Guillaume, 20 ans, s’est donné la mort mardi soir 9 février 2021, dans sa chambre d’étudiant

vendredi 19 février 2021.
 

En janvier, il avait dénoncé un viol et contribué à faire naître le #MeeTooGay. Hommage en forme de résistance aux souffrances des dominations.

Guillaume a mis fin à ses jours le mardi 9 février 2021 dans sa chambre d’étudiant à Nanterre. Il avait 20 ans. Né après l’an 2000. Son truc, c’était de rire, d’aller fleurir le mur des fédérés au Père Lachaise et d’organiser des marches pour contrer la Manif pour Tous. C’est d’ailleurs là que j’ai rencontré Guillaume, dans une manif, une Pride de Nuit, je crois. Ou alors était-ce parce qu’il me charriait tout le temps sur les réseaux sociaux en me disant que j’étais « un Eric Zemmour même pas connu et vaguement de gauche. »

Guillaume, c’était une sorte de feuille d’or, aussi délicat que précieux, aussi léger que brillant. C’était même dans cette fragilité inestimable que résidait l’un des fondements de sa puissance. Ca, je ne crois pas qu’il le savait très bien - mais il s’en fichait un peu parce qu’il avait des luttes à mener. Guillaume était un militant infatigable qui se désespérait toujours des partis, des syndicats ou des associations qu’il approchait, leur reprochant le manque d’horizontalité dans leur organisation et souvent, leur absence de courage.

Guillaume était militant et homosexuel - pas forcément militant homosexuel d’ailleurs. Mais il s’avère que la construction de son identité politique a coïncidé avec la découverte de son identité sexuelle à la fin de l’adolescence, au tournant de l’acquisition de sa majorité légale. Ce double échafaudage qui commence toujours dans la fragilité l’a immédiatement placé dans une position de vulnérabilité extrême dans un monde fait de dominations. Certes, depuis qu’il a eu 18 ans, Guillaume était un adulte et, à ce titre, il méritait qu’on le considère à égalité, même lorsque l’on avait deux fois son âge. Seulement, il est une autre évidence que son statut de jeune homme racisé homosexuel issu d’un milieu populaire de province le plaçait dans une position de proie manifeste. D’autant que la violence dont Guillaume disait être la victime est un viol.

Comme le démontre assez magistralement les vagues de #metoo, #metooinceste et #metoogay, l’intimité, et tout particulièrement la sexualité, n’est pas exempte de dominations. De classes, de genres et de races. Et ces dominations ne s’arrêtent pas sur le perron de la porte de la chambre à coucher. On peut aller plus loin : la sexualité peut même en être le creusets. Or, c’est précisément de cela dont Guillaume affirmait avoir été la victime. Sa dépendance affective voire matérielle à l’égard de ses agresseurs à une époque où il venait d’arriver à Paris et où il avait du mal à se loger, sa situation de dominé face à des personnes en situation de puissance relative dans son parti et dans la gauche, la nouveauté de son rapport au corps et à la sexualité : tout cela aurait du alerter le couple composé de Victor Laby et de Maxime Cochard qu’il a accusé de viol il y a maintenant trois semaines, via Twitter - et ce, malgré la difficulté que cette sensibilisation requiert parfois.

La réponse qu’il a reçue à la suite de son témoignage public a d’ailleurs continué de suivre le même schéma emprunt de dominations hautement problématiques : les accusés se sont fendus d’une déclaration lapidaire, niant catégoriquement les faits, et annonçant leur intention de déposer une plainte pour diffamation. Si tant est qu’ils n’aient pas eu la conscience de commettre un viol, fallait-il immédiatement engager une procédure judiciaire qui les plaçait en situation, à nouveau, de domination ? Quid d’un dialogue encadré pour essayer de comprendre comment Guillaume en était arrivé à une telle conclusion ? Sans ressources équivalentes, Guillaume n’avait quant à lui même pas pensé, dans un premier temps, à se rapprocher d’un avocat. S’est ensuite posée la question du dépôt de plainte de sa part. Mais cela nécessitait d’aller se confronter à deux institutions dont on sait le peu d’appétence qu’elles ont à instruire ce genre d’affaires.

Aux machines policière et judiciaire, s’est ajoutée la machine médiatique. Le Parisien en tête, les insinuations à coups de photographies de Guillaume et de ses présumés agresseurs ont commencé à se multiplier dans des articles et surtout sur les réseaux sociaux pour distiller l’idée selon laquelle la victime aurait menti. Lorsqu’une personne parle de violences sexuelles qu’elle a subies, elle est souvent terriblement seule face au déferlement qui s’ensuit. Oui, il faut être courageux pour prendre la parole mais la prendre ne libère pas forcément. Au contraire, cela peut enfoncer dangereusement dans une spirale infernale.

Et Guillaume n’était pas prêt à faire face à ça - en vérité, personne ne l’est. C’est précisément à cet endroit que les structures de notre société devraient agir. Pour accompagner, pour entourer, pour aider. L’une de ses structures, proche des deux parties, le Parti communiste français a demandé, tout de suite après l’accusation, la mise en retrait de Maxime Cochard et de Victor Laby de toutes leurs responsabilités au sein du PCF Paris. Seulement, Guillaume s’est retrouvé face aux journalistes qui le sollicitaient et face aux réseaux sociaux qui généraient leur flux de soutiens mais aussi d’accusations de membres de sa pourtant famille politique « communiste ». C’est là que notre société toute entière qui a failli. C’est là que, au nom de Guillaume, il ne faudra plus qu’elle faillisse demain.

Guillaume, je ne sais pas où tu es, sûrement nulle part, mais que la terre te soit légère. Je n’ai jamais cru que la bataille juridique que tu t’apprêtais à livrer aurait pu mener à quoique ce soit. Mais, et je sais que tu y étais sensible, il y a aussi la lutte. La lutte politique. Pour que nous ouvrions enfin collectivement les yeux sur la violence insupportable de nos rapports inégaux. Et ça camarade (je déteste ce mot mais tu m’appelais comme ça, donc soit), on va se battre pour que ça arrive, quitte à arracher, quitte à s’arracher les paupières.


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