suffisamment documentées sur le peu de scrupule du Pentagone à expérimenter sur des populations civiles ou des combattants des armes expérimentales ou interdites pour qu’on imagine très probable ce type d’usage à Falloujah. La guerre médiatique des armées mets toujours face à face des témoignages journalistiques difficiles en zones de guerres avec des rapports scientifiques censément exhaustifs. Les faits sur place n’en restent pas moins terribles...

"Le bébé souffre de malformations qui rappellent celles de Falloujah"

Les malformations graves ont explosé à la suite de l’intervention américaine. L’auteur cite diverses hypothèses, dont le phosphore blanc, la pollution générale issue de la guerre ou l’uranium appauvri. On sait que ce dernier a été expérimenté en Irak. Où, quand ? Il est compliqué de le dire avec assurance mais le journaliste a croisé les étranges similitudes des explosions de cancers chez les vétérans américains de la guerre d’Irak et des phénomènes proches des deux côtés de l’Atlantique et le fameux syndrome irakien.

La quantité de sujets abordés dans cet album est très importante et en seulement cent pages les auteurs ont l’intelligence de ne pas approfondir chaque élément mais plutôt de les mettre en relation, laissant au lecteur la tache de poursuivre ou d’approfondir sa connaissance du sujet. Il ressort de cette lecture un tableau glaçant d’une réalité bien lointaine et d’images que l’on a du mal à admettre. Devant ces témoignages l’on ne comprend pas comment de tels scandales ne sont pas plus visibles, arrivent à être étouffés, gardés sous contrôle, sans doute par excès de modération d’une classe médiatique trop effrayée de rejoindre les voix des oppositions altermondialistes en ne disant que la simple réalité. Celle d’un empire américain qui fait bien peu de cas des vies humaines, qu’il soit Démocrate ou Républicain.


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